00 - Message
01 - La Perfection du Corps
02 - Le Corps Divin
03 - Le Supramental et la Vie Divine
04 - Le Supramental et l'Humanité
05 - Le Supramental dans l'Évolution
06 - Le Mental de Lumière
07 - Le Supramental et le Mental de Lumière |
Quelle serait donc, pour l'humanité, l'effet de la descente
supramentale dans notre existence terrestre, sa conséquence pour
cette espèce née dans un monde d'ignorance et d'inconscience
mais capable d'une évolution ascendante de la conscience et d'une
ascension en la lumière, en le pouvoir et la béatitude
d'un être spirituel et d'une nature spirituelle? La descente d'un
pouvoir créateur aussi suprême que le Supramental et sa
conscience-de-vérité dans la vie terrestre ne saurait
constituer un simple trait nouveau ou facteur nouveau qui viendrait
s'ajouter à cette vie ou se mettre au premier rang, sans autre
importance, ou dont l'importance serait purement restreinte, et sans
entraîner des conséquences qui affectent profondément
le reste de la nature terrestre. En particulier, ce Pouvoir ne pourrait
manquer d'exercer une influence immense sur la totalité de l'humanité,
et même d'entraîner un changement radical dans l'aspect
et dans les perspectives de son existence sur la terre, à supposer
qu'il n'ait pas d'autre effet capital sur le monde matériel où
il est descendu intervenir. Nous sommes obligés de penser que
l'influence, le changement accompli serait d'une portée incalculable
et même énorme : non seulement il instaurerait le Supramental
et une race d'êtres supramentaux sur la terre, mais il pourrait
provoquer une élévation en degré qui transformerait
le mental lui-même et, par suite, inévitablement, la conscience
de l'homme, être mental, en même temps qu'il entraînerait
un changement radical et transformateur dans le principe et dans la
forme de son existence, dans ses manières d'agir, dans toute
la structure et le cours de sa vie. Il ne fait pas de doute qu'il ouvrirait
à l'homme les portes de la conscience supramentale et de la vie
supramentale, car nous devons bien supposer que c'est par une transformation
de ce genre qu'une race supramentale sera créée, de même
que la race humaine s'est créée par une élévation
en degré, un élargissement de la conscience - moins radical,
certes, encore qu'il fût considérable -, une modification
de ses instruments corporels et de leurs capacités ou de leurs
pouvoirs évolutifs latents, mentaux et spirituels, qui tirèrent
l'homme de son état animal originel. Mais même sans aller
jusqu'à une transformation si complète, il se pourrait
que le Principe de Vérité remplaçât le principe
d'ignorance originelle que nous voyons ici - une ignorance qui cherche
la connaissance et qui parvient tout au plus à une connaissance
partielle - et que le mental humain pût devenir un pouvoir de
lumière, un pouvoir de connaissance allant à la découverte
d'elle-même, au lieu d'être l'habitant d'une pénombre
intermédiaire ou le serviteur et l'auxiliaire de l'Ignorance,
le pourvoyeur d'un mélange de vérité et d'erreur.
Il se pourrait même que le mental dans l'homme devînt ce
qu'il est en son origine fondamentale : une opération spécialisée,
limitée, subordonnée, du Supramental, un réceptacle
de vérité suffisamment lumineux pour qu'au moins toute
fausseté disparaisse de ses oeuvres.
On pourrait objecter tout de suite qu'un tel changement altérerait
tout l'ordre évolutif et son équilibre, laissant un vide
irrémédiable dans son intégrité : un abîme
infranchissable séparerait l'homme de l'animal et nul pont, nul
labeur évolutif ne saurait franchir ce hiatus pour continuer
la marche de la conscience, le progrès de l'animalité
à la divinité, puisque la métamorphose envisagée
supposerait une certaine sorte de divinité. On pourrait arguer
aussi que le procédé vrai de l'évolution a toujours
été d'ajouter un principe nouveau, un degré ou
un stade nouveau à l'ordre déjà existant et non
d'altérer d'aucune façon les caractères précédemment
établis. L'homme a fait son apparition, mais l'animal est resté
animal et n'a fait aucun progrès vers une semi-humanité
- les légères modifications de conscience, de capacités
et d'habitudes que la fréquentation de l'homme apporte aux animaux
domestiques ou le dressage que nous leur donnons sont simplement des
altérations mineures dans l'intelligence animale. Quant aux plantes,
elles ont encore moins de chance de pouvoir s'acheminer vers la conscience
animale, ou la matière brute de devenir le moins du monde consciente
d'elle-même ou de répondre, de réagir, fût-ce
d'une façon subconsciente ou semi-subconsciente. Les distinctions
fondamentales restent et doivent rester immuables dans l'ordre cosmique.
Mais cette objection suppose que l'humanité nouvelle doit nécessairement
être toute entière du même niveau; or, il se pourrait
fort bien qu'elle contienne des gradations de conscience qui serviraient
de pont entre ses éléments les moins développés
et les animaux supérieurs, et ceux-ci, bien qu'incapables de
passer à une espèce semi-humaine, pourraient cependant
s'acheminer vers une intelligence animale supérieure - certaines
expériences montrent que l'animalité supérieure
n'est pas du tout entièrement incapable de progrès. Ces
gradations suffiraient aux besoins de la transition - tout comme y suffisent
les êtres humains les moins développés dans l'échelle
actuelle - sans laisser un vide trop large pour déranger l'ordre
évolutif de l'univers. En fait, on observe un bond considérable,
un saltus entre les différents ordres - entre la matière
et la plante, entre la plante et les animaux inférieurs, entre
une espèce animale et l'autre - aussi grand que celui qui existe
encore entre l'animal supérieur et l'homme. Il n'y aurait donc
pas de solution de continuité irrémédiable dans
l'ordre évolutif, pas de distance si grande entre la mentalité
humaine et la mentalité animale, entre le type nouveau d'être
humain et le vieux niveau animal, qu'elle ne puisse être franchie
d'un bond ou qu'elle laisse un hiatus infranchissable qui empêcherait
l'âme animale la plus développée de passer au type
le moins développé de l'humanité nouvelle. Il y
aurait un bond, certes, un saltus, comme il en existe un maintenant,
mais ce ne serait pas entre l'animalité et la divinité,
pas entre le mental animal et le Supramental : ce serait un bond entre
le mental animal le plus hautement développé qui se tournerait
vers les possibilités humaines (car sans ce "tournant",
le passage de l'animal à l'homme ne saurait se faire) et le mental
humain qui s'éveille, sans doute pas encore à la réalisation
complète, mais à la possibilité de ses propres
capacités supérieures encore inatteintes.
Il se pourrait fort bien que l'un des résultats de l'intervention
du Supramental dans la nature terrestre, de la descente du suprême
Pouvoir-de-Vérité créateur, fût d'amener
un changement dans la loi de l'évolution, dans sa méthode,
son agencement : le principe de "l'évolution par la connaissance"
pourrait s'insérer dans les forces de l'univers matériel
avec un élément plus vaste. Cet élément
plus vaste pourrait faire ses débuts dans la création
nouvelle et se développer en produisant des effets croissants
sur l'ordre évolutif qui opère maintenant totalement dans
l'ignorance et qui, en fait, part de la complète nescience de
l'Inconscient pour s'acheminer vers ce que l'on peut considérer
comme une moindre ignorance, même à son sommet de connaissance,
car c'est plus une représentation de la connaissance qu'une possession
directe et complète. Si l'homme commençait à cultiver
quelque peu intégralement les pouvoirs et les moyens de la connaissance
supérieure, si l'animal évoluant ouvrait la porte de sa
mentalité à un début de pensée consciente
et même aux rudiments de la raison (à son apogée,
il n'en est pas si irrévocablement loin, même à
présent), si la plante faisait apparaître ses premières
réactions subconscientes et parvenait à une sorte de sensibilité
nerveuse primaire, si la matière - forme aveugle de l'Esprit
- s'éveillait davantage au Pouvoir caché en elle et livrait
plus aisément le sens secret des choses et les réalités
occultes qu'elle dissimule (par exemple, la mémoire du passé
qu'elle conserve toujours, même au sein de sa muette inconscience)
ou le fonctionnement de ses forces involuées et de ses mouvements
invisibles, et qu'elle révèle à une perception
devenue plus généralement subtile dans l'intelligence
nouvelle de l'homme les pouvoirs voilés dans la nature matérielle,
nous serions en présence d'un changement immense, qui promettrait
de plus vastes changements encore dans l'avenir - or, tout cela supposerait
simplement une élévation en degré et non une perturbation
de l'ordre universel. L'évolution évoluerait elle-même,
sans que ce soit un bouleversement pour elle ni un effondrement.
Pour nous, il est difficile de concevoir d'une façon théorique
ou d'admettre comme une possibilité pratique la transformation
de la mentalité humaine telle que nous l'avons envisagée,
c'est-à-dire un changement qui se produirait naturellement sous
l'autorité de la conscience-de-vérité supramentale,
parce que nos conceptions mentales sont enracinées dans l'expérience
de la mentalité humaine, dans un monde qui part de l'inconscience
et chemine dans une nescience primordiale presque totale, au milieu
d'une ignorance qui lentement s'atténue pour parvenir à
une connaissance très partiellement fournie - d'une haute qualité,
certes, mais toujours d'une étendue incomplète et d'une
méthode imparfaite - et qui ne suffit pas pleinement aux besoins
d'une conscience sans cesse en accélération vers son propre
absolu encore démesurément lointain. Les imperfections
et les limitations évidentes du mental au stade actuel de son
évolution ici-bas, nous les attribuons à sa nature même,
mais, en fait, les frontières où il se trouve encore parqué
sont simplement les limites temporaires et les mesures temporaires de
sa marche évolutive encore inachevée : ses défauts
de méthode et de moyens sont les fautes de son immaturité
et ne tiennent pas à l'essence de la constitution de son être;
ses réussites, bien qu'extraordinaires dans les conditions enchaînées
d'un être mental alourdi par ses instruments dans un corps terrestre,
sont infiniment en deçà et non au-delà de ce qui
lui sera possible dans son avenir illuminé. Car, par nature,
le mental n'est pas un inventeur d'erreurs, pas un "père
du mensonge" contraint à des moyens de fausseté et
marié à ses propres erreurs, ni le guide d'une vie trébuchante
comme il ne l'est que trop maintenant du fait de nos faiblesses humaines;
en son origine, c'est un principe de lumière, un instrument émané
du Supramental et, bien qu'établi pour travailler dans certaines
limites et même établi pour créer des limites, ses
limites sont néanmoins de simples frontières lumineuses
en vue d'un certain travail, des chaînes volontaires, intentionnelles,
un service du fini qui grandit à jamais sous l'oeil de l'infini.
Les caractéristiques vraies du Mental se révéleront
au contact du Supramental et elles feront de la mentalité humaine
un auxiliaire et un instrument mineur de la connaissance supramentale.
Et même, quand le mental ne sera plus limité par l'intellect,
il sera capable de se changer en une sorte de gnose mentale, de devenir
une sorte de reproduction lumineuse de la Vérité à
un degré réduit, de répandre le pouvoir de la Lumière
non seulement à son niveau particulier mais aux niveaux de conscience
plus bas pendant leur ascension vers la transcendance de soi. Le surmental,
l'intuition, le mental illuminé et ce que j'ai appelé
le "mental supérieur", tous ces niveaux, et d'autres
qui relèvent d'une mentalité spiritualisée, libérée,
seront capables de réfléchir plus ou moins leurs pouvoirs
dans le mental humain soulevé à un degré plus haut,
dans ses sentiments purifiés, dans sa force de vie et d'action
ennoblies, et de préparer l'ascension de l'âme aux plateaux
et aux pics de leur existence ascendante. Tel est le changement essentiel
que nous pouvons envisager comme la conséquence du nouvel ordre
évolutif; ceci supposerait un élargissement considérable
du champ évolutif lui-même et répond à la
question que nous posions quant aux effets sur l'humanité de
l'avènement du Supramental dans la nature terrestre.
Si, par son origine supramentale, le mental est en soi un pouvoir du
Supramental, un principe de Lumière et un pouvoir de Lumière,
une force de Connaissance qui spécialise son action à
des fins subordonnées, il revêt néanmoins un aspect
différent quand il passe à l'exécution des fins
en se séparant de plus en plus de la lumière supramentale,
du pouvoir direct et du support illuminateur du principe supramental.
Plus il s'éloigne de sa vérité supérieure
pour aller dans ce sens, plus il devient créateur ou parent de
l'ignorance et plus il est, ou semble être, le suprême pouvoir
dans un monde d'ignorance - il tombe lui-même dans la servitude
de l'ignorance et semble ne parvenir qu'à une connaissance partielle
et imparfaite. La raison de ce déclin vient de ce que le Supramental
se sert du mental principalement pour le travail de différenciation
qui est indispensable s'il doit y avoir une création ou un univers.
Dans le Supramental lui-même et dans tout ce qu'il crée,
ce pouvoir de différenciation existe - cette manifestation de
l'Un dans le Multiple et du Multiple en l'Un -, mais l'Un n'y est jamais
oublié ni perdu dans sa multiplicité qui toujours s'appuie
consciemment sur l'unité éternelle et ne prend jamais
la préséance sur elle. Par contre, dans le mental, la
différenciation, la multiplicité prend la préséance,
et la perception consciente de l'unité universelle est perdue,
si bien que la fraction séparée semble exister pour elle-même
et par elle-même comme un tout conscient de soi et se suffisant
à lui-même, ou comme un tout inconscient dans les objets
inanimés. Notons, pourtant, qu'un monde ou un plan du mental
n'est pas indispensablement un royaume de l'ignorance où la fausseté,
l'erreur et la nescience ont obligatoirement leur place : ce peut être
simplement une limitation volontaire de la connaissance. Ce peut être
un monde où toutes les possibilités susceptibles d'être
organisées par le mental pourraient se manifester dans la suite
des temps et trouver une forme vraie, et un champ d'action, la formule
qui les exprime, leur pouvoir de découverte de soi, de développement
et de réalisation dans une certaine mesure. C'est exactement
ce que nous montre l'expérience psychique quand on suit la ligne
de descente qui marque les étapes de l'involution aboutissant
à la matière et à la création de l'univers
matériel. Ce que nous voyons tout en bas, ce ne sont pas les
plans ni les mondes de la descente où le mental et la vie gardent
encore un peu de leur vérité et de la lumière de
l'esprit, un peu de leur être vrai, réel; nous voyons ici-bas
une inconscience originelle, une lutte de la vie, du mental et de l'esprit
qui cherchent à sortir de l'inconscience matérielle et
à se retrouver eux-mêmes dans l'ignorance résultante,
qui cherchent à croître vers leur pouvoir complet et leur
existence supérieure. Si le mental va jusqu'au bout de son entreprise,
nous ne voyons aucune raison qu'il ne puisse recouvrer ses caractéristiques
vraies et une fois de plus être un principe et un pouvoir de Lumière,
et même, à sa manière, prêter son concours
aux opérations d'une connaissance complète et vraie. À
son sommet, il peut sortir de ses limitations et passer dans la vérité
supramentale, devenir un organe ou une fonction de la connaissance supramentale,
ou, pour le moins, servir à un travail mineur de différenciation
au sein de cette totalité de connaissance : au degré immédiatement
en dessous du Supramental, il pourrait devenir une gnose mentale, avoir
des perceptions, des sentiments, des activités, des sens spirituels
ou spiritualisés et faire les travaux de la connaissance au lieu
des travaux de l'ignorance. Même à un niveau plus bas encore,
il pourrait servir de passage progressivement lumineux conduisant de
lumière en lumière et de vérité en vérité,
au lieu de tourner en rond dans les labyrinthes d'une demi-vérité
et d'une demi-nescience. Tout cela ne serait certes pas possible dans
un monde où un mental non transformé - le mental humain
tel qu'il existe maintenant sous le fardeau de ses incapacités
embrouillantes - serait encore le chef de l'évolution ou le suprême
accomplissement de l'évolution, mais si le Supramental devient
le pouvoir gouvernant à la tête, cela pourrait fort bien
se produire et l'on peut même considérer que ce serait
l'un des résultats presque inévitables de la descente
supramentale dans notre monde humain et de son influence sur le mental
de l'humanité.
Jusqu'où irait ce progrès ? L'humanité tout entière
serait-elle touchée ou seulement la partie qui est prête
au changement ? - Tout dépend de ce qui est voulu ou possible
dans l'ordre continu de l'univers. Si le vieux principe ou le vieil
ordre évolutif doit être préservé, alors
seule une fraction de l'espèce passera en avant tandis que le
reste gardera la vieille position humaine et son niveau humain, sa fonction
humaine dans l'ordre ascendant. Mais même s'il devait en être
ainsi, il faudrait encore qu'il y eût un passage ou un pont entre
les deux niveaux ou les deux ordres d'être afin que l'évolution
puisse faire sa transition de l'un à l'autre; or, le mental est
là et il serait capable d'avoir un contact avec la vérité
supramentale, d'être remodelé par elle et pourrait servir
ainsi d'instrument de passage de l'âme vers le haut - il faut
bien qu'il y ait un état où le mental soit capable de
recevoir la Lumière, de grandir dans la Lumière qui conduit
au Supramental, même sans y atteindre; or, à travers cet
état, comme il arrive déjà maintenant à
un moindre degré et dans une atmosphère plus obscure,
l'éclat d'une vérité plus grande pourrait faire
descendre ses rayons et libérer, élever l'âme enfermée
dans l'ignorance. Le Supramental existe ici, voilé par un écran
et, bien qu'il ne soit pas organisé pour fonctionner purement
à sa manière, il est la vraie cause de tout ce qui se
crée ici-bas : c'est lui, le pouvoir qui fait croître la
vérité et la connaissance, lui qui fait grimper l'âme
vers la Réalité cachée. Mais dans un monde où
le Supramental aura fait son apparition, il n'est guère possible
qu'il reste un facteur isolé du reste, séparé :
non seulement il créera le surhomme, inévitablement, mais
il changera l'homme et l'élèvera en degré. Le changement
total du principe mental tel que nous l'avons suggéré
ne peut pas être rejeté comme une impossibilité.
Le mental tel que nous le connaissons à notre niveau a un pouvoir
de conscience tout à fait différent du Supramental; ce
n'est plus un pouvoir délégué du Supramental, relié
à lui et qui repose sur lui : il est pratiquement divorcé
de son origine lumineuse et se distingue par plusieurs caractéristiques
que nous concevons comme les signes mêmes de sa nature - quoique
certaines de ces caractéristiques appartiennent aussi au Supramental,
et la différence n'est pas tant dans leur substance ni dans leur
principe que dans la manière et l'envergure de leur fonctionnement.
La différence est que le mental n'est pas un pouvoir de connaissance
totale; c'est seulement quand il commence à passer au-delà
de lui-même qu'il devient un pouvoir de connaissance directe :
il reçoit des rayons de la vérité mais ne vit pas
dans le soleil; il voit comme à travers des verres et sa connaissance
est colorée par ses instruments; il est incapable de voir le
soleil à l'oeil nu ni de regarder droit dans le soleil. Le mental
est dans l'impossibilité de prendre position dans le centre solaire
ni n'importe où au sein du corps rayonnant ni même à
la circonférence brillante de l'orbe de la vérité
parfaite et d'en obtenir ou d'en partager le privilège de connaissance
infaillible et absolue. Il faudrait qu'il se soit déjà
rapproché de la lumière du Supramental pour pouvoir simplement
vivre quelque part dans la vicinité de ce soleil, dans la pleine
splendeur de ses rayons, dans quelque chose qui ressemble au flamboiement
complet et direct de la Vérité; or, même à
son sommet, le mental humain est fort loin de cela, il peut tout au
plus vivre dans un cercle limité, dans quelque étroite
lueur d'une perception pure ou d'une vision directe; il lui faudrait
longtemps, même en se surpassant, pour toucher à quelque
reflet imitatif et fragmentaire du rêve d'omnipotence et d'omniscience
limitées qui sont le privilège des envoyés divins,
des dieux ou des démiurges. C'est un pouvoir de création,
certes, mais, ou bien il est incertain, tâtonnant, et touche au
but par chance ou à la faveur des circonstances, ou bien, s'il
a l'assurance de la force de quelque talent pratique ou du génie,
il reste sujet à des imperfections et enfermé en d'inéluctables
limites. Sa connaissance la plus haute est souvent abstraite, elle manque
de prise concrète; il doit se servir d'expédients et de
moyens peu sûrs pour arriver à quelque conclusion, dépendre
du raisonnement, de l'argumentation, du débat, d'inférences
et de divinations, de méthodes fixes de déduction et d'induction
logiques, et ne réussit que si on lui fournit des données
correctes et complètes; et même alors, partant des mêmes
données, il est susceptible d'arriver à des résultats
différents et à des conséquences contradictoires
- il doit se servir de moyens hasardeux et accepter les résultats
d'une méthode hasardeuse, même lorsqu'elle prétend
à la certitude, et il n'en aurait nul besoin s'il avait une connaissance
directe ou supra-intellectuelle. Point n'est besoin d'insister davantage
sur le tableau - tout cela fait partie de la nature même de notre
ignorance terrestre et son ombre s'accroche jusqu'à la pensée
ou à la vision du sage et du voyant; nous ne pouvons y échapper
que si un principe de connaissance consciente-de-la-vérité,
un principe supramental, descend et prend en main le gouvernement de
la nature terrestre.
Notons pourtant que, même au dernier échelon de la descente
involutive, même dans l'éclipse aveugle de la conscience
dans la matière, dans le domaine même du fonctionnement
de l'Inconscient, nous découvrons les signes d'une force infaillible
à l'oeuvre, la poussée d'une conscience secrète
et de ses instigations - comme si l'Inconscient lui-même était
secrètement animé et propulsé par un Pouvoir possédant
une connaissance directe et absolue; ses actes créateurs sont
infiniment plus sûrs que le fonctionnement de notre conscience
humaine la meilleure ou que le fonctionnement normal du pouvoir de vie.
La matière, ou plutôt l'énergie dans la matière,
semble avoir une connaissance plus certaine, des opérations à
elle plus infaillibles, et l'on peut généralement être
assuré qu'une fois mis en marche, son mécanisme fera le
travail avec précision et bien. C'est pour cela que, s'il s'empare
d'une énergie matérielle, l'homme peut la mécaniser
à ses fins et se fier à elle pour que, dans les conditions
voulues, elle fasse le travail à sa place. Le pouvoir autocréateur
de la vie, si étonnamment fertile en inventions et en fantaisies,
semble cependant davantage capable d'imperfections, d'aberrations, d'échecs
- comme si sa conscience plus grande contenait aussi une capacité
d'erreur plus grande. Pourtant, elle est assez généralement
sûre dans son fonctionnement, mais à mesure que la conscience
grandit dans les formes et dans les opérations de la vie, et
surtout quand le mental intervient, les perturbations augmentent aussi,
comme si l'accroissement de conscience entraînait non seulement
des possibilités plus riches, mais davantage de possibilités
de faux pas, d'erreur, d'imperfection et d'échec. Avec le mental
de l'homme, nous semblons toucher au faîte de cette antinomie
: plus l'étendue et les réalisations de la conscience
sont grandes, hautes, larges, plus la somme d'incertitudes, de défauts,
d'échecs et d'erreurs est grande. Peut-être pouvons-nous
conjecturer qu'il en est ainsi parce que, dans la Nature inconsciente,
la vérité de l'énergie à l'oeuvre suit infailliblement
sa propre loi; c'est une énergie qui peut marcher les yeux bandés,
sans trébucher, parce que la loi automatique de la vérité
est au fond d'elle et opère avec sûreté, sans déviation
ni faute, tant qu'il n'y a pas d'intervention ni d'intrusion extérieures.
Or, cette loi de vérité se trouve normalement dans tous
les processus automatiques de l'existence; même le corps possède
en propre une connaissance inexprimée, un instinct juste qui
guide son action dans certaines limites, et, tant que les désirs
de la vie et les erreurs du mental n'interviennent pas, il peut fonctionner
avec quelque précision et une sorte de sûreté. Mais
seul le Supramental possède intégralement la conscience-de-vérité;
par conséquent, s'il descend et qu'il intervienne, le mental,
la vie et le corps aussi peuvent parvenir au pouvoir intégral
de la vérité qui est au fond d'eux-mêmes et à
une possibilité de perfection intégrale. Sans doute tout
cela ne se produira-t-il pas tout de suite, mais un progrès évolutif
dans ce sens pourrait s'amorcer et grandir d'une façon accélérée
vers cette intégralité. Tous les hommes ne parviendraient
peut-être pas à cette plénitude avant une époque
lointaine mais, cependant, le mental humain pourrait finir par devenir
parfait dans la Lumière et une nouvelle humanité pourrait
apparaître au sein d'un ordre nouveau.
Telle est la possibilité que nous devons examiner. Si cette possibilité
est destinée à s'accomplir, si l'homme n'est pas condamné
à rester à jamais le vassal de l'Ignorance, il faut croire
que les incapacités du mental humain soulignées ici ne
sont pas telles qu'elles doivent nous habiter irrémédiablement
et rester à jamais obligatoires.
Le mental de l'homme pourrait façonner des moyens et des organes
supérieurs, franchir les ultimes frontières de l'Ignorance
et entrer dans une connaissance plus haute, devenir assez fort pour
ne plus se laisser retenir en arrière par la nature animale.
Nous verrions apparaître un mental libéré qui s'échapperait
de l'ignorance et passerait dans la lumière, un mental conscient
de sa filiation avec le Supramental, un agent naturel du Supramental
qui serait capable de faire descendre l'influence supramentale dans
les régions inférieures de l'être, un créateur
dans la lumière, un explorateur des profondeurs, un illuminateur
de l'obscurité et qui servirait peut-être même à
transpercer l'Inconscient par les rayons d'une Supraconscience secrète.
Nous verrions apparaître un être mental nouveau, non seulement
capable de soutenir l'illumination du rayonnement supramental mais capable
aussi de grimper consciemment jusqu'à lui, en lui, d'acclimater
la vie et le corps à refléter et à contenir un
peu la lumière, le pouvoir et la béatitude supramentales,
un être qui aspirerait à délivrer la divinité
secrète et l'amènerait à la découverte d'elle-même,
à l'accomplissement d'elle-même, à la maîtrise
d'elle-même, qui aspirerait à s'élever à
la conscience divine, serait capable de recevoir et de supporter la
descente de la lumière et du pouvoir divins, et se préparerait
à devenir un réceptacle de la Vie divine.
Sri Aurobindo
(Traduction de La Mère)
Bulletin, le 13 janvier 1950
in "La Manifestation Supramentale sur la Terre" - Pages
105-126
publié par Sri
Aurobindo Ashram - Pondichéry - Inde - 1957
diffusé par SABDA
Il existe aussi une édition chez Buchet-Chastel - Paris 1974
Parmi les librairies de vente en ligne vous pouvez consulter Alapage
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