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en anglais ici |
Foi et Shakti
Nous avons jusqu'à présent étudié les caractéristiques
générales des trois parties de la perfection des instruments
de notre nature : la perfection de l'intelligence, du coeur, de la conscience
vitale et du corps, puis la perfection des pouvoirs fondamentaux de l'âme,
et finalement la perfection de la soumission de nos instruments et de
notre action à la Shakti divine ; mais ces trois parties dépendent
à chaque instant d'un quatrième pouvoir pour progresser,
et ce pouvoir, visiblement ou non, est le pivot de toute entreprise et
de toute action: la foi, shraddhâ. La foi parfaite est l'assentiment
de tout l'être à la vérité qu'il a vue ou qui
s'est offerte à son acceptation, et son ressort central est la
foi de l'âme en sa propre volonté d'être, de réaliser
et de devenir, une foi en son idée d'elle-même et des choses
et en sa connaissance, dont les croyances de l'intellect, le consentement
du coeur et le désir mental-vital de possession et de réalisation
sont des formes extérieures. Cette foi de l'âme, sous une
forme ou une autre, est indispensable à l'action de l'être
; sans elle, l'homme ne pourrait pas faire un seul pas dans la vie, et
encore moins avancer vers une perfection encore inatteinte. La foi est
un élément si central et si essentiel que la Guîta
dit à juste titre que, quelle que soit la shraddâ d'un
homme, cela il l'est, yô yacchraddhah sa éva sah, et
l'on peut ajouter : quelle que soit la chose qu'il voie comme possible
en lui-même avec foi et vers quoi il tende, cela il peut le créer
et le devenir. Il existe un genre de foi indispensable pour le yoga intégral
: on peut l'appeler la foi en Dieu et en la Shakti, la foi en la présence
et en le pouvoir du Divin en nous et dans le monde, la foi que tout, dans
le monde, est l'action d'une unique Shakti divine, la foi que tous les
pas du yoga, tous ses efforts, ses souffrances, ses échecs autant
que ses succès et ses satisfactions et ses victoires, sont utiles
et nécessaires à la marche de la Shakti, et que, par une
forte et ferme confiance, par un total don de soi au Divin et à
sa Shakti en nous, nous pouvons parvenir à l'unité, à
la liberté, à la victoire et à la perfection.
L'ennemi de la foi est le doute, et pourtant le doute aussi est utile
et nécessaire, parce que, dans son ignorance et son labeur progressif
vers la connaissance, l'homme a besoin d'être visité par
le doute, sinon il resterait obstinément enfermé dans une
croyance ignorante ou une connaissance limitée et il serait incapable
d'échapper à ses erreurs. L'utilité et la nécessité
du doute ne disparaissent pas tout à fait quand nous entrons sur
la voie du yoga. Le yoga intégral ne vise pas simplement à
la connaissance de quelque principe fondamental mais à une compréhension,
à une gnose qui s'applique à toute la vie, à toute
l'action du monde et l'embrasse tout entière ; or, dans cette recherche
de la connaissance, nous nous mettons en route et sommes accompagnés
pendant des kilomètres par les activités non régénérées
du mental, jusqu'à ce que celles-ci soient purifiées et
transformées par une lumière plus grande ; nous emportons
avec nous quantité de croyances intellectuelles et d'idées
qui sont fort loin d'être toutes correctes ni parfaites, puis une
troupe d'idées nouvelles et de suggestions viennent à notre
rencontre pour nous demander créance ; or, il serait fatal de s'en
emparer et de s'y accrocher pour toujours sous la forme qu'elles revêtent,
sans nous soucier des erreurs, des limitations ou des imperfections qu'elles
peuvent recéler. En vérité, à un certain stade
du yoga, il devient indispensable de refuser d'accepter comme définitive
et ultime toute idée intellectuelle ou opinion de forme intellectuelle,
et de la garder en suspens, interrogativement, jusqu'à ce qu'elle
trouve sa place exacte et sa forme de vérité lumineuse dans
une expérience spirituelle illuminée par la connaissance
supramentale. Il en va de même, et plus encore, quand il s'agit
des désirs ou des impulsions mentales-vitales que nous sommes souvent
obligés d'accepter provisoirement comme l'indication immédiate
d'une action temporairement nécessaire, jusqu'à ce que nous
puissions recevoir la direction complète ; mais nous ne devons
pas nous y attacher pour toujours avec le total consentement de l'âme,
car, finalement, tous ces désirs et toutes ces impulsions doivent
être rejetés, ou transformés et remplacés par
les impulsions de la volonté divine qui prendra en main les mouvements
de notre vie. La foi du coeur, les croyances émotives et leur assentiment
sont nécessaires aussi sur le chemin, mais ils ne sont pas toujours
des guides très sûrs tant que, eux aussi, n'ont pas été
pris en main, purifiés, transformés, et finalement remplacés
par l'assentiment lumineux d'un Ananda divin qui ne fait qu'un avec la
volonté et avec la connaissance divines. Il n'est rien dans la
nature inférieure, de la raison jusqu'à la volonté
vitale, à quoi le chercheur du yoga puisse accorder une foi totale
et permanente, sauf, tout au bout, à la vérité, au
pouvoir et à l'Ananda spirituels qui, en la raison spirituelle,
deviennent ses seuls guides, ses luminaires et les maîtres de son
action.
Et pourtant, la foi est nécessaire d'un bout à l'autre et
à chaque pas, parce que c'est l'assentiment indispensable de l'âme,
et sans cet assentiment il ne peut pas y avoir de progrès. Et d'abord,
notre foi doit rester fidèle à la vérité essentielle
et aux principes du yoga ; même si elle est voilée dans l'intellect,
découragée dans le coeur, lassée et épuisée
par les négations et les échecs constants des désirs
du mental-vital, il faut que quelque chose dans l'âme profonde s'accroche
à elle et y retourne, sinon nous risquons de tomber en chemin ou
de l'abandonner par faiblesse et incapacité de supporter une défaite,
une déception, une difficulté OU un péril temporaires.
Dans le yoga, comme dans la vie, celui qui persiste inlassablement et
jusqu'au bout en face de toutes les défaites et de toutes les désillusions,
tous les événements contradictoires et les pouvoirs hostiles
qui l'assaillent, celui-là, à la fin, conquiert et voit
sa foi justifiée, parce que rien n'est impossible à l'âme
et à la Shakti dans l'homme. Même une foi aveugle et ignorante
est une possession meilleure que le doute sceptique qui tourne le dos
à nos possibilités spirituelles, ou que la censure constante
d'un intellect étroit, mesquinement critique et démolisseur
(asoûyâ), qui harcèle notre entreprise par ses
incertitudes paralysantes. D'une manière ou d'une autre, le chercheur
du yoga intégral doit conquérir ces deux imperfections.
Ce à quoi il a donné son assentiment et qu'en son mental,
son coeur et sa volonté, il a décidé d'accomplir
- la perfection divine de l'être humain total - est apparemment
une impossibilité pour l'intelligence normale puisqu'elle s'oppose
aux faits concrets de la vie et sera pendant longtemps contredite par
l'expérience immédiate, comme il en est de tous les buts
lointains et difficiles ; elle est même démentie par bon
nombre de ceux qui ont une expérience spirituelle et qui croient
que notre nature actuelle est la seule nature possible pour l'homme dans
un corps, et que c'est seulement en rejetant la vie terrestre, ou même
toute existence individuelle, que l'on peut parvenir à une perfection
céleste ou à la délivrance dans l'anéantissement.
Dans la poursuite de notre but, nous trouverons pendant longtemps de nombreuses
justifications aux objections et censures (asoûyâ) de
cette raison critique ignorante et obstinée qui se fonde avec tant
de plausibilité sur les apparences du moment, sur le répertoire
des faits et des expériences établies, qui refuse d'aller
plus loin et questionne la validité de tous les signes, toutes
les illuminations annonçant notre avance ; et si le chercheur cède
à ces étroites suggestions, il n'arrivera pas au but, ou
il sera sérieusement entravé et, pendant longtemps, retardé
dans son voyage. Par contre, l'ignorance et l'aveuglement de la foi font
obstacle à un large succès ; ils appellent bien des déceptions
et des désillusions, lient à de faux buts et empêchent
d'avancer vers des formulations plus vastes de la vérité
et de la perfection. Dans sa marche, la Shakti frappera sans merci toutes
les formes d'ignorance et d'aveuglement, elle frappera même tout
ce qui se fie à elle erronément et superstitieusement -
nous devons être prêts à abandonner un attachement
trop persistant aux formes de la foi et nous agripper seulement à
la réalité qui sauve. Une foi spirituelle et intelligente,
forte, vaste - intelligente de cette intelligence de l'autre raison plus
large qui consent aux hautes possibilités -, tel est le caractère
de la shraddhâ indispensable au yoga intégral.
Cette shraddhâ (le mot anglais faith, ou foi
est inadéquat pour l'exprimer) est en fait une influence venue
de l'Esprit suprême et de sa lumière, un message de notre
être supramental qui appelle la nature inférieure à
sortir de son petit état actuel et à s'élever à
un vaste devenir, un dépassement de soi. Or, ce qui reçoit
l'influence et répond à l'appel, n'est pas tant l'intellect,
le coeur ni le mental-vital, que l'âme intérieure qui voit
avec plus de clairvoyance la vérité de sa propre destinée
et de sa mission. Les circonstances qui déterminent notre première
entrée sur le chemin ne sont pas l'indice véritable de l'être
qui oeuvre en nous. À ce stade, l'intellect, le coeur ou les désirs
du mental-vital peuvent jouer un rôle prépondérant,
ou même les accidents fortuits et les stimulants extérieurs
; mais s'il n'y a pas autre chose, nous ne pouvons guère être
sûrs de notre fidélité à l'appel ni de notre
persévérance endurante dans le yoga. L'intellect peut abandonner
l'idée qui l'avait séduit, le coeur se fatiguer ou nous
manquer, le désir du mental-vital se tourner vers d'autres objets.
Mais les circonstances extérieures ne sont qu'une couverture des
opérations véritables de l'esprit et si c'est l'esprit qui
a été touché, si c'est l'âme intérieure
qui a reçu l'appel, la shraddhâ restera ferme et résistera
à toutes les tentatives qui voudraient l'abattre ou la détruire.
Non pas que les doutes de l'intellect ne viendront pas à l'assaut,
que le coeur ne vacillera pas, que le désir du mental-vital, désappointé,
ne retombera pas épuisé au bord du chemin. Tout cela est
presque inévitable parfois - souvent peut-être, surtout pour
nous, fils d'un âge d'intellectualité, de scepticisme et
de négation matérialiste de la vérité spirituelle,
un âge qui n'a pas encore secoué les nuages qu'il a peints
sur la face du soleil d'une réalité plus vaste et qui résiste
encore à la lumière de l'intuition spirituelle et de l'expérience
profonde. Très probablement, ces obscurcissements pénibles
seront nombreux ; les Rishis védiques eux-mêmes, si souvent,
se sont plaints de ces longs exils de la lumière ;
et ces obscurcissements peuvent être si épais, la nuit de
l'âme si noire, que la foi peut sembler nous avoir totalement quittés.
Mais tout du long, l'esprit au-dedans garde son emprise invisible, et
l'âme reviendra avec une force nouvelle à sa certitude qui
était seulement éclipsée mais non éteinte,
car, éteinte, elle ne peut l'être une fois que le moi intérieur
a connu cela et pris sa résolution - samkalpa, vjavasâya.
Tout du long, le Divin tient notre main, et s'il semble nous laisser chuter,
c'est seulement pour nous soulever plus haut. L'expérience de ces
retours sauveurs, nous l'aurons si souvent que les démentis du
doute deviendront finalement impossibles et, une fois le fondement d'égalité
solidement établi ou, plus encore, quand le soleil de la gnose
se sera levé, même le doute disparaîtra, parce que
sa cause et son utilité auront cessé.
En outre, ce n'est pas seulement la foi en les principes fondamentaux,
dans les idées et la voie du yoga, qui est nécessaire, mais,
jour après jour, une foi pratique en notre propre pouvoir de réalisation,
en les pas que nous avons accomplis sur le chemin, en les expériences
spirituelles qui viennent à nous, en les intuitions, les mouvements
qui guident la volonté et l'impulsion, en les intensités
émues du coeur et les aspirations, en les accomplissements de la
vie qui viennent aider, entourer et marquer les étapes de l'élargissement
de la nature, stimuler ou jalonner les degrés de l'évolution
de l'âme. Aussi, il faut toujours se souvenir que nous partons de
l'imperfection et de l'ignorance, et que nous sommes en route vers la
lumière et la perfection ; par conséquent, la foi en nous
doit être libre de tout attachement aux formes de notre effort et
aux étapes successives de notre réalisation. Non seulement
il y aura bien des choses en nous qui seront fortement soulevées
afin d'être extirpées et rejetées, une bataille des
pouvoirs de l'ignorance et de la nature inférieure contre les pouvoirs
supérieurs qui doivent les remplacer, mais il y aura aussi des
expériences, des états de pensée et de sentiment,
des formes de réalisation - utiles et acceptables en cours de route,
et qui peuvent nous apparaître, sur le moment, comme des sommets
spirituels -, mais qui, plus tard, nous nous en apercevrons, sont des
étapes de transition à dépasser ; alors la foi pratique
qui les avait soutenus doit être retirée en faveur de formes
plus larges, ou de réalisations et d'expériences plus pleines,
plus vastes, qui prendront leur place ou en lesquelles ils seront intégrés
et complétés dans une transformation enrichissante. Pour
le chercheur du yoga intégral, il ne peut pas y avoir d'attachement
aux lieux de repos en route ni aux demeures à mi-chemin ; il ne
peut pas être satisfait tant qu'il n'aura pas établi totalement
les grandes bases durables de sa perfection et débouché
sur les infinitudes larges et libres - et même alors, il doit constamment
se remplir d'expériences nouvelles de l'Infini. Son progrès
est une ascension de niveau en niveau et chaque hauteur nouvelle s'ouvre
sur d'autres perspectives, d'autres révélations de tout
ce qui reste encore à accomplir, bhoûri kartwam, jusqu'au
jour où la Shakti divine, enfin, prendra en main toute notre entreprise
et le chercheur n'aura plus, alors, qu'à adhérer et à
participer joyeusement à Ses oeuvres lumineuses dans une union
consentante. Ce qui le soutiendra tout au long de ces changements, ces
luttes, ces transformations - qui autrement peuvent être décourageantes,
déconcertantes, car l'intellect, la vie et les émotions
veulent toujours s'emparer trop vite du but, se fixer à des certitudes
prématurées, et se laissent volontiers aller à l'affliction
ou au rechignement quand ils sont forcés d'abandonner ce sur quoi
ils se reposaient -, c'est une foi solide en la Shakti qui travaille et
une confiance en la direction du Maître du Yoga dont la sagesse
n'est pas pressée et dont chaque pas, en dépit de toutes
les perplexités du mental, est assuré, juste, ferme, parce
que chacun se fonde sur une parfaite compréhension des transactions
avec les nécessités de notre nature.
Le progrès du yoga est semblable à un lent cheminement qui
part de l'ignorance mentale et passe par des formations imparfaites pour
aboutir à un fondement de connaissance parfait et à une
connaissance grandissante ; dans ses parties plus positivement satisfaisantes,
c'est un mouvement qui va d'une lumière à une autre lumière
plus vaste, et il ne peut cesser jusqu'à ce que nous arrivions
à la suprême lumière de la connaissance supramentale.
Les mouvements du progrès mental sont nécessairement mélangés
à une proportion d'erreur plus ou moins grande, mais nous ne devons
pas permettre à notre foi d'être déconcertée
par la découverte de ces erreurs, ni imaginer que notre foi première
en l'âme n'est plus valable sous prétexte que les croyances
intellectuelles qui nous avaient aidés étaient trop hâtives
et trop tranchantes. L'intellect humain a trop peur de l'erreur, justement
parce qu'il est trop attaché à un sentiment prématuré
de certitude et que son ardeur est trop empressée d'arriver au
sommet absolu de ce qu'il croyait avoir saisi de la connaissance. Plus
notre expérience de nous-même grandit, plus nous nous apercevons
que même nos erreurs étaient des mouvements nécessaires
; qu'elles apportaient avec elles et déposaient leur sédiment
de vérité ou leur suggestion de vérité, et
qu'elles avaient aidé à la découverte ou prêté
leur appui à un effort nécessaire, et que les certitudes
qu'il nous faut abandonner maintenant avaient tout de même leur
validité temporaire dans le progrès de notre connaissance.
L'intellect ne peut pas être un guide suffisant dans la recherche
de la vérité et de la réalisation spirituelles, et,
pourtant, il doit être utilisé dans le mouvement intégral
de notre nature. Par conséquent, même si nous devons rejeter
les doutes paralysants ou le scepticisme purement intellectuel, l'intelligence
chercheuse doit néanmoins s'entraîner à une large
remise en question, à une rectitude intellectuelle qui ne se satisfait
point des demi-vérités, des mélanges d'erreurs ou
d'approximations et, surtout, plus positivement et plus utilement, elle
doit être toujours prête à aller de l'avant et à
passer des vérités déjà acquises ou acceptées
à des vérités rectificatives plus vastes, plus complètes,
plus transcendantes, que tout d'abord elle avait été incapable
d'accepter, ou peut-être même peu encline à envisager.
Une foi pratique de l'intellect est indispensable - non pas une croyance
superstitieuse, dogmatique, limitative, qui s'accroche à chaque
support et à chaque formule temporaires, mais un large assentiment
aux suggestions successives et aux étapes progressives de la Shakti
: une foi fixée sur les réalités et qui s'avance
des réalités moindres vers des réalités plus
complètes, prête à jeter bas tous les échafaudages
pour retenir seulement la vaste structure qui grandit.
Une shraddhâ constante, une foi, un consentement constants
du coeur et de la vie sont également indispensables. Mais tant
que nous sommes dans la nature inférieure, le consentement du coeur
est teinté d'émotions mentales, et les mouvements de la
vie s'accompagnent d'un sillage de désirs troublants et de tensions
; or, les émotions mentales et le désir amènent la
confusion, ils altèrent plus ou moins grossièrement ou subtilement
la vérité et la déforment, et, toujours, ils apportent
quelque limitation ou imperfection dans la réalisation que le coeur
et la vie peuvent avoir de la vérité. Le coeur aussi, quand
il est dérangé dans ses attachements et ses certitudes,
troublé par des déconvenues ou des échecs, convaincu
d'erreur, ou lorsqu'il s'est engagé dans la lutte qui l'enjoint
à dépasser ses positions assurées, il a ses traînardises,
ses lassitudes, ses chagrins, ses révoltes, ses résistances
qui entravent le progrès. Il doit apprendre à avoir une
foi plus large et plus sûre et, au lieu de répondre par des
réactions mentales, donner une acceptation spirituelle calme ou
vibrante aux manières et aux mesures de la Shakti - une acceptation
qui, en fait, est l'assentiment d'un Ananda de plus en plus profond à
tous les mouvements nécessaires, un empressement à quitter
les vieilles amarres pour avancer toujours plus loin vers la félicité
d'une perfection supérieure. Le mental-vital doit donner son assentiment
aux impulsions, aux activités et aux mobiles successifs de la vie
qui lui sont imposés par le pouvoir-guide comme des aides ou des
terrains de développement de la nature ; il doit donner son assentiment
aussi aux mouvements successifs du yoga intérieur, mais il ne doit
avoir nul attachement et ne demander nulle part de halte ; toujours, il
doit être prêt à quitter les vieilles urgences et à
accepter, avec le même assentiment complet, des activités
et des mouvements nouveaux plus élevés ; et il doit apprendre
à remplacer le désir par un vaste Ananda clair dans toutes
les expériences et dans toutes les actions. Comme la foi de l'intelligence,
la foi du coeur et la foi du mental-vital doivent être capables
de se rectifier, s'élargir et se transformer constamment.
Essentiellement, cette foi est la shraddhâ secrète
de l'âme ; elle émerge de plus en plus à la surface
et s'affermit, s'entretient, s'accroît avec la solidité et
la certitude grandissantes de l'expérience spirituelle. Ici aussi,
cette foi en nous doit être sans attachement ; elle doit se mettre
à la disposition de la Vérité et être prête
à changer, à élargir sa compréhension des
expériences spirituelles, à corriger les idées erronées
ou à demi vraies qu'elle pouvait avoir et à recevoir des
interprétations plus illuminatrices, à remplacer les intuitions
insuffisantes par des intuitions plus suffisantes et à refondre
en des combinaisons plus satisfaisantes des expériences qui, sur
le moment, avaient semblé définitives et satisfaisantes,
en les combinant d'une façon plus satisfaisante à des expériences
nouvelles, des largeurs et des transcendances plus vastes. Dans le domaine
psychique surtout et les autres domaines intermédiaires, les possibilités
d'erreurs fourvoyantes et souvent captivantes sont considérables
; c'est ici que même une certaine somme de scepticisme positif a
son utilité, et, en tout cas, une grande précaution et une
rectitude intellectuelle scrupuleuse, mais non le scepticisme du mental
ordinaire qui équivaut à une négation paralysante.
Dans le yoga intégral, les expériences psychiques (surtout
celles qui s'associent à ce qu'on appelle souvent occultisme
et qui tiennent du miraculeux) doivent être complètement
subordonnées à la vérité spirituelle et s'en
remettre à elle pour être interprétées, illuminées,
autorisées. Mais même dans le domaine purement spirituel,
il existe des expériences partielles et, bien qu'attrayantes, elles
n'acquièrent leur validité et leur signification complètes
ou leur application correcte que quand nous parvenons à une expérience
plus totale. Et il existe d'autres expériences, qui en elles-mêmes
sont tout à fait valables, complètes, absolues, mais qui,
si nous nous y enfermons, empêchent d'autres aspects de la vérité
spirituelle de se manifester et, ainsi, tronquent l'intégralité
du yoga. Par exemple, la profonde quiétude absorbante de la paix
impersonnelle qui survient avec l'immobilisation du mental est une expérience
complète et absolue en soi, mais si nous en restons là,
elle fermera la porte à son compagnon absolu (non moins grand,
non moins nécessaire, non moins vrai) de la béatitude de
l'action divine. Ici aussi, notre foi doit être un acquiescement
à recevoir toutes les expériences spirituelles, mais avec
une large ouverture, un empressement à vouloir toujours plus de
lumière et de vérité, une absence de tout attachement
limitateur et sans jamais s'accrocher aux formes qui pourraient entraver
la marche en avant de la Shakti vers l'intégralité de l'être,
de la conscience, de la connaissance, de l'action et du pouvoir spirituels
et vers la totalité de l'Ananda unique et innombrable.
La foi que l'on demande de nous, non seulement dans son principe général
mais dans son application constante et détaillée, équivaut
à un vaste assentiment, toujours plus grand, toujours plus pur,
plus complet, plus fort, de l'être tout entier et de toutes ses
parties à la présence et à la direction de Dieu et
de la Shakti. Mais la foi en la Shakti, tant que nous ne sommes pas conscients
de sa présence et remplis par elle, doit nécessairement
être précédée, ou du moins accompagnée,
d'une solide foi virile en notre propre volonté et en notre propre
énergie spirituelle, en notre propre pouvoir d'avancer victorieusement
vers l'unité, vers la liberté et la perfection. La foi de
l'homme en lui-même, en ses idées, ses pouvoirs, lui est
donnée afin qu'il puisse oeuvrer et créer, s'élever
à des hauteurs plus grandes, et finalement, au bout du chemin,
apporter sa force comme une noble offrande sur l'autel de l'Esprit. Cet
esprit ne sera pas conquis par le faible, dit l'Écriture, nâyam
âtrnâ balahînéna labhyah. Chaque manque de
confiance en soi paralysant doit être repoussé, chaque doute
en notre pouvoir d'accomplir, car c'est un faux acquiescement à
l'impuissance, c'est une imagination de faiblesse et une négation
de la toute-puissance de l'esprit. Une incapacité actuelle, si
lourde semble son poids, est seulement une épreuve de la foi et
une difficulté temporaire ; céder à un sentiment
d'incapacité est un non-sens pour le chercheur du yoga intégral,
puisque son but est le développement d'une perfection qui est déjà
là, latente en son être - car l'homme porte en lui-même,
dans son propre esprit, la semence de la vie divine, et, par conséquent,
la possibilité de succès est contenue et impliquée
dans l'effort même, et la victoire assurée parce que, derrière,
se trouvent l'appel et la direction d'un pouvoir omnipotent. Mais en même
temps, cette foi en nous-mêmes doit être purifiée de
toute trace d'égoïsme râdjasique et de tout orgueil
spirituel. Le sâdhak doit se rappeler, autant que possible, que
sa force n'est pas la sienne au sens égoïste, mais celle de
la Shakti divine universelle, et que tout égoïsme dans l'usage
qu'il fait de la Shakti est nécessairement une cause de limitation
et finalement un obstacle. Le pouvoir de la Shakti divine universelle
derrière notre aspiration est illimité, et, si nous y faisons
appel comme il faut, il ne peut manquer de se déverser en nous
et de faire disparaître toute incapacité et tout obstacle,
tôt ou tard ; car, bien que le temps et la durée de nos luttes
dépendent au début (comme un instrument et partiellement)
de la force de notre foi et de notre effort, ils sont pourtant, en fin
de compte, entre les mains de la sage détermination de l'Esprit
secret qui seul est le Maître du yoga : l'Îshwara.
La foi en la Shakti divine doit être toujours l'appui secret de
notre force, et quand Elle se manifeste, cette foi doit être sans
réserve et devenir complète. Rien ne lui est impossible,
car Elle est le Pouvoir conscient, la Divinité universelle qui
crée toute chose de toute éternité : Elle est armée
de l'omnipotence de l'Esprit. Toute connaissance, toute force, tous les
triomphes et les victoires, toutes les habiletés et les oeuvres
sont entre ses mains, et ses mains sont pleines des trésors de
l'Esprit, emplies de toutes les perfections, toutes les siddhi. Elle est
Mahéshwarî, la déesse de la connaissance suprême,
et Elle nous apporte sa vision de toutes les sortes de vérité,
les immensités de la vérité, la rectitude de sa volonté
spirituelle, le calme et la passion de son ampleur supramentale, la félicité
de son illumination ; Elle est Mahâkâlî, la déesse
de la force suprême : avec Elle, se trouvent toutes les puissances,
toutes les vigueurs spirituelles, les austérités des plus
sévères tapas et la rapidité dans la bataille, la
victoire et le rire (attahâsya,) qui se fait un jeu de la
défaite, de 1a mort et des pouvoirs de l'ignorance ; Elle est Mahâlakshmî,
la déesse de l'amour et de la félicité suprêmes
: ses dons sont la grâce de l'esprit, le charme et la beauté
de l'Ananda, la protection et toutes les bénédictions divines
et humaines ; Elle est Mahâsaraswatî, la déesse de
l'habileté divine et des oeuvres de l'Esprit : avec Elle, est le
yoga qui est l'habileté dans les oeuvres, yogah karmasou kaushalam,
les utilités pratiques de la connaissance divine, l'application
de l'esprit à la vie et le bonheur des harmonies spirituelles.
Et en chacun de ses pouvoirs, chacune de ses formes, Elle recèle
le sens suprême des maîtrises de l'Ishwarî éternelle,
l'aptitude rapide et divine aux activités de toutes sortes que
l'instrument peut être appelé à entreprendre, l'unité,
la sympathie qui partage, la libre identité avec toutes les énergies
dans tous les êtres et, par suite, l'harmonie spontanée,
fructueuse, avec la volonté divine dans l'univers. Le sentiment
intime de sa présence et de ses pouvoirs, l'heureux acquiescement
de tout l'être à ses oeuvres en nous et autour de nous, telle
est l'ultime perfection de la foi en la Shakti.
Mais, derrière Elle, se trouve l'Îshwara ; or, la foi en
l'Îshwara est l'élément le plus central de la shraddhâ
du yoga intégral. Nous devons avoir cette foi (une foi qu'il
faut pousser à la perfection) que toutes choses sont l'oeuvre d'une
connaissance et d'une sagesse suprêmes dans les conditions de l'univers,
que rien de ce qui se fait en nous ou autour de nous n'est en vain et
sans sa place assignée ou son sens juste, que tout est possible
quand l'Îshwara, notre Moi et Esprit suprême, entreprend l'action,
et que tout ce qui a été fait avant et tout ce qu'il fera
dans l'avenir faisait partie et fera partie de sa direction prévoyante,
infaillible, et visait à la fructification de notre yoga, de notre
perfection et du travail de notre vie. Plus la connaissance supérieure
s'ouvrira, plus cette foi se trouvera justifiée ; nous commencerons
à voir les grandes et petites significations qui avaient échappé
à notre mentalité limitée : la foi se changera en
connaissance. Alors, sans aucun doute possible, nous verrons que tout
ce qui arrive fait partie de l'oeuvre de l'unique volonté, et que
cette volonté était aussi une sagesse, car elle façonne
sans cesse la marche exacte du moi et de la nature dans la vie. L'état
suprême de l'acquiescement, la shraddhâ de l'être
sera parfaite, quand nous sentirons la présence de l'Îshwara,
percevrons que toute notre existence, toute notre conscience, notre pensée,
notre volonté, notre action, sont entre ses mains et qu'en toutes
choses nous consentirons avec toutes les parties de notre être et
de notre nature à la volonté directe et immanente de l'Esprit
qui nous habite. Cette perfection suprême de la shraddhâ
sera aussi la porte d'entrée et le fondement parfait de l'énergie
divine : quand la shraddhâ sera complète, elle sera
la base de la croissance, de la manifestation et des oeuvres de la lumineuse
Shakti supramentale.
Sri Aurobindo
(Traduction de La Mère)
in "La Synthèse des Yoga" - Volume 3 : Le Yoga de
la Perfection de soi
Pages 255-272
publié par Sri
Aurobindo Ashram - Pondichéry
diffusion par SABDA
également disponible aux Editions Buchet-Chastel à Paris
(France)
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