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SÉANCE COMMÉMORATIVE
DE
SRI AUROBINDO

A la Sorbonne (Paris)
Le 5 Décembre 1955
M. FILLIOZAT : M. le Professeur Félicien Challaye nous a donné en toute clarté une admirable analyse de la doctrine de Sri Aurobindo. Nous connaissons donc maintenant et sa vie et cette prestigieuse doctrine. Nous allons demander maintenant à ceux qui veulent bien nous apporter le témoignage de leur expérience de l'Ashram de prendre la parole, et d'abord à M. le Gouverneur Baron.

6 - Allocution de M. le Gouverneur C. F. Baron:

Monsieur le Président, Mesdames, Messieurs,
Lorsque je suis allé pour la première fois dans l'Inde, il y a de cela plus de vingt ans, ma sympathie pour ce grand pays était vive. Je l'imaginais à travers les livres de mon enfance : "La Maison à vapeur" de Jules Verne, les livres de Kipling, quelques poèmes de Tagore. Je pensais en ramener de somptueux souvenirs, quelques amitiés et une expérience humaine et intellectuelle enrichie.
Aujourd'hui, c'est un amour profond, un amour filial qui me font un devoir de vous exposer brièvement la merveilleuse aventure qu'elle propose aux esprits désorientés de notre temps. En effet, ce n'est pas avec une valise de documents que j'en suis revenu, mais les mains vides et le coeur plein d'un émerveillement intérieur. Peut-être, dans l'Orient fabuleux, avais-je trouvé la lampe d'Aladin ?...
En effet, après beaucoup d'autres et avant beaucoup d'autres, je l'espère, j'y ai fait une rencontre bouleversante et trouvé un enseignement. La rencontre fut celle de Sri Aurobindo, de Mère, de l'Ashram. L'enseignement, c'est leur exemple et leur oeuvre.
Oh ! je sais, et c'est même l'une des premières choses que me dirent mes amis indiens, il n'est pas nécessaire d'aller dans l'Inde pour rencontrer des sages ou même de grands mystiques. Celui qui la cherche peut trouver la lumière n'importe où dans ce vaste monde, car si la vache entière est laitière bien qu'on ne tire du lait que de ses pis, de même le monde est producteur de sainteté, dit quelque part Simonne Weil. Mais moi, qui étais venu dans l'Inde en fonctionnaire français un peu agnostique, je crois que l'Inde, accrochée au ventre de l'Asie, est la mamelle du monde. Quelques gouttes de ce lait précieux et vous voilà pour toujours imprégné de ferveur.
Pondichéry est une ville émouvante et belle, posée au bord du Golfe du Bengale, sur la côte de Coromandel. Ses rues bien dessinées, ses palais un peu délabrés, ses hôtels du 18e siècle aux larges portes, aux nobles façades, entrecoupés de jardins, en font une ville mélancolique, propice au recueillement. Imaginez un Versailles en miniature enfoui dans les bougainvillées et les palmiers et isolé dans cette Inde du Sud à l'architecture frénétique.

A cette époque, il y a vingt ans [= 1935], Sri Aurobindo et son Ashram n'avaient pas une très bonne presse ; les fonctionnaires français voltairiens du Cercle de Pondichéry, quand ils en parlaient, confondaient facilement théosophie, spiritisme, cabale et même messe noire au besoin. Les Britanniques continuaient à considérer Sri Aurobindo comme un dangereux agitateur abritant des complices.
Une chose, quant à moi, m'intriguait : c'était de rencontrer le soir, à cette heure merveilleuse dans l'Inde du coucher du soleil, des hommes marchant seuls ou par petits groupes qui, bien qu'habillés comme tous les Indiens, ne ressemblaient dans leur comportement et leur allure qu'à eux seuls. Leurs vêtements étaient d'une éclatante propreté ; leurs propos semblaient gais et sages ; on devinait en eux une bienveillance tranquille et le rayonnement d'une certaine joie. Un bonheur si palpable était intriguant.
Les Occidentaux, quand ils sont heureux, ne se remarquent guère. Peut-être se cachent-ils selon le conseil de la sagesse populaire, mais dans l'Inde, on peut déceler un homme qui détient la sagesse et la paix.

Ma curiosité naquit très vite et je fis en sorte de rencontrer l'un d'eux. Celui-ci était un disciple de la première heure de Sri Aurobindo. C'était, et c'est toujours, un grand poète, un grand musicien bengali, élevé en Europe et parlant un excellent français.
J'allai chez lui; il vint chez moi; nous parlions musique et poésie. Puis, prenant mon courage à deux mains je lui demandai naïvement le secret de sa joie tranquille.
Je ne puis vous évoquer, faute de temps, ces longues, lentes, pénétrantes conversations, riches par les silences comme par les paroles, dans la nuit tiède, étoilée, au bord de l'Océan indien. Mon ami posait sur moi un regard plein d'indulgence et d'amitié qui dépasse l'amitié, et ce sourire fraternel et généreux qui m'a toujours accueilli chez les hommes à la vie intérieure profonde.
J'avoue que j'ai posé des questions volontairement naïves : heureux de me dépouiller devant un homme de mon âge, de ce manteau intellectuel dont nous sommes si fiers de nous parer entre Français.
C'est ainsi qu'il m'expliqua que ce que nous appelons la foi, - qui n'est pas donnée à tout le monde, lui disais-je, puisque la raison ne l'explique pas ou la trouve aveugle, - la foi pour un Hindou n'est que le témoignage essentiel de notre moi profond en faveur d'un certain bien non encore réalisé mais que nous sentons comme étant suprêmement digne d'être recherché et obtenu. C'est aussi le courage de l'esprit qui veut la preuve ; c'est l'âme à sa recherche, qui sait, comme Christophe Colomb, qu'un continent existe au-delà des mers. Mais il ajouta que les Hindous que nous disons si facilement mystiques sont beaucoup plus exigeants que l'occidental ne le croit dans leurs rapports avec le Divin. "Nous ne croyons que ce que nous constatons par nous-mêmes et, si nous tenons compte du témoignage et du message que nous ont transmis tant de sages depuis 3000 ans, nous n'y adhérons pleinement qu'après avoir expérimenté et contrôlé les méthodes et les disciplines de ceux-ci.
"C'est pourquoi je ne puis que vous dire : j'ai fait telle chose qui m'a mené à tel point. Il se peut qu'en faisant de même vous arriviez au même but."

C'est alors qu'il m'expliqua que si le vrai bonheur, la recherche de la connaissance exige l'abandon, le détachement plus exactement, de beaucoup de petites satisfactions sensuelles, ce n'est pas par morale, mais simplement une question d'entraînement. Est péché tout ce qui nous éloigne, et vertu tout ce qui nous approche du Divin, de la suprême réalité.
Des athlètes qui veulent faire une bonne performance doivent suivre un régime rationnel. L'expérience démontre que pour avoir une conscience claire il vaut mieux ne pas être alcoolique ou débauché, et il ajouta :
"Pour Sri Aurobindo l'ascète qui nie la vie commet une erreur presque aussi dangereuse que le frénétique qui en abuse".

Je m'étonnais une autre fois du pouvoir extraordinaire que pouvaient avoir certains yogîs.
Il me répondit : "Il est certain que quelques sages ayant atteint la supraconscience ont des pouvoirs supra-physiques. Ces pouvoirs occultes ne sont pas plus extraordinaires que le pouvoir d'écrire un grand poème ou de composer un chef-d'oeuvre musical. Très peu d'hommes dans le monde peuvent le faire, car la poésie et la musique viennent d'un génie intérieur, de notre être profond et, pour écrire ou composer un chef-d'oeuvre il faut une collaboration de l'homme et du Divin, ce que vous appelez l'inspiration. C'est aussi l'origine des pouvoirs des yogîs, seulement ceux-ci les utilisent sans ostentation, ambition ou orgueil, parce qu'ils n'ont aucune de ces aimables faiblesses."

Ces conversations assez légères, qui satisfaisaient mes réticences raisonneuses, la lecture attentive puis fervente de l'oeuvre de Sri Aurobindo, l'évident bonheur paisible de mon ami et des autres disciples, m'avaient conduit à une certitude, c'est qu'ils avaient choisi la meilleure part. La meilleure partie de moi-même les enviait et les approuvait; l'autre moitié, par moment, faisait valoir ses droits. Je savais qu'elle avait tort, mais j'avais et j'ai encore pour elle un peu d'indulgence, car il ne suffit pas d'aspirer, il faut aussi se maîtriser.
Après cette lente, amicale et passionnante approche, ce n'était plus par curiosité que je voulais connaître l'Ashram, c'était avec une bonne foi respectueuse, une sincérité profonde que je voulais en savoir et surtout en sentir davantage la lumière entrevue. Mon ami le fit savoir et j'y fus accueilli.

D'autres vous décriront la joie paisible de ces jardins remplis d'enfants, d'écureuils, de fleurs et de beaux vieillards sereins qui entourent la maison où vivait Sri Aurobindo. Moi je peux seulement témoigner de ma rencontre et d'une expérience.

J'ai vu Mère très souvent pour de longs entretiens et même pour travailler avec elle.
C'est la plus grande Dame que j'aie rencontrée dans ce monde
.

J'ai eu le privilège de visiter Sri Aurobindo quelquefois. Je ne connais pas d'homme de quelque discipline intellectuelle qu'il se réclame, qui n'ait été ému en sa présence. La ferveur comme l'amour ne s'expliquent pas. Je ne peux rien en dire de plus.

Il importe maintenant que je vous expose brièvement ce qu'apportent l'enseignement et l'exemple de Sri Aurobindo, et pourquoi je le considère comme l'explication la plus pertinente et la plus consolante du monde et de la vie.
Il n'y a aucune doctrine d'autorité. Il n'est exigé aucun acte de foi gratuit dans la discipline que vous acceptez librement en entrant dans l'Ashram. On vous dit : l'expérience démontre qu'en faisant tel pas vous arrivez à tel point; faites l'expérience avec bonne foi et n'acceptez comme vérité de votre vie intérieure que ce que vous avez constaté par vous-même.
"La preuve du pouding se fait en mangeant le pouding", dit un dicton anglais. La preuve d'une réalité supérieure, du bonheur ineffable., de la paix dans l'unité, se trouve dans l'exercice de la méditation au cours de laquelle il est possible de percevoir directement, avec une totale évidence, ces réalités jusque-là abstraites pour un esprit rationnel.
La méditation avec la connaissance intuitive est l'instrument de travail, la porte ouverte sur la réalité supérieure. L'erreur de l'Occident est de considérer l'intelligence rationnelle conune seul moyen de connaissance. C'est un bel outil essentiel à la marche de l'esprit humain, mais qui devient un obstacle parce que si elle déblaye, classifie, compare, explique, elle est incapable de nous donner une réponse aux plus simples questions sur Dieu, l'univers et nous-mêmes. Or c'est cela la vraie connaissance et l'intelligence ne peut que s'agiter désespérément; quand nous demandons à notre coeur et à notre esprit de s'ouvrir à cette connaissance suprême, il faut lui dire de se taire un instant. C'est pourquoi le silence mental a tant d'importance dans la méditation.
Mais ce procès fait à l'intellect pur rentre dans l'explication de l'évolution du monde telle que la conçoit Sri Aurobindo. Le monde, l'ensemble de la création dans lequel le Divin est involué, évolue invisiblement vers une nouvelle étape. La science expérimentale se heurte à chaque instant à des contradictions irrationnelles parce que la raison veut des distinctions tranchantes. Or on nous dit aujourd'hui que l'espace matériel est fini mais sans limite, que la lumière est à la fois de nature ondulatoire et corpusculaire, que la matière inerte est de l'énergie latente, ce qui semble démontrer que la suprême énergie est involuée dans sa création.
Nous sommes simplement, dit Sri Aurobindo, à un moment, à une étape de notre évolution. Il n'y a aucune raison pour que l'évolution s'arrête ici et que nous n'apparaissions pas à l'homme de demain aussi différents que nous le sommes de l'homme préhistorique. Celui-ci avait peu d'intelligence, beaucoup de muscles et de merveilleux instincts. Les instincts se sont affaiblis; les muscles aussi et c'est l'intelligence qui s'est développée.
L'homme de demain ne sera pas un surhomme d'aujourd'hui, cela n'en vaudrait pas la peine. Ce qui le caractérisera sera une nouvelle qualité de conscience, des facultés de l'esprit développées comme l'intuition. Ce ne sera pas un épanouissement de ses dons actuels, mais bien plutôt une remise en ordre, et la première place sera pour la plus haute, une supraconscience; le supramental apparaîtra comme tout proche de ce que Bergson appelait "un bon sens supérieur" ; subconscient, conscient, supra-conscient, seront les étapes de notre évolution. C'est une certitude expérimentale pour Sri Aurobindo et tous ceux qui ont atteint et seulement même perçu la conscience supramentale.
L'oeuvre écrite, la vigueur intellectuelle de Sri Aurobindo, a pour but de malmener l'intelligence raisonneuse et questionneuse et de la conduire, cette fameuse intelligence, une fois satisfaite, à accepter un monde de connaissances qui la dépassent.
En rendant hommage à Descartes, mais approuvant Pascal, il nous démontre pourquoi la raison impuissante doit s'humiher si l'esprit veut aller plus loin, franchir le mur de l'absurde et connaître enfin que l'homme passe infiniment l'homme.

Mais j'ai parlé trop longtemps pour vous dire trop peu de choses. J'aurais aimé vous démontrer que les hommes très sages et très avancés dans la connaissance ne sont pas des rêveurs mystiques. Ce sont les "commandos" de l'esprit; ce sont les champions de la vraie liberté.
Certains Occidentaux qui sourient, sceptiques, quand ils en parlent, me paraissent aussi stupides qu'un moteur à explosion qui ne comprendrait pas pourquoi un moteur à réaction va plus vite.
L'essentiel de cet enseignement est basé sur la perfectibilité illimitée de l'homme. C'est une leçon inspirée d'optimisme.
En affirmant que l'homme importe, non pas par ce qu'il est mais par ce qu'il devient, qu'il est le fruit de vies passées et la fleur de vies futures, en assurant même qu'il est libre de son allure dans cette marche en avant, en lui donnant l'espoir et le moyen de l'augmenter expérimentalement et d'atteindre la suprême réalité qui est existence-conscience-félicité dont une infime parcelle est déjà en chacun d'entre nous, Sri Aurobindo annonce solennellement une nouvelle étape dans l'évolution de la race humaine.
Son rayonnement est démontré par votre présence ici. Sa lumière a traversé le rideau de soie, heureusement transparent, qui sépare encore l'Orient de l'Occident. De part et d'autre, les hommes sont malheureux parce que les uns et les autres se fourvoient. D'un côté fidèles à la terre mais peu fidèles à leur âme, ils mettent l'accent sur le bonheur matériel ; de l'autre, assoiffés d'éternité, ils négligent inconsidérément la condition humaine.
Il est temps de faire une synthèse et de nous sauver tous ensemble.


Ce texte, réuni avec les autres allocutions en brochure, a été publié en 1969
par Sri Aurobindo Ashram - Pondichéry - Inde


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