"Ô Conscience immobile et sereine, Tu veilles aux confins
du monde comme un sphinx d'éternité. Et pourtant, à
certains Tu livres Ton secret : ceux-là peuvent devenir Ton vouloir
souverain qui choisit sans préférer, exécute sans
désirer."
(La Mère, Prières et Méditations,
10 novembre 1914)
Cette Conscience immobile, c'est The Mother of Dreams [La
Mère des Rêves, poème de Sri Aurobindo], le sphinx
d'éternité qui veille aux confins du monde comme une énigme
à résoudre. Cette énigme, c'est le problème
de notre vie, la raison d'être de l'univers. Le problème
de notre vie est de réaliser le Divin, ou plutôt de reprendre
conscience du Divin qui est l'Univers, l'origine, la cause et la fin de
la vie.
Ceux qui trouvent le secret du sphinx d'éternité deviennent
le Pouvoir agissant et créateur.
Choisir sans préférer et exécuter sans désirer,
est la grande difficulté à la base du développement
de la véritable conscience et du contrôle de soi. Choisir,
dans ce sens, veut dire voir ce qui est vrai et lui donner existence;
et choisir ainsi, sans aucune inclination personnelle pour une chose,
une personne, une action, une circonstance, est bien ce qu'il y a de plus
difficile pour l'être humain ordinaire. Pourtant, il faut arriver
à agir sans avoir aucune préférence, en dehors de
toute attraction et de toute affinité, en se basant uniquement
sur la Vérité qui vous guide. Et après avoir choisi
selon la Vérité l'action à faire, il faut l'exécuter
sans aucun désir.
Si vous vous observez attentivement, vous verrez qu'avant d'agir il faut
avoir un élan intérieur, quelque chose qui vous pousse.
Dans l'homme ordinaire, cet élan est généralement
le désir. Ce désir doit être remplacé par une
vision claire, précise et constante de la Vérité.
Quelques-uns appellent cela la Voix de Dieu, ou la Volonté de Dieu.
Le véritable sens de ces termes a été faussé,
c'est pour cela que je préfère dire "la Vérité",
quoique ce ne soit qu'un aspect très limité de Cela que
nous ne pouvons nommer, mais qui est la Source et le But de toute existence.
Je n'emploie pas volontiers le mot Dieu, parce que les religions en ont
fait le nom d'un être tout-puissant autre que sa création,
en dehors d'elle. Ce qui est inexact.
Pourtant, sur le plan physique, la différence est évidente.
Car nous sommes encore tout ce que nous ne voulons plus être, et
Lui, Il est tout ce que nous voulons devenir.
Comment savoir quelle est la Volonté divine ?
On ne le sait pas, on le sent. Et pour le sentir il faut vouloir avec
une telle intensité, une telle sincérité, que toute
entrave disparaît. Tant que vous avez en vous une préférence,
un désir, une attraction, une affinité, toutes ces choses
vous voilent la Vérité. Donc, le premier travail est d'essayer
de maîtriser, diriger, corriger tous les mouvements de votre conscience
et éliminer ceux qui ne peuvent être changés, jusqu'à
ce qu'ils deviennent l'expression parfaite et permanente de la Vérité.
Et vouloir même n'est pas assez, car très souvent on oublie
de vouloir.
Il faut une aspiration qui brûle dans l'être, comme un feu
constant, et chaque fois que vous avez un désir, une préférence,
une attraction, il faut le jeter dans le feu. Si vous faites cela d'une
façon persistante, vous verrez qu'une petite lueur de conscience
vraie commence à naître dans votre conscience ordinaire.
D'abord elle sera indistincte, très loin derrière tout le
bruit des désirs, des préférences, des attractions
et des affinités. Mais il faut passer derrière tout cela
et trouver cette conscience vraie, si calme, si tranquille, presque silencieuse.
Ceux qui sont en contact avec la véritable conscience voient toutes
les possibilités à la fois, et sont capables de choisir
même la plus défavorable si c'est nécessaire. Mais
pour en arriver là, il faut parcourir un long chemin.
Faut-il neutraliser les préférences ou les oublier ?
Il ne faut pas en avoir !
Quand le mental devient silencieux, quand il cesse de juger, de se mettre
en avant avec son prétendu savoir, on commence à pouvoir
résoudre le problème de la vie. Il faut s'abstenir de juger,
car le mental est seulement un instrument d'action, pas un instrument
de connaissance vraie - la connaissance vraie vient d'ailleurs.
Si l'on s'abstenait de juger, on arriverait à une connaissance
de plus en plus précise de la Vérité, et les neuf
dixièmes de la misère du monde disparaîtraient.
Le grand désordre du monde serait en majeure partie neutralisé
si le mental pouvait admettre qu'il ne sait pas,
Puis il est question d'un passage de Aperçus et Pensées
: "Quand nous avons passé au-delà des jouissances,
nous avons la Béatitude. Le Désir fut une aide, le Désir
est l'entrave." (Sri Aurobindo: Aperçus
: Le But)
Mère ajoute aussitôt
... selon le stade où l'on se trouve.
Je parle naturellement pour ceux qui veulent sincèrement devenir
conscients de leur vérité vraie et l'exprimer dans leur
vie... Je pense que c'est le cas de tout le monde ici.
Et je dis aux professeurs qu'ils doivent enseigner de plus en plus selon
la Vérité, car si nous avons une école ici, c'est
pour qu'elle soit différente des millions d'écoles dans
le monde, c'est pour donner aux enfants une chance de distinguer entre
la vie ordinaire et la vie divine, la vie de vérité - de
voir les choses autrement. Il est inutile de vouloir répéter
ici la vie ordinaire.
Les professeurs ont pour mission d'ouvrir les yeux des enfants à
quelque chose qu'ils ne trouveront nulle part ailleurs.
La Mère
"Entretiens 1950-1951" (pages 1-4)
publié par Sri
Aurobindo Ashram - Pondichéry
diffusé par SABDA
(Une édition française aux Éditions Stock a existé
en 1981)
Entretien suivant: 23 décembre 1950
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