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SÉANCE COMMÉMORATIVE
DE
SRI AUROBINDO

A la Sorbonne (Paris)
Le 5 Décembre 1955
M. FILLIOZAT : Nous remercions M. Jacques Masui, et maintenant le Professeur Félicien Challaye va vous parler de la doctrine de Sri Aurobindo. M. le Professeur Félicien Challaye a préparé également un ouvrage sur les philosophes de l'Inde, qui est actuellement sous presse à l'Ashram même de Pondichéry.

5 - Allocution de M. le Professeur Félicien Challaye :

Mesdames, Messieurs, en écoutant la biographie de Sri Aurobindo, je me suis rappelé un mot du philosophe anglais Alexandre Bain :
"Un grand homme, c'est plusieurs hommes en un seul."
Cette formule me paraît caractériser parfaitement Sri Aurobindo.

Sri Aurobindo a été, en effet, successivement et parfois ensemble, un grand professeur, un grand conférencier, un grand journaliste, un grand homme politique, un yogî, et aussi un grand poète, un grand prosateur, un grand critique littéraire, un grand historien de la philosophie, et finalement un grand philosophe. C'est ce dernier aspect que je vais seulement considérer.
Je vais essayer, dans le temps très bref qui m'est fixé, d'exposer sa doctrine, en éliminant bien entendu toute recherche d'origine et toute discussion.

Le point de départ, c'est l'idée qu'il faut à l'Inde et au monde une synthèse nouvelle, une synthèse philosophique nouvelle, orientée vers l'avenir.
"Nous n'appartenons pas, écrit-il, aux aurores du passé, mais aux midis de l'avenir" ; et on a déjà cité tout à l'heure une autre formule : "Le passé doit nous être sacré mais l'avenir davantage encore."

Dans cette synthèse, la pensée occidentale, d'une part, et la pensée orientale, d'autre part, apportent leur contribution.
La pensée occidentale apporte, avant tout, la science. Sri Aurobindo l'accepte complètement ; il ne fait aucune réserve sur les vraies découvertes de la science ; et lui, qui (on nous l'a dit et nous le verrons de nouveau) est, avant tout, religieux, admet tout à fait que la science nous apporte une discipline nécessaire. Cette discipline permet d'éliminer les imaginations irrationnelles (ce sont ses propres termes) du passé. Il accepte en même temps toutes les conséquences de la science : l'évolution économique et sociale, le développement du machinisme, la diffusion de l'instruction, le progrès de toutes les classes jusqu'ici déshéritées, le relèvement des races encore retardataires.
Au premier abord, beaucoup de ces exigences paraissent exclusîvement matérielles ; mais Sri Aurobindo découvre que derrière ces exigences matérielles il y a une aspiration intellectuelle et même spirituelle : l'aspiration à la Vie Divine. C'est ce côté spirituel que l'Inde va apporter.

Donc, d'un côté, la pensée occidentale apporte la science, de l'autre l'Inde apporte la spiritualité, l'aspiration à la Vie Divine.
Vie Divine : cela évoque la pensée de Dieu. Qu'est-ce que Dieu pour Sri Aurobindo ?
Il va nous demander de consacrer tout notre être et tout notre devenir à Dieu; mais, dans ce cas-là, Dieu ne sera pas une vaine abstraction, un absolu immobile ni même un être caché dans un ciel lointain. Dieu, c'est une réalité voilée, mais constamment présente, et toute proche de nous.
Le Dieu de Sri Aurobindo, c'est un Dieu à la fois unique et multiple, impersonnel et personnel.
L'unité, c'est son caractère premier en quelque sorte, mais l'unité et la multiplicité vont ensemble ; c'est le recto et le verso de la même médaille. Ce Dieu un se voit multiple, formé d'êtres et de choses qui changent sans cesse.
Par conséquent, il y a ces deux éléments impossibles à séparer, Sri Aurobindo le dit :

"Tout ce qui existe est dans le divin ; tout ce qui existe est le divin, et il n'y a rien d'autre que le divin."

C'est une personne en même temps que c'est une production impersonnelle.
Pour nous, du dehors, toute la production de la Divinité nous apparaît impersonnelle; mais Dieu est avant tout une personne, c'est la substance des substances. Le monde, Sri Aurobindo le compare souvent à une sorte de jeu de la Divinité.
Il ose écrire :

"Qu'est-ce que Dieu ? C'est un enfant éternel jouant à un jeu éternel, dans un jardin éternel."

Il nous dit aussi, évoquant toutes les relations possibles de la Divinité : "C'est le Père, c'est la Mère, c'est l'Amant, c'est l'Aimée, c'est le Frère,c'est le Guide, c'est notre Porteur de lumière, c'est notre Donneur de félicité".
Mais, tout en appelant l'attention sur les félicités qui nous viennent de Dieu, il pense aussi qu'il ne faut pas s'en faire une idée trop étroite : il faut considérer que même ce qui nous apparaît à nous le mal, la douleur dans ce monde, vient aussi de Dieu.
C'est une lâcheté, selon Sri Aurobindo, que d'attribuer à un démon tout-puissant, ou même à la nature, ou même au péché de l'homme, ce qui nous apparaît comme le mal, c'est-à-dire la violence dans les êtres et dans les choses, c'est-à-dire la nature qui dévore tous ses éléments, c'est-à-dire encore le temps qui nous ronge, la mort, inéluctable. Tout cela, il faut avoir le courage du reconnaître que cela vient aussi de Dieu. Nous devons sentir la main de Dieu quand elle nous caresse, mais aussi quand elle nous brise.
Voilà le progrès à accomplir. Il faut, derrière les désharmonies du monde, saisir cette harmonie suprême. Bien entendu, s'il y a des désordres dans le monde, il faut tout de même penser que surtout c'est l'ordre et c'est la félicité qui nous touchent, donc une unité qui se révèle par la multiplicité, qui se prolonge par la multiplicité.
Entre l'unité et la multiplicité, Sri Aurobindo admet un intermédiaire ou plutôt une médiatrice, c'est la Mère divine, qui, de l'unité, fait sortir la multiplicité, puis à de certains moments réunit toute la multiplicité des âmes pour les conduire vers l'unité.

Nous découvrons donc qu'il y a un double mouvement contraire dans l'Univers, un mouvement d'involution ou de descente, un mouvement d'évolution ou de montée. Descente : l'Esprit divin descend d'abord dans le mental. On a déjà ici employé cette expression. Pour Sri Aurobindo, le mental, ce sont les intelligences distinctes, c'est la vie psychologique des êtres différenciés. Donc l'Esprit divin descend d'abord dans le mental. Il descend ensuite dans la vie ; il descend enfin dans la matière, qui est le dernier degré de l'être.
Et puis, il y a aussi évolution, montée, ascension : la grâce de la Mère divine préside à cette ascension. La matière enveloppe la vie et appelle la vie; la vie enveloppe le mental et appelle le mental. Il semble que nous devions nous arrêter là ; car, dans l'univers tel que nous le connaissons, on ne voit rien qui dépasse le mental. Mais, en vérité, au-dessus du mental, il y aura le supramental. Déjà dans le mental aujourd'hui nous découvrons des traces du supramental : certaines intuitions, certaines sympathies, certaines presciences révèlent déjà le supramental.
L'homme n'est pas le point final de l'Univers. Par-delà l'homme, il y aura le surhomme.

Donc, une évolution qui fait sortir de la vie le mental et qui fera sortir du mental le supramental.
Cette évolution, nous devons y participer; accomplir le progrès de la conscience, en accélérant la force de la nature et en y aidant par la volonté de l'homme.
Voilà le rôle de ce que Sri Aurobindo appelle le yoga intégral.
Yoga,
c'est, comme dans toutes les doctrines, l'union avec le Divin ; mais ce yoga, Sri Aurobindo le veut intégral, c'est-à-dire absorbant toutes les forces de l'homme.

Dès maintenant éliminons une confusion. Quelquefois on confond yoga et ascétisme. C'est une grosse erreur. Le yoga n'est pas l'ascétisme. L'ascétisme enlaidit le monde, le yoga de Sri Aurobindo veut l'embellir. L'ascétisme condamne le corps, le yoga de Sri Aurobindo veut, au contraire, le développer. Un des traits les plus caractéristiques de la pédagogie de Sri Aurobindo (je crois qu'on en parlera tout à l'heure), c'est la valeur attachée à l'éducation physique. Le corps n'est pas à mépriser ; il a une grosse importance. Sri Aurobindo d'abord, et, aujourd'hui sa merveilleuse collaboratrice, la Mère, publient un bulletin de culture physique, d'éducation physique en anglais et en français qui est une oeuvre excellente, pleine d'idées intéressantes et d'images séduisantes.
Donc, il ne s'agit pas de condamner le corps ; il ne s'agit pas de condamner la vie; il ne s'agit pas de fuir la vie; il s'agit d'aller au-devant de la vie et d'y marcher sur la route qui conduit à la Vie Divine.

Ce chemin est un chemin triple. Il fait intervenir à la fois l'esprit, le coeur et la volonté.
L'esprit : nous devons creuser assez profondément au-dedans de nous-mêmes pour découvrir le grand Soi au fond de notre petit moi. Nous devons, par-delà les apparences souvent non harmonieuses de l'univers, découvrir la grande harmonie. Voilà le rôle de l'esprit.
Le coeur : le rôle du coeur est plus important encore que celui de l'esprit. Par-delà les amours terrestres et les idolâtries, il faut monter jusqu'à l'adoration de l'ineffable. Au cours de cette ascension, c'est une transformation : tout devient changé par cet effort même du coeur, qui découvre les délices de toutes les formes supérieures de l'existence.
Enfin, la volonté : la volonté doit intervenir ; il faut des actes ; il faut le yoga des oeuvres ; il faut le sacrifice volontaire. Le sacrifice n'est pas l'immolation inutile de notre être; c'est le don de soi ; c'est le sacrifice de l'égoïsme, parce que l'égoïsme nous empêche précisément de jouir de l'ensemble de l'existence.
Voilà le début, en quelque sorte, du yoga; voilà la partie du yoga qui nécessite un effort. Nous l'accomplissons par la voie de l'intelligence, du coeur et de la volonté.

Puis, une fois qu'on a passé par là, on arrive à une nouvelle et dernière période, celle de la consécration au Divin.
L'effort qui a caractérisé le début de notre action s'atténue et finit par disparaître; alors c'est l'épanouissement du Divin. Nous devenons des êtres divins parce que nous l'étions déjà au fond, dans les profondeurs de notre être. C'est maintenant une extase active. L'homme uni au Divin aime toutes les réalités ; il aime tous les hommes ; il aime tout ce qui existe dans le monde. Les rapports humains, perdant ce qu'ils peuvent avoir de mesquin, deviennent de magnifiques occasions d'une vie supérieure. Tous les rapports humains, les choses les plus banales, les circonstances les plus ordinaires, quand nous les rattachons ainsi à l'unité divine, prennent un aspect merveilleux. La vie devient une grande oeuvre d'art, un merveilleux poème, riche en délices de toutes sortes. Nous arrivons à un divin bonheur.
Il semble que nous allons pouvoir nous arrêter ici puisque c'est le sommet que nous pouvons atteindre.
Nous l'atteindrons en effet, mais il faut d'abord répondre à une objection que Sri Aurobindo se fait à lui-même. Nous serions arrivés au sommet, si le but était de trouver le bonheur pour des êtres solitaires. Mais ce n'est pas le cas. Il ne s'agit pas de chercher un bonheur pour des êtres privilégiés ; il faut penser au reste de la société.
Sri Aurobindo a écrit une étude intitulée Spiritualité et Société et il ne sacrifie ni l'un ni l'autre de ces éléments. Si le but était de donner un bonheur divin à quelques êtres privilégiés, nous ne répondrions pas à l'appel de la société qui nous environne, car notre société exige des solutions pour l'ensemble, des solutions pour tous les hommes. Sri Aurobindo écrit cette phrase bouleversante

"Plutôt l'enfer avec le reste de nos frères malheureux que le salut d'un homme solitaire."

Voilà l'objection qu'il se fait à lui-même. Mais, ayant formulé cette objection, il trouve dans une des Oupanishad la réponse qui va permettre de la lever. C'est que celui qui a trouvé le bonheur divin pour lui, attire tous les autres par là-même autour de lui; c'est comme une lumière qui éclaire tous les autres et qui les attire tous vers lui ; si sa vie est devenue un puits de félicité, tous les autres vont pouvoir aussi y venir boire. Par conséquent, ce n'est pas pour soi-même seulement que l'on va chercher cette béatitude suprême, c'est pour soi et pour tous les autres. C'est comme une grande bataille qui s'engage entre la lumière et l'ombre : cette bataille, nous devons la vivre sur notre terre, parce que c'est peut-être notre terre qui a le plus besoin d'aide, c'est d'elle que monte le plus vibrant appel.
Telle est la solution.

Désormais, dans la synthèse nouvelle dont je parlais en commençant et que j'évoque en terminant, la spiritualité de l'Inde va pouvoir ajouter ses dons à ceux de la science occidentale. L'Inde va nous apporter une méthode pour chercher et trouver le Divin ; c'est de cela que nous avons besoin : nous en avons autant besoin que de la science elle-même. Voilà la synthèse philosophique vraiment orientée vers l'avenir, dont l'avenir a le plus besoin.
Pour l'apport de cette spiritualité, rendons hommage à la chère Inde. Rendons particulièrement hommage à Sri Aurobindo. Cette magnifique contribution à l'évolution du monde, nous la devons surtout à ce grand et cher Sri Aurobindo.


Ce texte, réuni avec les autres allocutions en brochure, a été publié en 1969
par Sri Aurobindo Ashram - Pondichéry - Inde


Allocution suivante : C.F. Baron

Allocution précédente: Jacques Masui

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