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La Vie Divine

par Sri Aurobindo

Livre 2 - Partie 2 - Chapitre 2-26

L'Ascension vers le Supramental

Ce chapitre a été entièrement écrit spécialement en 1939
pour l'édition (anglaise) de 1940
La traduction française est de La Mère (faite en 1956-1957)

Ce chapitre est le quatrième de l'oeuvre publiée à part
sous le titre "L'évolution spirituelle"

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Maîtres de la Lumière de Vérité qui font grandir la Vérité par la Vérité.
Rig-Véda. 1 23.5.

Trois pouvoirs de la Parole qui portent la Lumière devant eux, ... une triple maison de paix, un triple chemin de la Lumière.
Rig-Véda. VII. 101.1,2.

Quatre autres mondes de beauté, il crée, pour en faire sa forme, quand il a grandi par les Vérités.
Rig-Véda. IX. 70. 1.

Il est né voyant avec le mental de discernement ; fils de la Vérité, naissance enfoncée à l'intérieur en secret, à demi sortie dans la manifestation.
Rig-Véda. IX.68.5.

Possesseurs d'une vaste sagesse inspirée, créateurs de la Lumière, connaisseurs conscients de tout ce qui est, et qui grandissent dans la Vérité.
Rig-Véda. X.66.1

Apercevant la haute Lumière au-delà de l'obscurité, nous sommes venus au Soleil divin dans la Divinité, à la plus haute Lumière entre toutes.
Rig-Véda. 1.50.10.


Nous pouvons aisément concevoir la transformation psychique et les premières étapes de la transformation spirituelle ; leur perfection serait la perfection, la plénitude, l'unité accomplie d'une connaissance et d'une expérience qui font déjà partie des choses réalisées, même si elles ne le sont que par un très petit nombre d'êtres humains. Mais le changement supramental et son processus nous emportent en des régions moins explorées ; il nous découvre la vision de hauteurs de conscience qui, certes, ont été entrevues et visitées, mais dont il reste encore à découvrir la totalité et à dresser la carte. Le plus élevé de ces pics ou de ces hauts plateaux de conscience, le supramental, se dresse très au-delà de la possibilité de toute représentation ou de tout schéma mental satisfaisant, hors de portée de la vision et de la description mentales. Il serait difficile pour une conception mentale normale, non illuminée ou non transformée, d'exprimer ou de pénétrer ce qui est basé sur une conscience si différente et dont la perception des choses est si radicalement différente. Même si l'on pouvait voir ou concevoir ce domaine, à la suite de quelque illumination ou de quelque ouverture de la vision, il faudrait un autre langage que les pauvres jetons abstraits dont se sert notre mental, pour le traduire en termes qui nous rendent vraiment accessible sa réalité. De même que les sommets du mental humain sont au-delà de la perception animale, de même les mouvements du supramental sont au-delà de la conception mentale humaine ordinaire. C'est seulement quand nous avons déjà eu l'expérience d'une conscience supérieure intermédiaire, que des termes s'efforçant de décrire l'être supramental peuvent transmettre un sens véritable à notre intelligence ; car alors, ayant eu une expérience voisine de celle qui est décrite, nous pouvons traduire un langage inadéquat en des formes que nous connaissons déjà. Si le mental ne peut pénétrer la nature du supramental, il peut la contempler à travers ces hautes et lumineuses voies d'accès et saisir quelque impression réfléchie du Vrai, du Bien et du Vaste qui sont le royaume natal de l'Esprit libre.

Mais même ce qui peut être dit de la conscience intermédiaire est forcément inadéquat ; on ne peut hasarder que certaines généralisations abstraites qui peuvent servir de lumière pour nous guider au début. La seule circonstance qui vienne ici à notre aide, c'est que la conscience supérieure, si différente soit-elle dans sa constitution et son principe, est cependant, sous sa forme évolutive et dans ce que nous pouvons d'abord en atteindre ici-bas, le développement ultime d'éléments qui sont déjà présents dans notre conscience, si rudimentaires et diminués soient la forme et le pouvoir qu'ils revêtent en nous. Un fait qui vient également à notre aide, c'est que la logique du processus suivi par la Nature évolutive persiste, et même si quelques-unes des règles de son fonctionnement se trouvent grandement modifiées, elle reste essentiellement la même dans l'ascension des plus hauts sommets comme dans les commencements les plus bas ; aussi pouvons-nous découvrir et suivre, dans une certaine mesure, les lignes de son suprême fonctionnement. En effet, nous avons entrevu la nature et la loi de la transition du mental intellectuel au mental spirituel ; ce point de départ étant atteint, nous pouvons commencer à suivre le passage vers un plus haut échelon dynamique de la nouvelle conscience et tracer la transition suivante du mental spirituel au supramental. Les indications seront inévitablement très imparfaites, car, par la méthode de la recherche métaphysique, on ne peut arriver qu'à certaines représentations initiales d'un caractère abstrait et général. La connaissance et la description vraies doivent être laissées au langage du mystique et aux images à la fois plus vivantes et plus profondes d'une expérience directe et concrète.

La transition qui conduit au supramental en passant par le surmental, est un passage de la Nature telle que nous la connaissons, à la Supranature. De ce fait même, il est impossible d'y atteindre par un simple effort mental ; notre aspiration et notre effort personnel ne peuvent à eux seuls y parvenir. Car cet effort appartient au pouvoir inférieur de la Nature, et un pouvoir de l'ignorance ne peut atteindre par sa propre force ou par les méthodes caractéristiques qui lui sont accessibles, ce qui est au-delà de son propre domaine naturel. Toutes les ascensions précédentes ont été effectuées par une Conscience-Force secrète opérant tout d'abord dans l'inconscience, puis dans l'ignorance ; son travail a ainsi fait émerger à la surface ses pouvoirs involués, pouvoirs cachés derrière le voile et supérieurs aux anciennes formulations de la Nature. Mais malgré cela, il est nécessaire que ces mêmes pouvoirs supérieurs déjà formulés dans toute leur force naturelle sur leurs propres plans, exercent une pression ; ces plans supérieurs créent leurs propres fondations dans les parties subliminales de notre être, et de là ils peuvent influencer le processus évolutif à la surface. Le surmental et le supramental eux aussi sont involués et occultes dans la Nature terrestre, mais ils n'ont encore établi aucune formation sur les niveaux accessibles de notre conscience interne subliminale, il n'y a encore aucun être surmental ni aucune nature surmentale organisée, aucun être supramental ni aucune nature supramentale organisée, qui agisse soit sur les parties superficielles de notre être, soit dans ses parties subliminales normales - ces grands pouvoirs de conscience sont supraconscients par rapport au niveau de notre ignorance. Pour que les principes involués du surmental et du supramental puissent émerger de leurs profondeurs voilées, il faut que l'être et les pouvoirs de la supraconscience descendent en nous, nous soulèvent et s'expriment dans notre être et nos facultés ; cette descente est la condition sine qua non de la transition et de la transformation.

Certes, on peut concevoir que, sans cette descente, par une pression secrète d'en haut, par une longue évolution, notre Nature terrestre réussisse à entrer en contact étroit avec les plans supérieurs, maintenant supraconscients, et qu'une formation de surmental subliminal s'accomplisse derrière le voile ; il en résulterait que la conscience propre à ces plans supérieurs pourrait lentement émerger à la surface de notre être. On peut concevoir que, de la sorte, apparaisse une race d'êtres mentaux, qui pensent et qui agissent non par l'intellect ou l'intelligence raisonnante et réfléchissante, ni principalement par elle, mais par une mentalité intuitive qui serait le premier échelon d'un changement ascendant ; ceci pourrait être suivi d'une surmentalisation qui nous porterait jusqu'aux frontières du supramental ou Gnose divine. Mais ce processus entraînerait inévitablement un long et laborieux effort de la Nature. Il est d'ailleurs possible que l'on n'arrive ainsi qu'à une mentalisation supérieure imparfaite ; les éléments supérieurs nouveaux pourraient dominer fortement la conscience, mais par le principe même de la mentalité inférieure leur action serait encore soumise à des altérations. La connaissance serait plus grande dans son étendue et son illumination, la cognition d'un ordre plus élevé ; mais elle subirait encore un mélange qui la soumettrait à la loi de l'ignorance, comme le mental est soumis aux limitations de la loi de la vie et de la matière. Pour une vraie transformation, il faut une intervention directe et sans voile, d'en haut ; il faut aussi une soumission et une consécration totales de la conscience inférieure. Celle-ci doit renoncer à ses exigences ; elle doit vouloir que la loi de son action séparée soit complètement annulée par la transformation, et perdre tous ses droits sur notre être. Si ces deux conditions peuvent être réalisées dès maintenant par une volonté et un appel conscients dans l'esprit, et si notre être tout entier, tant manifesté qu'intérieur, participe à son propre changement et à sa propre élévation, l'évolution, la transformation peuvent se produire par un changement conscient relativement rapide ; la Conscience-Force supramentale d'en haut et la Conscience-Force évolutive de derrière le voile, agissant sur la perception et la volonté éveillées de l'être humain mental, accompliraient par l'union de leur pouvoir cette transition capitale. Il n'y aurait plus besoin d'une lente évolution dont chaque pas demande plusieurs millénaires, plus besoin de cette évolution difficile et hésitante, autrefois menée par la Nature dans le monde de l'ignorance et ses créatures inconscientes.

Une première condition pour ce changement est que l'homme mental que nous sommes maintenant, perçoive intérieurement la loi profonde de son être propre avec ses processus et qu'il en ait la pleine possession. Il doit devenir l'être intérieur psychique et mental, maître de ses énergies ; non plus un esclave des mouvements de la Prakriti inférieure mais leur maître, solidement établi dans une libre harmonie avec la loi supérieure de la Nature. Une maîtrise croissante de l'individu sur l'action de sa propre nature, une participation de plus en plus consciente à l'action de la Nature universelle, tels sont les caractère distinctifs du principe et du processus évolutifs et, en vérité elles en sont les conséquences logiques. Toute action, toute activité mentale, vitale et physique dans le monde est l'opération d'une Énergie universelle, d'une Conscience-Force qui est le pouvoir de l'Esprit Cosmique et qui exécute la vérité cosmique et la vérité individuelle des choses. Mais puisque cette Conscience créatrice revêt dans la Matière un masque d'inconscience et prend à la surface l'apparence d'une Force universelle aveugle qui exécute un plan ou organise les choses sans avoir l'air de savoir ce qu'elle fait, le premier résultat sera proche de cette apparence - c'est le phénomène d'une individualisation physique inconsciente, une création non pas d'êtres, mais d'objets. Ceux-ci sont des existences organisées, possédant leurs propriétés et qualités propres, un pouvoir d'être, un caractère d'être ; mais en eux, le plan et l'organisation de la Nature doivent s'exécuter mécaniquement, sans le moindre commencement de participation, d'initiative ou de perception consciente de l'objet individuel ; celui-ci émerge comme un premier résultat muet et un champ inanimé de l'action et de la création de la Nature. Dans la vie animale, la Force commence à devenir lentement consciente à la surface et prend la forme non plus d'un objet, mais d'un être individuel. Mais bien que cet individu imparfaitement conscient, participe, sente et éprouve, il ne fait cependant qu'exécuter ce que la Force accomplit en lui, et il le fait sans aucune intelligence ou claire observation de ce qui s'accomplit ; il semble n'avoir aucun autre choix, aucune autre volonté que celle qui lui est imposée par la forme de sa nature. Avec le mental humain apparaissent pour la première fois une intelligence observatrice qui regarde ce qui s'accomplit, une volonté et un choix qui sont devenus conscients. Mais la conscience est encore limitée et superficielle ; la connaissance aussi est limitée et imparfaite, c'est une intelligence partielle, une demi-compréhension tâtonnante et en grande partie empirique, ou, si elle est rationnelle, c'est à l'aide de constructions, de théories et de formules. Ce n'est pas encore une vision lumineuse qui sait les choses par appréhension directe et les arrange selon le plan de leur vérité inhérente, avec une précision spontanée qui s'accorde avec la vision. Bien qu'elle contienne une certaine part d'instinct, d'intuition et de pénétration, qui est un commencement de ce pouvoir de vision lumineuse, le caractère normal de l'intelligence humaine est une raison investigatrice, une pensée réfléchie qui observe, suppose, déduit, conclut, qui arrive par son labeur à une vérité construite, à un système de connaissance construit, à une action délibérément arrangée et de sa propre fabrication. Ou plutôt, c'est cela qu'elle s'efforce d'être et qu'elle est partiellement ; car sa connaissance et sa volonté sont constamment envahies, obscurcies, contrecarrées par des Forces de l'être qui sont les instruments à demi aveugles du mécanisme de la Nature.

Tel n'est pas évidemment le suprême pouvoir de la conscience, ce n'est ni la fin de son évolution ni son plus haut sommet. Une plus grande et plus intime intuition doit être possible, qui pénétrerait le coeur des choses, qui s'identifierait lumineusement aux mouvements de la Nature et assurerait à l'être une claire maîtrise de sa vie, ou du moins, une harmonie avec son univers. Seule une conscience libre et entièrement intuitive serait capable de voir et de saisir les choses par un contact direct et une vision pénétrante, ou par un sens spontané de la vérité né d'une unité ou d'une identité fondamentale, et seule elle accorderait l'action de la Nature avec la vérité de la Nature. Il y aurait alors participation réelle de l'individu à l'oeuvre de la Conscience-Force universelle. Le Pourousha individuel deviendrait le maître de sa propre énergie exécutive, et, en même temps, le partenaire conscient, l'agent, l'instrument de l'Esprit cosmique dans l'action de l'Énergie universelle, l'Énergie universelle agirait à travers lui, mais lui aussi agirait à travers elle, et l'harmonie de la vérité intuitive ferait de cette double opération une action unique. Une participation consciente et croissante de cette sorte, à la fois plus élevée et plus intime, doit accompagner la transition de l'état présent de notre être à un état de supranature.

On peut concevoir un autre monde harmonieux où agirait une intelligence mentale intuitive de ce genre et où sa direction serait la règle. Mais dans le domaine de notre existence, étant donné l'intention originelle et l'histoire passée du plan évolutif, une règle et une direction comme celles-là pourraient difficilement se stabiliser, et il est peu probable qu'elles puissent être complètes, finales et définitives. Car une mentalité intuitive intervenant dans une conscience mentale, vitale et physique mélangée, serait normalement forcée de subir elle-même un mélange avec la substance inférieure de la conscience déjà évoluée. Pour agir sur elle, elle devrait entrer en elle, et en y entrant elle s'emmêlerait à elle, serait pénétrée par elle, affectée par le caractère séparatif et partiel de notre action mentale, par la limitation et la force restrictive de l'ignorance. L'action de l'intelligence intuitive est suffisamment aiguë et lumineuse pour pénétrer et modifier la masse de l'ignorance et de l'inconscience, mais elle n'est pas assez large ni assez intégrale pour l'absorber et l'abolir ; elle ne pourrait effectuer la complète transformation de la conscience entière en sa propre substance et son propre pouvoir. Cependant, même dans notre condition actuelle, il existe une sorte de participation, et notre intelligence normale est suffisamment éveillée pour que la Force Consciente universelle agisse à travers elle et lui permette, ainsi qu'à la volonté, d'exercer dans une certaine mesure une direction sur les circonstances intérieures et extérieures ; direction bien maladroite d'ailleurs et constamment menacée d'erreur, qui ne peut avoir qu'un effet et un pouvoir limités, sans comparaison avec la vaste totalité des immenses opérations de la Force Consciente. Au cours de l'évolution vers la Supranature, ce pouvoir initial de participation consciente à l'action universelle, s'élargirait dans l'individu et deviendrait une vision de plus en plus intime et étendue des opérations de la Supranature en lui, une perception sensible du cours qu'elle suit, une compréhension croissante ou une idée intuitive des méthodes qu'il faut suivre pour accomplir une évolution de soi plus rapide et plus consciente. À mesure que l'être psychique intérieur ou l'être mental occulte intérieur viendrait davantage à la surface, leur pouvoir de choix et de sanction se fortifierait, et l'on verrait apparaître un commencement de libre arbitre authentique qui deviendrait de plus en plus efficace. Mais ce libre arbitre s'exercerait surtout sur les opérations de la Nature dans l'homme, il se traduirait seulement par une maîtrise plus libre, plus complète et plus immédiatement perceptible, des mouvements de son être propre ; car même ainsi, la volonté ne pourrait pas, au début, être complètement libre, tant qu'elle serait emprisonnée dans les limites créées par ses propres formations, ou qu'elle se heurterait à l'imperfection née du mélange de la vieille et de la nouvelle conscience. Malgré tout, la maîtrise et la connaissance deviendraient de plus en plus grandes ; il y aurait une ouverture à un être plus haut et à une nature plus haute.

Notre notion de libre arbitre a tendance à être viciée par l'individualisme excessif de l'ego humain et à revêtir la forme d'une volonté indépendante agissant isolément pour son propre compte, dans une complète liberté, sans autre détermination que son propre choix et son propre mouvement séparé et sans rapport avec les autres. Cette idée ne tient pas compte du fait que notre être naturel fait partie de la Nature cosmique et que notre être spirituel n'existe que par la Transcendance suprême. Notre être total ne peut s'élever et sortir de l'assujétissement au fait de la Nature actuelle que par une identification avec une Vérité plus grande et une Nature plus grande. La volonté de l'individu, même s'il est complètement libre, ne peut agir d'une façon indépendante et isolée, parce que l'être individuel et la nature individuelle sont inclus dans l'Être universel et la Nature universelle, et qu'ils dépendent du Transcendant qui gouverne tout. En fait, l'ascension peut s'accomplir suivant deux voies différentes. Sur l'une de ces voies l'être pourrait se sentir et se conduire comme une existence en soi, indépendante, qui s'unit à sa propre Réalité impersonnelle ; il pourrait, se concevant de la sorte, agir avec une grande force, mais, ou bien cette action se déroulerait encore à l'intérieur du cadre élargi de son passé et de son présent tels qu'ils ont été formés par le pouvoir de la Nature, ou bien ce serait la Force cosmique ou la Force suprême qui agirait à travers cette action et alors il n'y aurait pas d'initiative personnelle de l'action, donc aucun sentiment de libre arbitre individuel, mais seulement l'oeuvre d'une Volonté et d'une Énergie cosmiques ou suprêmes impersonnelles. Suivant l'autre voie, l'être individuel se sentirait un instrument spirituel de l'Être Suprême et il agirait donc comme l'un de ses pouvoirs, n'étant limité dans son action que par les puissances de la Supranature - qui n'ont d'autres limites et d'autres restrictions que celles de la Vérité et de la loi propre de l'individu - et par la Volonté qui est en elles. Mais dans les deux cas, il faut remplir une même condition pour être libre de la domination de l'action mécanique des forces de la Nature : soumission à un Pouvoir conscient plus grand ou unité consentante de l'être individuel avec l'intention et le mouvement de ce Pouvoir, dans sa propre existence et dans celle du monde.

Car l'action d'un nouveau pouvoir de l'être dans un plus haut domaine de conscience pourrait, même dans sa maîtrise de la Nature extérieure, être extraordinairement efficace, mais seulement parce que la lumière de sa vision entraîne une harmonie ou une identification avec la Volonté cosmique et transcendante. C'est en effet quand la volonté de l'être devient l'instrument d'un Pouvoir supérieur, au lieu d'être l'instrument d'un pouvoir inférieur, qu'elle se libère du déterminisme mécanique créé par l'action et les processus de l'Énergie mentale, de l'Énergie vitale et de l'Énergie matérielle cosmiques, et qu'elle s'affranchit d'une soumission ignorante à l'entraînement de cette Nature inférieure. Il pourrait y avoir ainsi un pouvoir d'initiative, et même de surveillance individuelle des forces mondiales, mais ce serait l'initiative d'un instrument, une surveillance déléguée - le choix de l'individu recevrait l'approbation de l'Infini parce qu'il est lui-même une expression de quelque vérité de l'infini. De la sorte, plus l'individualité se réaliserait elle-même en tant que centre et formation de la Nature et de l'Être universels et transcendants, plus elle deviendrait puissante et efficace. Car, à mesure que ce changement s'accomplirait, l'énergie de l'individu libéré cesserait d'être l'énergie limitée du mental, de la vie et du corps, avec laquelle il a commencé. L'être émergerait à une plus grande lumière de la Conscience et s'ouvrirait à une plus grande action de la Force et les ferait siennes, en même temps qu'elles émergeraient et descendraient en lui, et qu'elles l'absorberaient en elles. Son existence naturelle deviendrait l'instrument d'un Pouvoir supérieur, d'une Conscience-Force surmentale et supramentale, le pouvoir de la divine Shakti originelle. Il percevrait tous les processus de l'évolution comme l'oeuvre d'une Conscience universelle et suprême, d'une Force universelle et suprême agissant comme elle l'entend, à n'importe quel niveau, et dans les limites qu'elle détermine elle-même, comme l'oeuvre consciente de l'Être cosmique et transcendant, l'action de la Mère des mondes, omnipotente et omnisciente, qui soulève l'être jusqu'à elle, jusqu'à sa Supranature. À la place de la Nature de l'ignorance, avec l'individu pour champ clos et pour instrument inconscient ou semi-conscient, il y aurait la Supranature de la Gnose divine, et l'âme individuelle serait son champ d'action et son instrument conscient, ouvert et libre ; elle participerait à son action, percevrait son but et son processus, et en même temps son propre Moi plus grand, la Réalité universelle et transcendante, et elle percevrait aussi sa propre Personne à la fois comme illimitablement une avec cette Réalité et cependant comme un être individuel de son Être, un instrument et un centre spirituel.

Commencer à s'ouvrir à l'action de la Supranature et y participer, est une condition de l'orientation vers la dernière transformation, la transformation supramentale ; car cette transformation marque la fin du passage depuis l'obscure harmonie d'un automatisme aveugle, point de départ de la Nature, jusqu'à la spontanéité lumineuse et authentique de l'Esprit, et à l'infaillible mouvement de sa vérité existant en soi. L'évolution commence avec l'automatisme de la matière et d'une vie inférieure où tout obéit implicitement à l'impulsion de la Nature, où tout accomplit mécaniquement la loi de son être et réussit ainsi à maintenir l'harmonie de son type limité d'existence et d'action. Elle se poursuit par une confusion féconde du mental et de la vie d'une humanité poussée par cette Nature inférieure, mais qui lutte pour échapper à ses limitations, pour la maîtriser, la diriger et s'en servir. Puis elle émerge dans une harmonie spontanée plus grande et dans une action qui s'accomplit automatiquement elle-même parce qu'elle est fondée sur la Vérité spirituelle des choses. Dans cet état supérieur, la conscience pourra voir cette Vérité et suivre la ligne de ses énergies avec une pleine connaissance, participer effectivement avec une solide maîtrise de ses instruments, une félicité complète dans son action et son existence. Elle jouira d'une perfection lumineuse dans l'unité avec tout, au lieu de subir la servitude aveugle de l'individu à l'universel ; et à chaque instant, l'action de l'universel dans l'individu et de l'individu dans l'universel sera éclairée et gouvernée par l'autorité de la Supranature transcendante.

Mais cet état suprême est difficile et doit évidemment mettre longtemps à se réaliser ; car il n'est pas suffisant que le Pourousha consente et participe à la transition, il faut aussi le consentement et la participation de la Prakriti. Ce ne sont pas seulement la pensée et la volonté centrales qui doivent acquiescer, mais toutes les parties de notre être qui doivent consentir et se soumettre à la loi de la Vérité spirituelle - tout, dans toutes les parties de l'être, doit apprendre à obéir au gouvernement du Pouvoir Divin conscient. Il y a en nous des difficultés obstinées qui viennent de notre constitution évolutive et qui s'opposent à ce consentement. Car certaines parties de l'être sont encore soumises à l'inconscience, à la subconscience et à l'automatisme inférieur de l'habitude ou de la prétendue loi de la Nature - habitude mécanique du mental, habitudes vitales, habitude de l'instinct, habitude de la personnalité, habitude du caractère, besoins, impulsions et désirs invétérés de la nature humaine mentale, vitale et physique, vieux fonctionnements de toutes sortes qui sont là enracinés si profondément qu'il semblerait que nous ayons à creuser jusqu'à des fondations insondables pour les en extirper. Toutes ces parties ne veulent pas renoncer à répondre à la loi inférieure fondée dans l'inconscience ; elles font continuellement monter les vieilles réactions jusqu'au mental et au vital conscients et cherchent à les y réimposer comme une loi éternelle de la Nature. D'autres parties de l'être sont moins obscures, moins mécaniques, moins enracinées dans l'inconscience, mais toutes sont imparfaites et attachées à leur imperfection ; elles ont toutes leurs propres réactions obstinées - la partie vitale est mariée à la loi de l'affirmation de soi et du désir, la partie mentale est attachée à ses propres formes de mouvements, et toutes deux obéissent de bon coeur à la loi inférieure de l'ignorance. Et cependant, la loi de la participation et la loi de la soumission sont impératives ; à chaque pas de la transition l'assentiment du Pourousha est nécessaire, et il faut aussi que chaque partie de la nature consente à se laisser changer par l'action du pouvoir supérieur. Il faut donc que l'être mental en nous se dirige de lui-même et consciemment vers ce changement, vers cette substitution de la Supranature à la vieille Nature, vers cette transcendance. La règle d'une obéissance consciente à la vérité plus haute de l'Esprit, la soumission de tout l'être à la lumière et à la force qui viennent de la Supranature, sont une deuxième condition que l'être lui-même doit réaliser lentement et péniblement avant que la transformation supramentale puisse devenir vraiment possible.

Il s'ensuit que la transformation psychique et la transformation spirituelle doivent être très avancées, et même aussi complètes que possible, avant que ne puisse commencer le troisième changement, la transformation supramentale qui couronne les deux autres ; car c'est seulement par cette double transmutation que l'obstination de l'ignorance peut être totalement changée en une obéissance spirituelle à la vérité et à la volonté recréatrices de la Conscience de l'infini. On doit généralement traverser une longue et difficile période d'effort constant, d'énergie tendue, d'austérité de la volonté personnelle, tapasyâ, avant d'atteindre le stade plus décisif où une consécration de tout l'être à l'Être Suprême et à la Nature Suprême, peut devenir totale et absolue. Il doit y avoir une période préliminaire de recherche et d'effort, avec une offrande centrale ou une consécration du coeur, de l'âme et du mental au Très-Haut, et, plus tard, un stade intermédiaire de confiance totale et consciente en sa Puissance plus grande qui aide l'effort personnel ; cette confiance intégrale doit à son tour se transformer en un final et complet abandon de soi, dans chaque partie et chaque mouvement de l'être, à l'action de la Vérité plus haute dans notre nature. Cet abandon ne peut devenir total que si le changement psychique est complet ou si la transformation spirituelle a atteint un état très avancé d'accomplissement. Car cela implique que le mental renonce à toutes ses idées, à tous ses cadres, toutes ses formations, ses opinions, à toutes ses habitudes d'observation et de jugement intellectuels, qui doivent faire place d'abord à un fonctionnement intuitif, puis à un fonctionnement surmental ou supramental qui inaugure l'action directe de la Conscience de Vérité, de la Vision de Vérité, du Discernement de Vérité - une nouvelle conscience en tout point étrangère à la nature actuelle de notre mental. Il est de même exigé du vital qu'il abandonne tout ce qu'il chérit : désirs, émotions, sentiments, impulsions, sensations routinières, mécanisme violent d'action et de réaction, qui doivent faire place à une force lumineuse, sans désirs, libre, et qui cependant dispose automatiquement d'elle-même, la force d'une connaissance, d'une puissance et d'une félicité centralisées, universelles et impersonnelles, dont la vie doit devenir l'instrument et l'épiphanie, mais dont à présent elle ne soupçonne et ne perçoit absolument pas la joie plus grande et la force de réalisation. La partie physique de notre être doit abandonner ses instincts, ses besoins, ses attachements conservateurs et aveugles, les routines invariables de sa nature, ses doutes et son incrédulité pour tout ce qui la dépasse, sa foi dans l'inévitabilité des fonctionnements établis du mental physique, de la vie physique et du corps, pour qu'ils soient remplacés par un pouvoir nouveau qui établit sa propre loi plus haute et son fonctionnement supérieur dans la forme et la force de la Matière. Même l'inconscient et le subconscient doivent devenir conscients en nous, s'ouvrir à la lumière supérieure, ne plus faire obstruction à l'action réalisatrice de la Conscience-Force, mais devenir de plus en plus un moule et une base inférieure pour l'Esprit. Ces choses ne peuvent se faire tant que le mental, le vital ou la conscience physique sont les pouvoirs directeurs de l'être ou qu'ils dominent d'une façon quelconque. Pour qu'un pareil changement soit accepté, il faut une émergence complète de l'âme et de l'être intérieur, une domination de la volonté psychique et spirituelle, et une longue action de leur lumière et de leur pouvoir sur toutes les parties de l'être, une refonte psychique et spirituelle de la nature entière.

Une autre condition nécessaire pour le changement supramental, est d'unifier tout l'être en abolissant le mur entre la nature intérieure et la nature extérieure, de déplacer la position de la conscience et son centre du moi extérieur au moi intérieur, de se fonder solidement sur cette nouvelle base, de laisser agir comme une chose habituelle ce moi intérieur, sa volonté et sa vision, et d'ouvrir l'individualité à la conscience cosmique. Il serait chimérique d'espérer que la suprême Conscience de Vérité puisse s'établir dans l'étroite formule de notre mental, notre coeur et notre vie de surface, quel que soit leur penchant à la spiritualité. Tous les centres intérieurs doivent s'être ouverts et avoir libéré leurs possibilités d'action ; l'entité psychique doit s'être dévoilée et devenir maîtresse. Si ce premier changement n'a pas été fait, qui établit l'être dans la conscience intérieure plus large - une conscience yoguique au lieu d'une conscience ordinaire - la transmutation plus grande est impossible. En outre, l'individu doit s'être suffisamment universalisé, il doit avoir refondu sa mentalité individuelle dans l'infinitude d'une mentalité cosmique, élargi et vivifié sa vie individuelle par la perception immédiate et l'expérience directe du mouvement dynamique de la vie universelle, avoir ouvert les moyens de communication entre son corps et les forces de la Nature universelle, avant d'être capable d'un changement qui dépasse la présente formule cosmique et qui le soulève au-delà de l'hémisphère inférieur de l'universalité, jusqu'à une conscience appartenant à l'hémisphère spirituel supérieur. De plus, il doit déjà avoir pris conscience de ce qui est maintenant supraconscient pour lui ; il doit déjà être conscient de la Lumière, du Pouvoir, de la Connaissance, de l'Ananda spirituels plus hauts, il doit être pénétré par leur influence qui descend, et construit de nouveau par le changement spirituel. Il est possible que l'ouverture spirituelle ait lieu et que son action se poursuive, avant que l'ouverture psychique ne soit complète ou très avancée ; car l'influence spirituelle venant d'en haut peut éveiller, aider et compléter la transmutation psychique ; la seule chose nécessaire alors, c'est que l'insistance de l'entité psychique soit suffisante pour que l'ouverture spirituelle supérieure se produise. Mais le troisième changement, le changement supramental, n'admet aucune descente prématurée de la plus haute Lumière, car il ne peut commencer que quand la Force supramentale se met à agir directement, ce qu'elle ne fait pas à moins que la nature ne soit prête. La disparité est trop grande en effet entre le pouvoir de la Force suprême et la capacité de la nature ordinaire ; la nature inférieure serait incapable de supporter la Force, ou si elle la supportait, elle serait incapable de répondre à son influence et de l'accepter, ou si elle l'acceptait, elle serait incapable de l'assimiler. Tant que la nature n'est pas prête, la Force supramentale doit agir indirectement ; elle met en avant les pouvoirs intermédiaires du surmental ou de l'intuition ; ou elle agit en s'atténuant elle-même, ce qui permet à l'être déjà à demi transformé de répondre partiellement ou pleinement à son influence.

L'évolution spirituelle obéit à la logique d'un développement successif. Elle ne peut faire un nouveau pas essentiel et décisif que quand le pas essentiel précédent a été suffisamment assuré ; et même si l'on peut sauter ou brûler certaines étapes mineures par une ascension rapide et brusque, la conscience doit revenir en arrière pour s'assurer que le terrain parcouru a été solidement annexé à la condition nouvelle. Il est vrai que la conquête de l'Esprit suppose que l'on parcoure en une vie ou en un petit nombre de vies, un chemin qui, suivant le cours ordinaire de le Nature, demanderait des siècles et même des millénaires de marche lente et incertaine ; tout dépend de la rapidité avec laquelle les étapes sont franchies ; un mouvement plus rapide et plus concentré n'élimine pas les étapes elles- mêmes ni la nécessité de les surmonter successivement. Une rapidité plus grande ne devient possible qu'avec la participation consciente de l'être intérieur et si le Pouvoir de la Supranature est déjà à l'oeuvre dans la nature inférieure à demi transformée, de sorte que les étapes qui auraient dû, autrement, être tentées dans la nuit de l'inconscience et de l'ignorance, peuvent maintenant être franchies dans une lumière plus grande et avec un plus grand pouvoir de connaissance. Le premier mouvement obscur et purement matériel de la Force évolutive est marqué par un développement graduel qui s'étend sur des âges. Le mouvement de la vie suit une lente progression, cependant son rythme est plus rapide ; il est concentré en l'espace de quelques millénaires. Le mental peut comprimer davantage encore la lenteur nonchalante du temps et faire de grands pas en quelques siècles. Mais quand l'Esprit conscient intervient, la cadence évolutive peut alors se dérouler avec une rapidité suprêmement concentrée. Cependant, la marche évolutive ne peut accroître sa vitesse et brûler les étapes, que quand le pouvoir de l'Esprit conscient a préparé le terrain et que la Force supramentale a commencé à faire usage de son influence directe. Toutes les transformations de la Nature revêtent sans doute l'apparence du miracle. mais c'est un miracle avec une méthode ; les foulées les plus vastes de la Nature s'appuient sur un terrain assuré, ses bonds les plus rapides partent d'une base qui donne sécurité et certitude aux sauts évolutifs ; une toute-sagesse secrète gouverne tout en elle, même les étapes et les processus qui semblent les plus inexplicables.

Cette loi de la marche de la Nature rend nécessaires une gradation dans le dernier processus de transition, et une ascension de degré en degré, un échelonnement d'états de plus en plus élevés pour nous conduire du mental spiritualisé au supramental - passage escarpé qui autrement n'aurait pu être franchi. Il y a au-dessus de nous, nous l'avons vu, des états successifs, des plans ou des pouvoirs étagés de l'être, qui surplombent notre mental ordinaire ; il y a, cachés dans les parties supraconscientes de notre être, des zones plus hautes du mental, des degrés plus élevés de conscience et d'expérience spirituelles. Sans eux, il n'y aurait pas de chaînons, pas d'espaces intermédiaires rendant possible cette immense ascension. En fait, c'est de ces sources supérieures que le Pouvoir spirituel secret agit sur l'être et, par sa pression, amène la transformation psychique ou le changement spirituel ; mais dans les premières étapes de notre croissance, cette action n'est pas apparente, elle demeure occulte et insaisissable. Ce qui est nécessaire au début, c'est que le pur toucher de la force spirituelle intervienne dans la nature mentale ; cette pression qui éveille doit s'imprimer sur le mental, le coeur et la vie, et lui donner une orientation vers le haut ; une lumière subtile ou un grand pouvoir transmutateur doit purifier, affiner ou élever leurs mouvements et les imprégner d'une conscience supérieure qui est étrangère à leurs propres capacités ordinaires et à leur caractère normal. Ceci peut se faire du dedans, par une action invisible à travers l'entité psychique et la personnalité psychique ; il n'est pas indispensable que l'on sente consciemment la descente qui s'opère depuis le haut. La présence de l'Esprit est là dans chaque être vivant, à tous les niveaux, dans toutes les choses, et parce qu'elle est là, l'expérience de Sat-tchit-ananda, de l'existence et de la conscience spirituelles pures, de la félicité d'une présence divine, d'une intimité, d'un contact divin, peut être vécue par le mental ou le coeur ou la perception vitale, ou même par la conscience physique - si les portes intérieures sont suffisamment ouvertes, la lumière qui est dans le sanctuaire peut imprégner les chambres les plus proches et les plus lointaines de l'être extérieur. Ce changement nécessaire, ce tournant, peut aussi s'opérer grâce à une descente occulte de la force spirituelle venant d'en haut, et alors on peut sentir l'influx, l'influence, les effets spirituels, mais la source supérieure reste inconnue et le sentiment réel d'une descente n'est pas là. Une conscience ainsi touchée peut être tellement soulevée que l'être se tourne vers l'union immédiate avec le Moi ou avec le Divin en quittant l'évolution et, si cela est approuvé, il n'est plus question de développement graduel, d'échelons ou de méthode ; la rupture avec la Nature peut être décisive. Car une fois que ce départ devient possible, la loi qui le commande n'est pas nécessairement la même que la loi de transformation et de perfection évolutives ; c'est ou ce peut être un bond, une rupture des liens rapide ou immédiate ; l'évasion spirituelle est assurée, et la seule sanction qui lui manque est l'inévitable chute du corps. Mais, si c'est la transformation de la vie terrestre qui est prévue, il faut, après avoir reçu le premier attouchement de la spiritualisation, s'éveiller aux sources et aux énergies supérieures, les rechercher, élargir l'être et l'élever jusqu'à leur état caractéristique, et convertir la conscience à leur loi plus grande et à leur nature dynamique. Ce changement doit se faire pas à pas, jusqu'à ce que l'on ait gravi toutes les marches de l'ascension et que l'on émerge dans ces vastes espaces grands ouverts dont parle le Véda, les espaces natals d'une conscience qui est suprêmement lumineuse et infinie.

Car on retrouve ici le même processus d'évolution que dans le reste du mouvement de la Nature ; il y a une élévation et un élargissement de la conscience, une ascension vers un plan nouveau et une incorporation des plans inférieurs ; l'existence est absorbée et nouvellement intégrée par un pouvoir supérieur de l'Être qui impose sa propre manière d'agir, son propre caractère et la force de sa substance-énergie sur toutes les parties de la nature qu'il peut atteindre du fait de leur évolution préalable. À ce stade le plus haut des opérations de la Nature, la nécessité d'une intégration devient un point d'importance primordiale. Aux échelons inférieurs de l'ascension, l'adoption nouvelle, l'intégration par un principe plus élevé de conscience, reste incomplète, car le mental ne peut pas mentaliser complètement la vie et la matière ; il y a des parties considérables de l'être vital et du corps qui demeurent dans le domaine du submental et du subconscient ou de l'inconscient. C'est là un obstacle sérieux à l'effort du mental vers la perfection de la nature ; car, par la part prolongée qu'ils prennent à la direction des activités, le submental, le subconscient et l'inconscient introduisent une autre loi que celle de l'être mental et permettent ainsi à la conscience vitale et à la conscience physique de rejeter la loi que le mental veut leur imposer, et de suivre leurs propres impulsions et leurs propres instincts au mépris de la raison mentale et de la volonté rationnelle de l'intelligence développée. C'est pourquoi le mental a de la difficulté à aller au-delà de lui-même, à dépasser son propre niveau et à spiritualiser la nature ; il ne peut en effet spiritualiser ce qu'il ne peut même pas rendre pleinement conscient, ce qu'il ne peut solidement mentaliser et rationaliser, car la spiritualisation est une intégration plus grande et plus difficile. Sans doute, en faisant appel à la force spirituelle, le mental peut établir une influence et amener un changement préliminaire dans certaines parties de la nature, notamment dans le mental pensant lui-même et dans le coeur qui est le plus proche de sa province ; mais ce changement est rarement total et parfait, même dans ses limites, et ce qu'il accomplit est exceptionnel et difficile. Quand la conscience spirituelle se sert du mental, elle utilise un moyen inférieur, et même si elle introduit une lumière divine dans le mental, une pureté, une passion et une ardeur divines dans le coeur ou si elle impose une loi spirituelle à la vie, il n'en reste pas moins que cette nouvelle conscience doit travailler au milieu de restrictions. Elle peut tout au plus régler ou refréner l'action inférieure de la vie et maîtriser rigoureusement le corps mais ces parties, même raffinées ou maîtrisées, ne reçoivent pas leur accomplissement spirituel, ou n'atteignent pas la perfection et la transformation. Pour cela, il est nécessaire d'avoir recours à un principe dynamique supérieur, qui est inhérent à la conscience spirituelle et grâce auquel, par conséquent, celle-ci peut agir selon sa propre loi, sa lumière et sa puissance naturelles plus complètes, et les imposer aux différentes parties de l'être.

Mais même cette intervention d'un nouveau principe dynamique, cette imposition puissante peut prendre longtemps pour réussir ; car les parties inférieures de l'être ont leurs droits, et si elles doivent être vraiment transformées, il faut les faire consentir à leur propre transformation. Ceci est difficile à obtenir, car chacune des parties de notre être a naturellement tendance à préférer sa loi propre, son dharma, même inférieur, à une loi ou un dharma supérieur qu'elle sent ne pas être sien. Elle s'accroche à sa propre conscience ou inconscience, à ses propres impulsions et réactions, au dynamisme propre de son être, à sa propre façon d'éprouver la joie de l'existence. Elle s'y accroche encore plus obstinément si cette façon qui est sienne est en contradiction avec la joie, un chemin d'obscurité et de souffrance et de peine et de douleur ; car cela aussi a trouvé sa propre saveur contraire et perverse, rasa, son plaisir dans l'obscurité et le chagrin, son intérêt sadique ou masochiste dans la douleur et la souffrance. Même si cette partie inférieure de notre être cherche le mieux, elle est souvent obligée de suivre le pire, parce que cela est sien, naturel à son énergie, naturel à sa substance. Un changement complet et radical ne peut s'effectuer qu'en faisant intervenir avec persistance la lumière spirituelle et l'expérience intime de la vérité spirituelle, de la puissance et de la félicité spirituelles, dans les éléments récalcitrants, jusqu'à ce qu'ils reconnaissent, eux aussi, que là se trouve la voie de leur propre plénitude, qu'ils sont eux-mêmes un pouvoir diminué de l'Esprit et que, par cette nouvelle façon d'être, ils peuvent recouvrer leur propre vérité et leur nature intégrale. À cette illumination s'opposent constamment les forces de la nature inférieure et plus encore les forces adverses qui vivent et règnent par les imperfections du monde et qui ont établi leurs formidables fondations sur le noir rocher de l'inconscience.

Une étape indispensable pour surmonter cette difficulté est l'ouverture de l'être intérieur et de ses centres d'action ; car ainsi commence à devenir possible la tâche que le mental de surface ne pouvait accomplir. Le mental intérieur, la conscience vitale et le mental vital intérieurs, la conscience physique subtile et sa mentalité physique subtile, dès qu'ils sont libres d'agir, créent une perception médiatrice plus vaste, plus affinée, plus grande, qui peut communiquer avec ce qui est au dessus d'eux et avec la conscience universelle, qui peut aussi faire peser leur pouvoir sur toutes les zones de l'être, sur le submental, sur le mental subconscient, la vie subconsciente, et même sur la subconscience du corps. Ils peuvent, sinon illuminer totalement l'inconscience fondamentale du moins l'ouvrir jusqu'à un certain point, la pénétrer et travailler sur elle. La lumière, la puissance, la connaissance et la félicité spirituelles peuvent alors d'en haut descendre au-delà du mental et du coeur qui sont toujours les plus faciles à atteindre et à illuminer ; ayant ainsi occupé toute la nature du haut en bas, elles peuvent imprégner plus totalement la vie et le corps, et par un choc encore plus profond, ébranler les fondations de l'inconscience. Mais même cette mentalisation, cette vitalisation plus vaste jaillie de l'intérieur, est encore une illumination inférieure ; elle peut diminuer l'ignorance mais elle ne peut s'en débarrasser ; elle attaque les puissances et les forces qui maintiennent l'empire subtil et secret de l'inconscience et les oblige à reculer, mais elle ne les vainc pas. Les forces spirituelles qui agissent à travers cette mentalisation et cette vitalisation plus vastes, peuvent amener une lumière, une force et une joie plus hautes ; mais la totale spiritualisation, la nouvelle et plus complète intégration de la conscience est encore impossible à ce stade. Si l'être le plus intérieur, le psychique, prend la direction, alors vraiment une mutation plus profonde, qui n'est pas mentale, peut rendre plus efficace la descente de la force spirituelle ; car la totalité de l'être conscient aura subi le changement psychique préliminaire qui émancipe le mental, la vie et le corps, et les libère du réseau de leurs propres imperfections et de leurs propres impuretés. À ce stade, une dynamisation spirituelle plus grande peut se produire, l'action des pouvoirs supérieurs du mental spirituel et du surmental peur intervenir pleinement ; en fait, ces pouvoirs peuvent avoir commencé leur travail auparavant, mais simplement sous forme d'influences, tandis que dans les conditions nouvelles, ils peuvent soulever l'être central jusqu'à leur propre niveau et commencer la nouvelle et dernière intégration de la nature. Ces pouvoirs plus hauts sont déjà à l'oeuvre dans le mental humain non spiritualisé, mais indirectement, et leur action reste fragmentaire et diminuée. Ils sont changés en substance mentale et en pouvoir mental avant de pouvoir agir, et si cette substance et ce pouvoir sont illuminés, si leurs vibrations sont intensifiées par cette entrée en jeu, si certains de leurs mouvements sont sublimés et remplis d'extase, ils ne sont cependant pas transformés. Mais quand la spiritualisation commence, et à mesure que ses effets plus importants se manifestent - silence mental, admission de notre être à la conscience cosmique, Nirvâna du petit ego dans la perception du Moi universel, contact avec la Réalité divine - les interventions d'une dunamis, d'une Force supérieure sont plus fréquentes et nous pouvons nous ouvrir plus largement à elle ; son action peut assumer un pouvoir plus ample, plus direct, plus caractéristique ; et la progression continue jusqu'à ce que ces interventions puissent être plus complètes et plus poussées. C'est alors que la spiritualisation commence à se changer en transformation supramentale ; car en s'élevant vers des plans de plus en plus hauts, la conscience construit en nous les degrés de l'ascension vers le supramental, ce suprême et difficile passage.

Il ne faut pas supposer que les circonstances et les lignes de cette transition seront les mêmes pour tous, car nous entrons ici dans le domaine de l'infini. Mais, puisqu'il y a derrière elles toute l'unité d'une vérité fondamentale, on peut espérer que l'examen d'une ligne d'ascension donnée jettera quelque lumière sur le principe de toutes les possibilités d'ascension ; tout ce que l'on peut tenter ici, c'est d'examiner l'une de ces lignes.

Cette ligne est commandée, comme toutes doivent l'être, par la configuration naturelle de l'échelle ascendante ; on y trouve de multiples échelons car c'est une gradation ininterrompue et il n'y a de vides nulle part, mais du point de vue de la montée de la conscience depuis notre mental, en s'élevant à travers une série ascendante de pouvoirs dynamiques qui lui permettent de se sublimer, la gradation peut se résoudre en quatre ascensions principales dont chacune a son haut palier d'accomplissement. On peut sommairement décrire cette gradation comme une série de sublimations de la conscience qui s'élève à travers le mental supérieur, le mental illuminé et l'intuition jusqu'au surmental et au-delà ; c'est une succession de transmutations de soi au sommet de laquelle se trouve le supramental ou Gnose Divine. Tous ces degrés sont gnostiques dans leur principe et leur pouvoir ; car même dès le début, nous commençons à passer d'une conscience basée sur une inconscience originelle et qui agit dans une ignorance générale ou dans une connaissance-ignorance mélangée, à une conscience basée sur une Connaissance secrète existant en soi, et tout d'abord dirigée ou inspirée par la lumière et le pouvoir de cette Connaissance, puis elle-même changée en sa substance et finissant par adopter entièrement ce nouveau mode d'action. En soi, ces degrés sont des degrés de l'énergie-substance de l'Esprit : car ce n'est pas parce que nous les distinguons suivant leur caractère principal, le moyen et la puissance de leur connaissance, qu'il faut supposer qu'ils sont simplement une méthode ou un chemin de connaissance ou une faculté, un pouvoir de cognition ; ce sont des domaines de l'être, des degrés de la substance et de l'énergie de l'être spirituel, des champs d'existence qui forment, chacun, un niveau de la Conscience-Force universelle tandis qu'elle se constitue et s'organise en un état plus élevé. Quand les pouvoirs de l'un quelconque de ces degrés descendent complètement en nous, ce n'est pas seulement notre pensée et notre connaissance qui sont affectés - la substance et la texture même de notre être et de notre conscience, tous ses états et toutes ses activités sont touchés et pénétrés et peuvent être refondus, entièrement transmués. Chaque étape de cette ascension est, par conséquent. une conversion générale sinon totale de l'être en la nouvelle lumière et le nouveau pouvoir d'une existence plus grande.

La gradation elle-même dépend fondamentalement de la qualité plus ou moins haute de la substance, elle dépend de la puissance, de l'intensité des vibrations de l'être, de la conscience qu'il a de lui-même, de la joie et de la force de son existence. À mesure que l'on descend l'échelle, la conscience devient de plus en plus réduite et diluée, bien qu'elle soit plus dense en fait par son épaisse grossièreté ; et en rendant compacte la substance de l'ignorance, cette consistance grossière laisse de moins en moins passer la substance de la lumière ; elle s'appauvrit en pure substance de conscience, son pouvoir de conscience se réduit, sa lumière s'atténue, sa capacité de joie devient mince et faible. Sa substance amoindrie doit alors recourir à une épaisseur plus massive et dépenser à grand-peine sa force obscurcie pour arriver à quoi que ce soit ; mais cette tension dans l'effort et ce labeur sont un signe de faiblesse, non de force. À mesure que l'on s'élève, au contraire, une substance émerge qui est plus fine mais beaucoup plus forte et plus vraiment et spirituellement concrète, une luminosité plus grande apparaît et une substance de conscience plus puissante, une énergie de joie plus subtile, plus douce et plus pure, plus puissamment extatique. Quand ces degrés supérieurs descendent en nous, c'est cette lumière et cette force plus grandes, cette essence de l'être et de la conscience, cette énergie de joie qui pénètrent le mental, la vie et le corps, qui changent et réparent leur substance amoindrie, diluée et impuissante, qui la convertissent en leur propre dynamisme spirituel, plus haut et plus fort, en leur forme intrinsèque et leur force de réalité. Ceci n'est possible que parce que tout est fondamentalement la même substance, la même conscience, la même force, mais avec des formes, des pouvoirs et des degrés différents. L'absorption de l'inférieur par le supérieur est par conséquent un mouvement possible et même spirituellement naturel, sauf pour l'inconscience de notre seconde nature ; ce qui était sorti de l'état supérieur, est englobé et réabsorbé par son propre être plus grand et sa propre essence.

Le premier pas décisif qui nous sort de l'intelligence humaine, de notre mentalité normale, est une montée dans un mental plus élevé, un mental qui n'est plus un mélange de lumière et d'obscurité ou une demi-lumière, mais une vaste clarté de l'Esprit. À la base de sa substance, il y a une perception unitaire de l'être et une dynamisation multiple et puissante qui peut former d'innombrables aspects de la connaissance et manières d'agir, d'innombrables formes et significations du devenir, et avoir une connaissance inhérente spontanée de chacun d'eux. C'est donc un pouvoir issu du surmental - mais dont le Supramental est l'origine plus lointaine -, comme il en est de tous ces grands pouvoirs. Son caractère spécial et l'activité de sa conscience sont dominés par la Pensée ; c'est un mental pensant lumineux, un mental de connaissance conceptuelle née de 1'Esprit. Une perception totale qui émerge de l'identité originelle et porte les vérités que l'identité contient en elle, tel est le caractère de ce mental de connaissance plus grand ; il conçoit rapidement, victorieusement, innombrablement, formule ses conceptions et, par le pouvoir propre de l'idée, les réalise effectivement. Ce genre de cognition est le dernier à émerger de l'identité spirituelle originelle avant que ne commence la connaissance séparative basée sur l'ignorance. Elle est par conséquent la première que nous rencontrons quand nous nous élevons du mental conceptif et raisonnant - notre pouvoir de connaissance le mieux organisé dans l'ignorance - jusqu'au royaume de l'Esprit. Elle est, en fait, le parent spirituel de notre idéation mentale conceptive, et il est naturel que cette puissance directrice de notre mentalité, quand elle se dépasse elle-même, retourne à sa source immédiate.

Mais ici, dans cette Pensée plus grande, la recherche et le raisonnement auto-critique ne sont plus nécessaires, ni le mouvement logique qui s'avance pas à pas vers une conclusion, ni le mécanisme de déduction et d'inférence explicite ou implicite, ni la construction ou l'enchaînement méthodique d'une idée avec l'autre, pour arriver à une somme de connaissance ou à un résultat ordonné de la connaissance. Car cette action boiteuse de notre raison est un mouvement de l'ignorance qui cherche la connaissance, qui est obligé de protéger ses pas contre l'erreur, d'ériger une structure mentale sélective pour s'abriter temporairement et de la baser sur des fondations déjà posées et soigneusement posées - mais jamais solides, car elles ne s'appuient pas sur le terrain d'une prise de conscience naturelle, mais viennent s'imposer sur le sol d'une nescience originelle. Cette conscience plus haute ne suit pas non plus la méthode de notre mental le plus prompt et le plus pénétrant, ce n'est pas une divination et une vision intérieures rapides et hasardeuses, un jeu du phare de l'intelligence qui sonde l'inconnu ou le peu connu ; c'est une Connaissance qui se formule sur la base d'une perception totale existant en soi, et qui manifeste sous forme de pensée quelque fragment de son intégralité, une harmonie de ses significations. Elle peut s'exprimer librement sous forme d'idées isolées, mais son mouvement le plus caractéristique est une idéation d'ensemble, un système qui embrasse tout d'un seul regard, la totalité d'une vision de vérité ; les relations d'idée à idée ou de vérité à vérité ne sont plus établies par la logique, mais elles préexistent et émergent déjà vues dans un tout intégral. C'est un commencement de mise en forme d'une connaissance depuis toujours présente mais jusqu'alors inactive, non un système de conclusions à partir de prémisses ou de données. Cette Pensée est une révélation de l'éternelle Sagesse, non une connaissance acquise. De vastes aspects de la vérité entrent alors dans le champ de la vision, dans lesquels le mental ascendant peut, s'il en décide ainsi, demeurer avec satisfaction et vivre comme dans une structure, selon son habitude ancienne. Mais pour progresser, ces structures doivent constamment s'élargir en de plus vastes structures, ou se combiner entre elles en un tout provisoire plus large sur le chemin d'une intégralité encore inaccomplie. Finalement, on parvient à une grande totalité de vérité connue et vécue mais qui peut encore s'élargir à l'infini, parce qu'il n'y a pas de fin aux aspects de la connaissance, nâstyantô vistarasya mé.

Tel est le mental supérieur sous son aspect de cognition ; mais il a aussi un aspect de volonté, de réalisation dynamique de la Vérité. Ici nous observons que c'est toujours par le pouvoir de la pensée, par l'idée-force, que ce mental plus grand et plus brillant agit sur le reste de l'être, sur la volonté mentale, le coeur et ses sentiments, la vie et le corps. Il cherche à purifier par la connaissance, à délivrer par la connaissance, à créer par le pouvoir inné de la connaissance. L'idée est mise dans le coeur ou la vie comme une force qui doit être acceptée et élaborée ; le coeur et la vie deviennent alors conscients de l'idée et répondent à son dynamisme, puis leur substance commence à se modifier dans ce sens, de sorte que les sentiments et les actions deviennent les vibrations de cette sagesse supérieure, sont animés par elle, remplis de son émotion et de sa signification. La volonté et les impulsions vitales sont de même chargées de son pouvoir et de son élan vers la réalisation de soi ; et même dans le corps, l'idée travaille de telle sorte, par exemple, qu'une forte pensée de santé et une puissante volonté de santé peuvent remplacer la foi du corps dans la maladie et son consentement à la maladie, ou qu'une idée de force [Note : Le mot qui exprime l'idée a le même pouvoir s'il est chargé de force spirituelle. Telle est la raison de l'usage du mantra dans l'Inde] peut appeler la substance, le pouvoir, le mouvement, la vibration de la force. L'idée engendre la force et la forme propres à l'idée, et les imposent à la substance de notre mental, notre vie et notre matière. C'est de cette manière que s'accomplit le premier travail ; il charge l'être entier d'une conscience nouvelle et plus haute ; il pose les fondations du changement et prépare l'être à une vérité supérieure d'existence.

Pour éviter une notion fausse assez naturelle, et qui vient facilement quand on commence à percevoir et éprouver le pouvoir supérieur des forces plus hautes, il faut souligner que ces forces, lorsqu'elles descendent, ne sont pas immédiatement toutes-puissantes comme elles le seraient naturellement dans leur propre champ d'action et leur propre milieu. Lorsqu'elles entrent dans l'évolution de la matière, elles doivent pénétrer dans un milieu inférieur et étranger pour travailler sur lui. Elles rencontrent là les incapacités de notre mental, de notre vie et de notre corps, elles se heurtent au manque de réceptivité ou au refus aveugle de l'ignorance, elles subissent la négation et l'obstruction de l'inconscience. Sur leur propre plan elles agissent depuis une base de conscience lumineuse, à partir d'une substance d'être lumineuse, et elles sont automatiquement efficaces ; mais ici-bas, elles doivent affronter les fondations déjà solides de la nescience - et non seulement la complète nescience de la matière, mais la nescience mitigée du mental, du coeur et de la vie. Ainsi, en descendant dans l'intelligence mentale développée, l'idée plus haute doit, même là, surmonter le barrage d'une masse d'idées toutes faites ou de systèmes qui appartiennent à la connaissance-ignorance et vaincre la volonté de ces idées qui cherchent à persister et à se réaliser. Car toutes les idées sont des forces et, suivant les conditions, elles ont une faculté formatrice et réalisatrice plus ou moins grande - faculté parfois réduite pratiquement à néant, quand elles ont affaire à la matière inconsciente, mais qui cependant reste potentielle. Il existe donc un pouvoir de résistance tout formé qui s'oppose à la descente de Lumière ou en diminue les effets, une résistance qui peut aller jusqu'au refus, au rejet de la Lumière, ou qui peut prendre la forme d'une tentative d'altération, d'asservissement de la Lumière, d'affaiblissement ou d'ingénieuse adaptation ou de perverse déformation, pour l'accommoder aux idées préconçues de l'ignorance. Si les idées préconçues ou déjà formées sont repoussées et privées de leur droit de persistance, elles gardent encore un droit de récurrence et peuvent venir du dehors, du mental universel où elles prédominent ; ou bien elles peuvent s'enfoncer dans les parties vitales, physiques ou subconscientes de notre être, et de là resurgir à la moindre occasion pour reprendre possession de leur domaine perdu. La Nature évolutive doit en effet accorder ce droit de persistance aux choses qu'elle a établies afin de donner à sa marche une régularité et une fermeté suffisantes. En outre, c'est la nature de chaque force et son droit dans la manifestation, d'être soi-même, de survivre, de se réaliser, partout où c'est possible et aussi longtemps que possible ; et c'est pourquoi dans un monde d'ignorance, tout s'accomplit non seulement par une combinaison de forces, mais aussi par leur choc, leur conflit et leur brassage. Mais pour cette évolution plus haute, il est essentiel que tout mélange de l'ignorance avec la connaissance soit aboli ; l'action et l'évolution par le conflit des forces doivent faire place à une action et une évolution dans l'harmonie des forces ; et ce stade ne peut être atteint que par un dernier conflit et une victoire des puissances de Lumière et de Connaissance sur les puissances de l'ignorance. Sur les plans inférieurs de l'être, dans le coeur, la vie et le corps, le même phénomène se répète, mais sur une gamme plus intense ; car ici ce ne sont plus des idées qu'il faut affronter, mais des émotions, des désirs, des impulsions, des sensations, des besoins du vital et des habitudes de la Nature inférieure. Ceux-ci étant moins conscients que les idées, ont des réactions plus aveugles et s'affirment plus obstinément ; tous ont le même pouvoir de résistance et de récurrence ou même un pouvoir plus grand, et ils prennent refuge dans la Nature universelle circumconsciente, ou dans les niveaux inférieurs de notre être, ou à l'état de germe dans le subconscient et, de là, ils ont le pouvoir de resurgir et de nous envahir à nouveau. Ce pouvoir de persistance, de récurrence et de résistance des choses établies dans la Nature est toujours le grand obstacle qui s'oppose à la force évolutive, un obstacle qu'en fait elle a elle-même créé afin d'empêcher une transmutation trop rapide, et alors même que cette transmutation est son propre dessein final dans les choses.

Cet obstacle sera présent à chaque étape de cette grande ascension, même s'il diminue progressivement. Pour permettre vraiment à la Lumière supérieure d'entrer suffisamment et d'avoir la force d'agir, il est nécessaire d'acquérir le pouvoir d'apaiser sa nature, de se recueillir, de se tranquilliser, de faire pénétrer une passivité contrôlée ou même un silence complet dans le mental, le coeur, la vie et le corps. Mais même ainsi, il peut toujours se produire une opposition persistante, ouverte et tangible, dans la force de l'universelle ignorance, ou une opposition subliminale et voilée dans la substance-énergie dont le mental de l'individu est fait, dans sa forme vitale, son corps matériel ; une résistance occulte est toujours possible, une révolte ou une réaffirmation des énergies de la nature ignorante, même lorsqu'elles ont été maîtrisées ou refoulées ; et si dans la nature de l'être quelque chose y consent, ces énergies peuvent reprendre le pouvoir. L'établissement préalable d'une maîtrise psychique est très désirable, car cela crée une réceptivité générale et empêche la révolte des parties inférieures contre la Lumière, leur consentement aux exigences de l'ignorance. Une transformation spirituelle préliminaire réduira aussi l'emprise de l'ignorance. Mais aucune de ces influences n'élimine complètement son obstruction et ses limitations ; car ces changements préliminaires n'apportent pas la conscience et la connaissance intégrales ; la base originelle de nescience propre à l'inconscient sera encore là et il faudra, à chaque pas, la changer, l'illuminer, diminuer l'étendue et la force de ses réactions. Le pouvoir du mental supérieur spirituel et de son idée-force, affaibli et diminué par son entrée dans notre mentalité, n'est pas suffisant pour balayer tous ces obstacles et pour créer l'être gnostique ; mais il peut accomplir un premier changement, une modification qui rendra possible une ascension plus haute et une descente plus puissante, et il préparera, en outre, une intégration de l'être dans une Force plus grande de conscience et de connaissance.

Cette Force plus grande est celle du mental illuminé, non plus un mental de pensée supérieure, mais un mental de lumière spirituelle. Ici, la clarté de l'intelligence spirituelle, la tranquille lumière de son jour, fait place ou se subordonne à un éclat intense, à une splendeur et une illumination de l'Esprit. Une scintillation d'éclairs de vérité et de puissance spirituelles fait irruption d'en haut dans la conscience, et ajoute à l'illumination calme et immense, à la vaste descente de paix qui caractérisent ou accompagnent l'action du principe conceptuel-spirituel plus large, une ardeur brûlante de réalisation et l'extase enivrante de la connaissance. Un torrent de lumière intérieurement visible enveloppe très souvent cette action. Notons en effet, que contrairement à nos conceptions ordinaires, la lumière n'est pas originairement une création matérielle, et la perception ou la vision de lumière qui accompagne l'illumination intérieure n'est pas simplement une image visuelle subjective ou un phénomène symbolique. La lumière est essentiellement une manifestation spirituelle de la Réalité divine illuminatrice et créatrice, et la lumière matérielle est sa représentation ou sa conversion ultérieures dans la matière pour les besoins de l'énergie matérielle. Avec cette descente, se produit aussi l'arrivée d'un dynamisme plus grand, une poussée dorée, un lumineux enthousiasmos de force et de puissance intérieures qui remplacent le cheminement relativement lent et mesuré du mental supérieur, par l'impulsion rapide, parfois véhémente et presque violente, d'une prompte transformation.

Le mental illuminé n'opère pas principalement par la pensée, mais par vision ; la pensée n'est ici qu'un mouvement subordonné pour exprimer la vision. Le mental humain, qui s'appuie surtout sur la pensée, estime qu'elle est le processus de connaissance principal ou le plus haut ; mais dans l'ordre spirituel, la pensée est un processus secondaire et non indispensable. Sous sa forme verbale, on peut presque la décrire comme une concession faite par la Connaissance à l'ignorance, parce que cette ignorance est incapable de se rendre la vérité totalement claire et intelligible dans toute son étendue et ses implications multiples, à moins d'avoir recours à la précision clarifiante des sons significatifs ; sans cet artifice, elle ne peut pas donner aux idées un contour exact et un corps expressif. Mais il est évident que c'est un artifice, un mécanisme. En soi et à son origine aux niveaux supérieurs de conscience, la pensée est une perception, une appréhension cognitive de l'objet ou d'une certaine vérité des choses, et c'est là un résultat de la vision spirituelle qui, pour être puissant. n'en est pas moins mineur et secondaire, c'est un regard relativement extérieur et superficiel du moi sur le moi, du sujet sur lui-même ou sur quelque partie de lui-même prise comme objet ; car là, tout est diversité et multiplicité du moi. Dans le mental, il y a la réponse superficielle de la perception au contact d'un objet, d'une vérité ou d'un fait observé ou découvert, et la formulation conceptuelle qui s'ensuit ; mais dans la lumière spirituelle, il y a la réponse d'une perception plus profonde de la substance même de la conscience et, dans cette substance, une formulation compréhensive, l'image exacte d'un idéogramme révélateur dans le tissu de l'être - rien de plus, aucune représentation verbale n'est nécessaire pour la précision et la plénitude de cette connaissance-pensée. La pensée crée une image représentative de la Vérité ; elle l'offre au mental comme un moyen de tenir la Vérité et d'en faire un objet de connaissance ; mais le corps même de la Vérité est saisi et présenté exactement à la lumière solaire d'une vision spirituelle plus profonde, pour laquelle l'image représentative créée par la pensée est secondaire et dérivée ; cette image représentative est efficace pour communiquer la connaissance, mais elle n'est pas indispensable pour recevoir et posséder la connaissance.

Une conscience qui procède par vision, la conscience du voyant, a un plus grand pouvoir de connaissance que la conscience du penseur. Le pouvoir perceptif de la vision intérieure est plus grand et plus direct que le pouvoir perceptif de la pensée ; c'est un sens spirituel qui saisit quelque chose de la substance de la Vérité et pas seulement son image ; mais il dessine l'image aussi, en même temps qu'il en saisit la signification, et il peut la revêtir d'un contour plus subtil, plus hardiment révélateur, et d'une compréhension, d'un pouvoir d'intégralité plus vaste que ne peut le faire la pensée conceptuelle. De même que le mental supérieur apporte dans l'être une plus grande conscience, par le moyen de l'idée spirituelle et son pouvoir de vérité, de même le mental illuminé lui apporte une conscience plus grande encore, par le moyen d'une vision de vérité, par la lumière de la vérité et son pouvoir de vision et d'appréhension. Il peut effectuer une intégration plus puissante et plus dynamique ; il illumine le mental pensant par une vision et une inspiration intérieures directes ; il fait entrer une vision spirituelle dans le coeur, une lumière et une énergie spirituelles dans ses sentiments et ses émotions ; il communique un élan spirituel à la force vitale, une inspiration de vérité qui dynamise l'action et exalte les mouvements de la vie ; il infuse dans les sens un pouvoir direct et total de sensation spirituelle, de sorte que notre être vital et physique peut entrer en contact avec le Divin dans toutes les choses et le rencontrer concrètement, tout aussi intensément que le mental et les émotions peuvent le concevoir, le percevoir et le sentir ; il jette sur le mental physique une lumière transformatrice qui brise ses limites, son inertie conservatrice, qui remplace son étroit pouvoir de pensée et ses doutes par la vision, et verse la luminosité et la conscience dans les cellules mêmes du corps. Dans la transformation par le mental supérieur, le sage et le penseur spirituel trouveront leur accomplissement total et dynamique ; la transformation par le mental illuminé apportera un accomplissement similaire au voyant et au mystique illuminé, à ceux dont l'âme vit dans la vision et dans une perception, une expérience directes ; car c'est de ces sources plus hautes qu'ils reçoivent leur lumière, et s'élever jusqu'à cette lumière afin d'y vivre sera pour eux l'ascension vers leur empire natal.

Mais ces deux étapes de l'ascension, celle du mental supérieur et celle du mental illuminé, ne jouissent de toute leur puissance et ne peuvent trouver leur propre plénitude unifiée qu'en se référant à un troisième niveau ; car c'est des sommets plus élevés où demeure l'être intuitif qu'ils tirent la connaissance pour la changer en pensée ou en vision et la faire descendre en nous pour la transmutation du mental. L'intuition est un pouvoir de conscience plus intimement proche de la connaissance originelle par identité, car toujours elle jaillit directement d'une identité cachée. Il faut en effet que la conscience du sujet rencontre la conscience de l'objet et la pénètre, qu'elle voie ou sente la vérité de ce qu'elle touche ou qu'elle vibre avec elle, pour que l'intuition jaillisse du choc de la rencontre comme une étincelle ou un éclair ; ou il faut que la conscience, même sans rencontre de cette sorte, regarde en elle-même et sente directement et intimement la vérité ou les vérités qui s'y trouvent et prenne ainsi contact avec les forces cachées derrière les apparences, pour que se produise de même le jaillissement d'une lumière intuitive ; ou encore, il faut que la conscience rencontre la réalité spirituelle des choses et des êtres ou la Suprême Réalité et qu'elle s'unisse à elle par contact, pour que l'étincelle, l'éclair ou la flamme d'une intime perception de la vérité s'allume dans ses profondeurs. Cette perception profonde est plus qu'une vision, plus qu'une conception ; c'est le résultat d'un contact pénétrant et révélateur qui apporte avec lui la vision et la conception comme des parties de lui-même ou comme ses conséquences naturelles. Une identité cachée ou assoupie, et qui ne s'est pas encore réveillée, se souvient pourtant et transmet par l'intuition son propre contenu et l'intimité de son sentiment ou de sa vision des choses, la lumière de sa vérité, sa certitude irrésistible et automatique.

Dans le mental humain lui-même, l'intuition est aussi un souvenir de la vérité ou une transmission de la vérité, un éclair révélateur, une flamme qui jaillit au milieu d'une grande masse d'ignorance, ou à travers un voile de nescience. Mais nous avons vu que là elle est soumise à un mélange envahissant, recouverte d'une couche mentale ou interceptée et contrefaite ; de nombreuses possibilités d'interprétations fausses s'opposent également à la pureté et à la plénitude de son action. En outre, à tous les niveaux de l'être, on trouve d'apparentes intuitions qui sont des communications plutôt que des intuitions, et qui ont une provenance, une valeur et un caractère très variés. L'individu infrarationnel qui se dit mystique - car pour être un vrai mystique il ne suffit pas de rejeter la raison et de s'en remettre à des sources de pensée et d'action dont on n'a aucune compréhension -, est souvent inspiré, au niveau vital, par des communications de ce genre qui proviennent d'une source obscure et dangereuse. Dans ces conditions, nous sommes amenés à nous appuyer surtout sur la raison et nous sommes même enclins à contrôler les suggestions de l'intuition - ou de la pseudo-intuition, ce qui est le cas le plus fréquent - par l'intelligence observatrice et critique ; car nous sentons dans la partie intellectuelle de notre être, que sans cela nous ne pouvons pas savoir avec certitude ce qui est la chose vraie et ce qui est un article mélangé ou frelaté, une contrefaçon. Tout cela diminue de beaucoup pour nous l'utilité de l'intuition, car dans ce domaine, la raison n'est pas un arbitre digne de confiance ; ses méthodes sont en effet différentes et incertaines, elle tâtonne et procède par une recherche intellectuelle. Alors même que ses conclusions s'appuient en fait sur une intuition camouflée - car sans cette aide elle serait incapable de trouver son chemin ou d'arriver à une conclusion certaine - elle se cache à elle-même cette dépendance derrière le jeu d'une déduction raisonnée ou d'une hypothèse vérifiée. Une intuition soumise à l'interrogatoire de la raison n'est plus une intuition et elle ne peut plus avoir que l'autorité de la raison, pour laquelle il n'existe pas de source intérieure de certitude directe. Même si le mental devenait de façon prédominante un mental intuitif et s'il s'appuyait sur sa part de la faculté supérieure, il lui serait encore difficile de coordonner ses cognitions et ses activités séparées - dans le mental en effet, celles-ci ont toujours tendance à apparaître comme une série d'éclairs imparfaitement reliés - aussi longtemps que cette nouvelle mentalité n'est pas en liaison consciente avec sa source suprarationnelle ou qu'elle ne peut s'élever elle-même et accéder au plan supérieur de conscience où l'action intuitive est pure et naturelle.

L'intuition est toujours un rayon, l'extrême pointe ou le bond d'une lumière supérieure ; elle est le tranchant, la lame ou la pointe projetée en nous par une lumière supramentale lointaine qui pénètre la substance intermédiaire du mental de vérité au-dessus de nous en s'y atténuant, puis, ainsi atténuée, entre dans notre substance mentale ordinaire ou ignorante où elle est considérablement aveuglée. Mais sur le plan plus élevé qui lui a donné naissance, sa lumière est sans mélange et par conséquent entièrement et purement véridique ; là, ses rayons ne sont pas séparés, mais reliés et massés ensemble comme le jeu des vagues de ce que l'on pourrait presque appeler, suivant l'image poétique du sanskrit, une mer ou une masse "d'éclairs immobiles". Quand cette intuition originelle ou native commence à descendre en nous pour répondre a l'ascension de notre conscience qui s'est élevée jusqu'à son niveau ou parce que nous avons découvert un moyen de communiquer librement avec elle, elle peut continuer à venir comme un jeu d'éclairs isolés ou en action constante. Mais à ce stade, le jugement de la raison devient tout à fait inapplicable ; celle-ci en effet ne peut agir que comme un observateur ou un archiviste qui comprend ou enregistre les indications, les distinctions et les jugements plus lumineux du pouvoir supérieur. Pour compléter ou vérifier une intuition isolée ou discerner sa nature, ses applications et ses limites, la conscience réceptrice doit avoir recours à une autre intuition qui la complète, ou être en mesure de faire descendre une intuition d'ensemble qui peut mettre chaque chose à sa place. Car, dès que le processus de changement a commencé, il est impératif que la substance et les activités mentales soient complètement transmuées en la substance, la forme et la puissance de l'intuition. Jusque-là, et tant que le processus de la conscience a besoin de l'intelligence inférieure pour servir l'intuition, l'aider à sortir ou l'utiliser, il ne peut en résulter que la perpétuation d'un mélange de connaissance et d'ignorance, même si celui-ci est exhaussé ou assisté par une lumière et une force plus hautes qui agissent dans ses éléments de connaissance.

L'intuition a un quadruple pouvoir. Le pouvoir de voir la vérité ou pouvoir de révélation, le pouvoir d'entendre la vérité ou pouvoir d'inspiration, le pouvoir de toucher la vérité ou de saisir immédiatement sa signification - pouvoir qui ressemble assez par sa nature à son intervention habituelle dans notre intelligence mentale - et le pouvoir de discerner vraiment et automatiquement la relation ordonnée et exacte des vérités entre elles ; tels sont les quatre pouvoirs de l'intuition. L'intuition peut donc accomplir toutes les tâches de la raison y compris la fonction de l'intelligence logique qui est d'établir une relation correcte entre les choses et la relation correcte des idées entre elles -, mais elle le fait par son propre processus supérieur, et sans hésitation ni défaillance. Elle prend en main non seulement le mental et la pensée, pour les transformer en sa propre substance, mais aussi le coeur et la vie, les sens et la conscience physique. Déjà, ils ont tous leurs propres pouvoirs particuliers d'intuition qui émanent de la Lumière cachée, mais le pouvoir pur qui descend d'en haut peut les absorber tous en lui-même, et conférer une intégralité et une perfection plus grandes aux perceptions profondes du coeur et de la vie et aux divinations du corps. La conscience entière peut ainsi être changée en substance d'intuition ; car l'intuition apporte l'ampleur de son propre mouvement rayonnant dans la volonté, dans les sentiments et les émotions, dans les impulsions vitales, l'action des sens et la sensation, dans le fonctionnement même de la conscience corporelle ; elle les refond dans la lumière et la puissance de la vérité, illumine leur connaissance et leur ignorance. Une certaine intégration peut ainsi s'opérer, mais la perfection de cette intégration dépend de la mesure dans laquelle la nouvelle lumière est capable de se charger du subconscient et de pénétrer l'inconscience fondamentale. Ici, la lumière et la puissance de l'intuition peuvent se trouver gênées dans leur tâche, parce que cette intuition n'est que la pointe d'un supramental délégué et atténué, et qu'elle n'apporte pas la masse ou le corps entier de la connaissance par identité. La base d'inconscience dans notre nature est trop vaste, trop profonde et trop solide pour se laisser complètement pénétrer, changer en lumière et transformer par un instrument inférieur de la Nature de Vérité.

L'étape suivante de l'ascension nous conduit au surmental ; le changement intuitif ne peut être en effet qu'une introduction à cette ouverture spirituelle plus haute. Or nous avons vu que le surmental est un pouvoir de conscience cosmique, même lorsque son action n'est pas totale mais sélectrice ; c'est un principe de connaissance globale qui porte en lui une lumière déléguée venue de la gnose supramentale. Par conséquent, c'est seulement en s'ouvrant à la conscience cosmique que l'ascension jusqu'au surmental et sa descente en nous peuvent devenir tout à fait possibles. Une haute et intense ouverture individuelle vers le haut ne suffit pas : à cette ascension verticale vers la Lumière du sommet doit s'ajouter une vaste expansion horizontale de la conscience et son entrée dans une certaine totalité de l'Esprit. Il faut, au moins, que l'être intérieur ait déjà remplacé le mental de surface et sa vision limitée, par une perception plus profonde et plus vaste, et qu'il ait appris à vivre dans une large universalité ; sans cela la vision surmentale des choses et le dynamisme surmental n'auront pas de place pour s'installer et effectuer leurs opérations dynamiques. Quand le surmental descend, le sens centralisateur de l'ego cesse de prédominer, il se subordonne entièrement, se perd dans l'immensité de l'être jusqu'à ce qu'il soit finalement aboli ; une vaste perception ou sentiment cosmique d'un Moi et d'un mouvement universels sans limites le remplace. Bien des mouvements qui étaient auparavant ego-centriques peuvent encore continuer, mais ils viennent comme des courants ou des ondulations dans l'étendue cosmique. La pensée, en grande partie, ne semble plus avoir une origine individuelle dans le corps ou la personne, elle se manifeste d'en haut, ou entre avec les vagues mentales cosmiques ; toute vision intérieure, toute intelligence individuelle des choses, devient alors une révélation ou une illumination de ce qui est vu ou embrassé, mais la source de la révélation n'est pas dans le moi séparé, elle est dans la connaissance universelle. De même, les sentiments, les émotions, les sensations sont perçus comme des vagues de cette même immensité cosmique, qui déferlent sur le corps subtil et le corps matériel et auxquelles le centre individuel de l'universalité répond de manière spécifique ; car le corps n'est qu'un petit support - moins encore, un point de relation - qui sert le jeu d'une vaste instrumentation cosmique. Dans cette immensité sans bornes, l'ego séparé peut disparaître complètement, et même tout sens d'individualité, même celui d'une individualité subordonnée et instrumentale ; seuls demeurent l'existence cosmique, la conscience cosmique, la félicité cosmique, le jeu des forces cosmiques. Si l'on sent la félicité ou le centre de Force dans ce qui était auparavant le mental personnel, la vie et le corps personnels, ce n'est plus avec un sens personnel, car ceux-ci sont perçus comme un simple champ de manifestation, et ce sentiment de félicité ou cette perception de l'action de la Force ne se borne pas à la personne ou au corps : on peut l'éprouver dans tous les points d'une conscience d'unité, qui est illimitée et qui imprègne toute chose.

Mais il peut y avoir de multiples formulations de la conscience et de l'expérience surmentales ; car le surmental possède une grande plasticité et c'est un champ de possibilités multiples. Au lieu d'une diffusion dépourvue de centre et non située, on peut sentir l'univers en soi-même ou comme soi-même ; mais ici aussi ce moi n'est pas l'ego, c'est l'extension d'une conscience de soi essentielle, libre et pure, ou c'est une identification avec le Tout - l'extension ou l'identification constituant un être cosmique, un individu universel. Dans un certain état de la conscience cosmique, l'individu est inclus dans le cosmos, mais il s'identifie à tout, aux choses et aux êtres, aux pensées et aux sensations des autres, à leur joie et leur douleur ; dans un autre état, ce sont les êtres qui sont inclus en nous-même et la réalité de leur vie fait partie de notre être même. Souvent il n'y a aucune règle ou direction dans cet immense mouvement, mais un libre jeu de la Nature universelle auquel ce qui était l'être personnel répond par une acceptation passive ou une identité dynamique, tandis que l'Esprit reste libre et non troublé ni lié par les réactions de cette passivité, de cette identification et de cette sympathie universelles et impersonnelles. Mais si l'influence du surmental est forte, ou si son action est complète, le sentiment d'une direction intégrale peut s'établir de façon normale avec la présence et la conduite constantes du Moi cosmique ou Ishwara, qui soutient et dirige tout ; ou bien un centre spécial peut se révéler ou se créer, qui surplombe et domine l'instrument physique ; ce centre est individuel dans le fait de l'existence, mais impersonnel dans le sentiment qu'on en a, et il est reconnu par une libre cognition comme une sorte d'instrument servant l'action d'un Être universel et transcendant. Dans la transition vers le supramental, cette action centralisatrice conduit à la découverte d'un individu vrai qui remplace l'ego mort, un être qui dans son essence est un avec le Moi suprême, un dans l'extension avec l'univers et qui pourtant est un centre et une circonférence cosmiques de cette action spécialisée de l'infini.

Tels sont, en général, les premiers résultats qui créent les fondations normales de la conscience surmentale dans l'être spirituel évolué ; mais ses variétés et ses développements sont innombrables. La conscience qui agit de cette façon est perçue comme une conscience de Lumière et de Vérité, comme un pouvoir, une force, une action pleine de Lumière et de Vérité, comme une aisthêsis, une sensation de beauté et de félicité universelles et innombrables dans les détails ; elle illumine l'ensemble et chaque chose, le mouvement unique et tous les mouvements ; son expansion est constante, et le jeu de ses possibilités est infini, elle est sans fin et indéterminable, même dans la multitude de ses déterminations. Si le pouvoir d'une gnose surmentale ordonnatrice intervient, alors la conscience et l'action prennent une structure cosmique, mais celle-ci n'est pas semblable aux structures mentales rigides ; elle est plastique et organique, c'est une chose qui peut croître et se développer et s'étendre à l'infini. Toutes les expériences spirituelles sont dès lors embrassées et deviennent habituelles et normales pour la nouvelle nature ; toutes les expériences essentielles propres au mental, à la vie et au corps sont reprises et spiritualisées, transmuées et senties comme des formes de la conscience, de la félicité et de la puissance de l'existence infinie. L'intuition, la vision et la pensée illuminées s'élargissent ; leur substance assume une plus grande substantialité, une masse et une énergie plus grandes ; leur mouvement prend de multiples facettes, il est plus compréhensif, plus global, plus vaste et plus puissant dans sa force de vérité ; notre nature entière - connaissance, aisthêsis, sympathie, sentiment, dynamisme - devient plus universelle car elle comprend tout, embrasse tout, elle est cosmique et infinie.

Le changement surmental est le mouvement final qui couronne la transformation spirituelle dynamique ; c'est l'état statique et dynamique le plus haut que l'Esprit puisse atteindre sur le plan du mental spirituel. Il rassemble tout ce qui se trouve aux trois échelons en dessous et élève leurs opérations caractéristiques à la puissance la plus haute et la plus vaste, en y ajoutant une ampleur universelle de conscience et de force, un accord harmonieux de connaissance, une félicité d'être plus riche. Mais certaines raisons, qui tiennent à son statut et à son pouvoir caractéristiques, l'empêchent d'être la possibilité finale de l'évolution spirituelle. Le surmental n'est qu'un pouvoir de l'hémisphère inférieur, bien qu'il en soit le plus élevé ; son action est une action de division, c'est une interaction, une action qui prend son appui sur le jeu de la multiplicité, bien que sa base soit l'unité cosmique. Son jeu, comme celui de tout le mental, est un jeu de possibilités, et bien qu'il n'agisse pas dans l'ignorance, mais avec la connaissance de la vérité de ces possibilités, il doit néanmoins les réaliser par l'évolution indépendante de leurs propres pouvoirs. Dans chaque formule cosmique le surmental agit selon la signification fondamentale de cette formule, car ce n'est pas un pouvoir de transcendance dynamique. Ici-bas, dans la vie terrestre, il doit travailler sur une formule cosmique dont la base est la complète nescience, qui vient de ce que le mental, la vie et la matière sont séparés de leur propre source et de leur suprême origine. Le surmental peut, jusqu'à un certain point, jeter un pont sur cette division, lorsque le mental séparatif entre dans le surmental et participe à son action ; il peut alors unir le mental individuel au mental cosmique sur son plan le plus haut, rendre le moi individuel égal au moi cosmique et donner à notre nature une universalité d'action. Mais il ne peut pas mener le mental au-delà de lui-même et, dans ce monde d'inconscience originelle, il ne peut pas dynamiser la Transcendance, car le supramental seul est la suprême action d'une vérité qui se détermine elle-même, et seul il est le pouvoir qui manifeste directement cette Transcendance. Si donc l'action de la Nature évolutive s'arrêtait là, le surmental ne pourrait pas aller plus loin, à moins que, après avoir porté la conscience jusqu'à ce point de vaste universalité illuminée et organisé le jeu d'une vaste et puissante perception spirituelle de l'existence absolue, de la conscience-force et de la félicité totales, il n'ouvre les portes de l'Esprit sur l'hémisphère supérieur et ne veuille permettre à l'âme de quitter sa formation cosmique pour entrer dans la Transcendance.

Dans l'évolution terrestre elle-même, la descente surmentale n'aurait pas le pouvoir de transformer entièrement l'inconscience. Tout ce qu'elle pourrait faire, ce serait de transformer en sa propre substance, dans chaque homme qu'elle touche, tout l'être conscient, intérieur et extérieur, personnel et universellement impersonnel, et d'imposer cela à l'ignorance pour l'illuminer et la faire entrer dans la vérité et la connaissance cosmiques. Mais la base de nescience resterait ; ce serait comme si un soleil et ses planètes se mettait à briller dans l'obscurité originelle de l'espace et à tout illuminer aussi loin que leurs rayons peuvent atteindre, et tous ceux qui demeurent dans la lumière auraient le sentiment qu'il n'y a plus du tout d'obscurité dans leur expérience de l'existence. Pourtant, en dehors de cette sphère ou étendue de l'expérience, les ténèbres originelles régneraient encore, et, puisque tout est possible dans la structure surmentale, elles pourraient réenvahir l'île de lumière créée dans leur empire. De plus, puisque le surmental peut manier des possibilités différentes, son action naturelle serait de développer séparément et jusqu'à l'extrême la possibilité d'une ou de plusieurs formulations spirituelles dynamiques, ou d'un grand nombre d'entre elles, ou de combiner et d'harmoniser plusieurs possibilités ensemble ; mais chacune de ces créations ou chacun de ces ensembles de créations aurait une existence séparée et complète au sein de la création terrestre originelle. On y trouverait l'individu spirituel évolué ; on pourrait aussi voir apparaître une ou plusieurs communautés spirituelles dans le même monde que l'homme mental et l'être vital de l'animal, mais chacune élaborerait son existence indépendante en restant vaguement reliée au reste de la formule terrestre, On ne trouverait pas encore ce qui doit être la loi de la nouvelle conscience évolutive, le pouvoir suprême du principe d'unité qui prend en lui toutes les diversités et les dirige comme des parties de l'unité. En outre, ce degré d'évolution ne donnerait aucune sécurité contre la gravitation vers le bas ou l'attraction de l'inconscience qui dissout toutes les formations construites en elle par la vie et le mental, qui engloutit tout ce qui sort d'elle ou lui est imposé, et désintègre tout en sa matière originelle. Seule la descente du supramental dans la formule terrestre, en apportant la loi, la Lumière et la dunamis, la Force suprême de l'Esprit et en pénétrant la base matérielle de l'inconscience pour la transformer, peut libérer de cette attraction de l'inconscience et assurer la base d'une évolution divine ou gnostique continue. Une dernière transition du surmental au supramental et une descente du supramental doit donc intervenir à ce stade de l'évolution de la Nature.

Le surmental et ses pouvoirs délégués, prenant en main et pénétrant le mental, ainsi que la vie et le corps qui dépendent du mental, soumettraient tout à un processus d'agrandissement. À chaque étape de ce processus pourrait s'établir une puissance plus grande, une plus haute intensité de la gnose, qui serait de moins en moins mélangée à la substance lâche, diffuse, amoindrissante et diluante du mental ; et puisque toute gnose est à l'origine un pouvoir du supramental, cela se traduirait dans notre nature par un influx de plus en plus grand de la lumière et de la puissance supramentales encore à demi voilées et indirectes. Ceci se poursuivrait jusqu'au moment où le surmental lui-même commencerait à se transformer en supramental ; la conscience et la force supramentales prendraient alors directement en main la transformation, elles révéleraient au mental terrestre, à la vie et à l'être corporel leur propre vérité spirituelle et leur propre divinité, et finalement verseraient dans notre nature entière la connaissance parfaite, la puissance et la signification parfaites de l'existence supramentale. L'âme passerait au-delà des frontières de l'ignorance et franchirait la ligne originelle d'où elle s'est séparée de la Connaissance suprême ; elle entrerait dans l'intégralité de la gnose supramentale et la descente de la Lumière gnostique effectuerait la complète transformation de l'ignorance.

Ceci, ou quelque plan analogue plus large, pourrait être considéré comme l'exposé schématique, logique ou idéal de la transformation spirituelle ; c'est un plan structural de l'ascension vers le sommet supramental, envisagée comme une succession d'étapes séparées, chacune devant s'accomplir avant que la suivante puisse commencer. Émanant une individualité naturelle organisée, l'âme est comme un voyageur qui gravit les degrés de la conscience taillés dans la Nature universelle, et chaque ascension la porte tout entière, comme un tout défini, comme une forme individuelle de l'être conscient, d'un état de son existence au suivant dans l'ordre. Jusqu'ici, il est exact que l'intégration d'un état doit être suffisamment complète avant que l'ascension à la station suivante puisse être tout à fait assurée. Cette claire succession pourrait marquer aussi la marche suivie par un petit nombre dès les premières étapes de cette évolution, et de même elle pourrait devenir le processus normal une fois que l'échelle de l'évolution aura été entièrement construite et consolidée. Mais la Nature évolutive n'est pas une série logique de segments séparés ; c'est une totalité de pouvoirs ascendants de l'être qui s'interpénètrent et s'épaulent et qui, par leur interaction, ont un pouvoir de modification mutuelle. Quand la conscience supérieure descend dans l'inférieure, elle change cette conscience, mais elle est aussi modifiée et diminuée par elle ; quand la conscience inférieure s'élève, elle est sublimée, mais en même temps elle affaiblit la substance et la puissance sublimatrices. Cette interaction crée un enchevêtrement, une diversité et une abondance de degrés intermédiaires dans la force et la conscience de l'être, ce qui rend difficile aussi une complète intégration de tous les pouvoirs sous l'entière autorité d'un pouvoir unique. Pour cette raison, on ne trouve pas vraiment, dans l'évolution individuelle, une série d'étapes successives, simples et bien tranchées, mais plutôt un mouvement complexe et global, mi-clair, mi-confus. On peut encore décrire l'âme comme un voyageur et un grimpeur qui se presse vers son but élevé, échelon après échelon ; il doit construire chacun d'eux comme un tout en soi, et le plus souvent redescendre pour reconstruire et consolider l'échelle qui le supporte afin qu'elle ne s'écroule pas sous lui. Mais l'évolution de la conscience dans son ensemble ressemble plutôt à un mouvement ascendant de la Nature, comme un océan ; on peut la comparer à une marée ou à un flot montant dont les premiers embruns viennent effleurer les hauts degrés de la falaise ou de la colline tandis que le reste est encore loin en dessous. À chaque étape, les parties supérieures de notre nature peuvent être provisoirement organisées dans la nouvelle conscience, bien que de façon incomplète, tandis que les parties inférieures restent dans un état de flux ou de formation ; elles continuent en partie à agir de la vieille manière, tout en subissant l'influence et en commençant à changer, et en partie elles appartiennent au nouvel ordre, bien que le changement soit encore imparfait et mal assuré. On pourrait donner une autre image, celle de troupes qui s'avancent en colonnes et annexent de nouveaux territoires, tandis que le gros de l'armée reste encore en arrière, dans un pays envahi, mais trop vaste pour être effectivement occupé, si bien qu'il faut encore faire des haltes fréquentes et revenir partiellement en arrière dans les régions déjà traversées, pour consolider et assurer la mainmise sur le territoire occupé et pour assimiler ses habitants. Une conquête rapide serait possible, mais ce ne serait qu'un campement ou une domination sur un pays étranger ; ce ne serait pas l'absorption, l'assimilation totale, l'intégration nécessaire au changement supramental complet.

Ceci entraîne certaines conséquences qui troublent la claire succession de l'évolution et l'empêchent de suivre le cours nettement déterminé et fermement arrangé que notre intelligence logique exige de la Nature mais en obtient rarement. En effet, la vie et le mental commencent à apparaître quand l'organisation de la matière est suffisante pour les admettre, mais l'organisation plus complexe et parfaite de la matière ne vient qu'avec le développement de la vie et du mental ; de même le mental apparaît quand la vie est suffisamment organisée pour permettre une vibration plus développée de la conscience, mais la vie ne trouve sa véritable organisation et son plein développement que lorsque le mental peut agir sur elle, l'évolution spirituelle commence de même quand l'homme, en tant qu'être mental, est capable d'une vibration spirituelle, mais le mental ne peut s'élever à sa plus haute perfection qu'avec la croissance des intensités et des luminosités de l'Esprit ; et il en est de même encore de l'évolution supérieure des pouvoirs ascendants de l'Esprit. Dès que le développement spirituel est suffisant et qu'il y a un début d'intuition, d'illumination de l'être, l'opération des degrés spirituels supérieurs de la conscience commence à se manifester - parfois l'un, parfois l'autre ou tous ensemble, et il n'est pas nécessaire d'attendre que chaque pouvoir de la série soit complet pour qu'un pouvoir supérieur entre en action. Une lumière et une puissance surmentales peuvent descendre jusqu'à un certain point, créer dans l'être une forme particulière d'elles-mêmes et jouer un rôle prépondérant, surveiller ou intervenir, tandis que le mental intuitif, le mental illuminé et le mental supérieur sont encore incomplets ; ceux-ci resteront alors dans l'ensemble, et continueront à agir en même temps que le pouvoir plus grand, mais ils seront fréquemment pénétrés et sublimés par 1ui, ou s'élèveront jusqu'à lui pour former une intuition plus grande ou surmentale, une illumination plus grande ou surmentale, un penser spirituel plus grand ou surmental. Cet enchevêtrement vient de ce que chaque pouvoir descendant, par l'intensité même de sa pression sur notre nature et son effet exaltant, rend l'être capable de recevoir un pouvoir encore plus haut, avant que le premier pouvoir lui-même ne soit complet dans sa formation propre ; mais cela vient aussi de ce que le travail d'élévation et de transformation de la nature inférieure est difficile à accomplir sans une intervention de plus en plus haute. L'illumination et la pensée supérieure ont besoin de l'aide de l'intuition, l'intuition a besoin de l'aide du surmental pour combattre l'obscurité et l'ignorance dans lesquelles toutes trois travaillent péniblement, et pour trouver leur propre plénitude. En outre, il n'est pas possible finalement que le statut surmental et l'intégration surmentale soient complets avant que le mental supérieur et le mental illuminé n'aient été intégrés et absorbés par l'intuition, et que l'intuition elle même n'ait été intégrée et absorbée, ultérieurement, par l'énergie surmentale qui élargit tout et sublime tout. La loi de gradation doit être satisfaite, même dans la complexité du processus évolutif de la Nature.

Une autre cause de complexité vient de la nécessité de l'intégration elle-même ; car ce processus n'implique pas seulement une ascension de l'âme à un statut supérieur, mais une descente de la conscience plus haute ainsi atteinte, qui doit absorber la nature inférieure et la transformer. Mais du fait de sa formation antérieure, cette nature a une densité qui résiste et s'oppose à la descente ; et même quand le pouvoir supérieur a brisé la barrière et qu'il est descendu et qu'il travaille, nous avons vu que la nature de l'ignorance résiste et s'oppose à son action, soit qu'elle lutte pour repousser tout à fait la transformation, soit qu'elle essaye de modifier le nouveau pouvoir pour qu'il se conforme plus ou moins à son propre fonctionnement, soit même qu'elle se jette sur lui pour s'en saisir, le dégrader et l'asservir à son propre mode d'action et à ses fins inférieures. Généralement, pour accomplir leur tâche d'absorption et d'assimilation de cette substance récalcitrante de la Nature, les pouvoirs supérieurs descendent d'abord dans le mental et occupent les centres mentaux, parce que ceux-ci leur ressemblent davantage par l'intelligence et le pouvoir de connaissance. S'ils descendent d'abord dans le coeur ou dans l'être vital, siège de la force et des sensations - comme ils le font parfois, parce que dans certains individus ces parties se trouvent plus ouvertes et sont les premières à appeler -, les résultats sont plus mélangés et plus douteux, plus imparfaits, plus incertains que si les choses se passaient dans l'ordre logique. Mais même s'il agit normalement et s'il prend l'être en main partie par partie, dans l'ordre naturel de la descente, le pouvoir descendant n'est pas capable d'effectuer une occupation totale et une transformation totale de chaque partie avant d'aller plus loin. Il ne peut effectuer qu'une occupation générale et incomplète, si bien que les activités de chaque partie n'appartiennent que partiellement à l'ordre nouveau supérieur, partiellement à un ordre mélangé, et partiellement aussi au vieil ordre inférieur inchangé. Le mental dans toute son étendue ne peut être transmué d'un seul coup, car les centres mentaux ne forment pas une région isolée du reste de l'être ; l'action mentale est pénétrée par l'action des parties vitales et physiques, et dans ces parties elles-mêmes il y a des formations inférieures du mental, un mental vital, un mental physique, et ceux-ci doivent être changés avant que l'être mental puisse être complètement transformé. Le pouvoir transformateur supérieur doit donc descendre dans le coeur, aussitôt qu'il le peut et sans attendre le changement mental intégral, afin d'occuper et de changer la nature émotive ; puis dans les centres vitaux inférieurs pour les occuper et changer toute la nature vitale, dynamique et sensorielle, finalement dans les centres physiques afin d'occuper et de changer toute la nature physique. Mais cet accomplissement lui-même n'est pas décisif, car il reste encore les parties subconscientes et la base inconsciente. La complexité, l'enchevêtrement de l'action de ces pouvoirs et des parties de l'être sont si grands qu'on pourrait presque dire, pour ce changement, que rien n'est accompli jusqu'à ce que tout soit accompli. Il y a un flux et un reflux, les forces de la vieille nature reculent puis reviennent occuper partiellement leurs vieilles possessions ; elles battent lentement en retraite avec des actions d'arrière-garde, des contre-attaques et des ripostes agressives ; l'influx supérieur occupe chaque fois davantage de territoire conquis, mais sa souveraineté est incertaine et imparfaite aussi longtemps qu'il reste quelque chose qui ne s'est pas intégré au régime lumineux.

Une troisième complication vient de ce que la conscience a le pouvoir de vivre dans plusieurs états en même temps. En particulier, la division de notre être en une nature intérieure et une nature extérieure ou superficielle crée une difficulté que vient encore compliquer l'existence d'une circumconscience secrète ou conscience ambiante dans laquelle sont déterminées nos relations invisibles avec le monde autour de nous. Avec l'ouverture spirituelle, c'est l'être intérieur éveillé qui reçoit et assimile rapidement les influences plus hautes et revêt la nature supérieure ; mais le moi extérieur de surface, plus entièrement façonné par les forces de l'ignorance et de l'inconscience, est plus lent à s'éveiller, plus lent à recevoir, plus lent à assimiler. Il en résulte une longue période pendant laquelle l'être intérieur est suffisamment transformé, tandis que l'être extérieur est encore engagé dans le mouvement mélangé et difficile d'un changement imparfait. Ce décalage se répète à chaque pas de l'ascension, car à chaque changement, l'être intérieur suit volontiers, tandis que l'être extérieur traîne en arrière et avance à contrecoeur, quand il ne reste pas impuissant malgré son aspiration et son désir. Tout cela rend nécessaire un travail pénible et constamment répété d'élévation, d'adaptation, d'orientation ; un travail qui est toujours le même dans son principe, mais qui se répète toujours sous des formes nouvelles.. Et même quand la nature extérieure et la nature intérieure de l'individu se sont unifiées dans une conscience spirituelle harmonisée, il reste encore un champ d'imperfection avec cette partie de lui-même plus extérieure, mais occulte, par laquelle son être se mêle à l'être du monde extérieur et à travers laquelle le monde extérieur envahit sa conscience. Il se fait là, nécessairement, un échange entre des influences disparates ; l'influence spirituelle intérieure se heurte à des influences tout à fait opposées qui dominent puissamment l'ordre mondial actuel, et la nouvelle conscience spirituelle doit soutenir le choc de l'ignorance et de ses puissances non spiritualisées dont la domination est bien établie. Tout cela crée une difficulté qui est d'une importance capitale à tous les stades de l'évolution spirituelle et de son élan pour changer notre nature.

On peut édifier une spiritualité subjective qui refuse ou réduit au minimum les rapports avec le monde ou qui se contente d'assister en témoin à son mouvement et de repousser ou de rejeter ses influences envahissantes sans se permettre la moindre réaction à leur égard ou sans admettre leur intrusion. Mais si la spiritualité intérieure doit s'objectiver par une libre action dans le monde, si l'individu doit se projeter dans le monde et, dans un certain sens, prendre le monde en lui-même, il ne peut le faire dynamiquement sans recevoir les influences du monde à travers son propre être circumconscient ou ambiant. La conscience spirituelle intérieure doit donc manier ces influences de telle sorte que dès qu'elles approchent ou qu'elles entrent, elles soient annulées et sans effet ou transformées en son propre mode et sa propre substance, par le fait même de leur entrée. Ou bien, elle peut les forcer à recevoir l'influence spirituelle et à retourner avec un pouvoir de transformation dans le monde d'où elles viennent, car exercer une contrainte de ce genre sur la nature universelle inférieure fait partie d'une parfaite action spirituelle. Mais pour cela, l'être circumconscient ou ambiant doit être si imprégné de lumière et de substance spirituelles, que rien ne puisse le traverser sans subir cette transformation ; il ne faut pas que les influences extérieures envahissantes puissent le moins du monde introduire leur perception inférieure, leur vision inférieure et leur dynamisme inférieur. Mais c'est là une perfection difficile, parce que, ordinairement, le circumconscient n'est pas dans sa totalité notre moi formé et réalisé, c'est notre moi plus la nature du monde extérieur. C'est pourquoi il est toujours plus facile de spiritualiser les parties intérieures autonomes que de transformer l'action extérieure ; la perfection d'une spiritualité introspective, intérieure ou subjective, qui se tient à l'écart du monde ou s'en protège, est plus aisée que la perfection de la nature entière dans une spiritualité dynamique et cinétique, qui s'objective dans la vie, embrasse le monde, qui maîtrise son milieu et établit en souveraine ses rapports avec la Nature universelle. Mais puisque la transformation intégrale doit inclure totalement l'être dynamique et embrasser la vie de l'action et le moi du monde en dehors de nous, ce changement plus complet est exigé de notre nature en évolution.

La difficulté essentielle vient du fait que la substance de notre être normal s'est façonnée à partir de l'inconscience. Notre ignorance est une croissance de la connaissance dans une substance d'être qui est nesciente, et la conscience qu'elle développe, la connaissance qu'elle établit, sont toujours harcelées, pénétrées, enveloppées par cette nescience. C'est cette substance nesciente qui doit être transformée en substance supraconsciente, une substance dans laquelle la conscience et la perception spirituelles sont toujours présentes, même quand elles ne sont pas actives ni exprimées, ni mises sous forme de connaissance. Tant que cela n'est pas fait, la nescience envahit tout, elle enveloppe, ou même engloutit et absorbe dans son obscurité sans mémoire tout ce qui entre en elle ; elle contraint la lumière qui descend à un compromis avec la lumière moindre qu'elle pénètre. Cette lumière descendante subit donc un mélange, une diminution, une dilution ; sa vérité et son pouvoir sont amoindris, altérés et perdent de leur authenticité. Ou, tout au moins, la nescience limite sa vérité et restreint sa force, fragmente ses possibilités d'application et sa portée ; la vérité de son principe est vidée de la pleine vérité de sa réalisation individuelle ou de la complète vérité de son application cosmique. Ainsi, l'amour en tant que loi de la vie peut s'affirmer pratiquement comme un principe intérieur actif ; mais il n'est pas possible que tous les sentiments et tous les actes de l'individu soient façonnés par la loi d'amour, à moins que l'amour n'occupe la substance entière de l'être. Même s'il atteint sa perfection dans l'individu, l'amour peut être rendu unilatéral et inefficace du fait de la nescience générale qui lui est hostile et refuse de le voir, ou bien il est obligé de restreindre son champ d'application cosmique. Il est toujours difficile pour la nature humaine d'avoir une action complète qui soit en harmonie avec une nouvelle loi de l'être, car la substance de l'inconscience recèle la loi protectrice d'une aveugle et impérative Nécessité qui limite le jeu des possibilités lorsqu'elles émergent de l'inconscience ou y pénètrent, et les empêche d'établir librement leur action et ses résultats ou de réaliser l'intensité de leur propre absolu. Tout ce que ces possibilités se voient concéder, c'est un jeu mélangé, relatif, refréné et diminué, sinon elles aboliraient le cadre de l'inconscience et troubleraient violemment l'ordre du monde sans en changer effectivement la base ; aucune d'entre elles en effet n'a dans ses limites mentales ou vitales le pouvoir divin de remplacer ce sombre principe originel et d'organiser un ordre mondial totalement nouveau.

La transformation de la nature humaine ne peut s'opérer que quand la substance de l'être est tellement imprégnée du principe spirituel, que tous ses mouvements sont un dynamisme spontané et une opération harmonieuse de l'Esprit. Mais même quand les pouvoirs supérieurs avec toute leur intensité entrent dans la substance de l'inconscience, ils s'y heurtent à l'opposition de cette Nécessité aveugle et sont soumis à la loi restreignante et amoindrissante de la substance nesciente. L'inconscience leur oppose les titres puissants d'une loi établie et inexorable ; toujours, elle répond aux revendications de la vie par la loi de la mort ; aux exigences de la Lumière par son besoin d'un contraste d'ombre et d'un fond d'obscurité, à la souveraineté, à la liberté et au dynamisme de l'Esprit, par sa propre force qui limite en ajustant, qui fixe des bornes par incapacité, et fonde l'énergie sur le repos d'une inertie originelle. Derrière ses négations il y a une vérité occulte que seul le supramental, en réconciliant les contraires dans la Réalité originelle, peut embrasser, découvrant ainsi la solution pratique de l'énigme. Seule la force supramentale peut surmonter complètement la difficulté de la nescience fondamentale, car avec elle entre en jeu une Nécessité opposée, impérative et lumineuse, qui se trouve à la base de toutes choses et qui est une vérité-force originelle et finale se déterminant librement elle-même, la vérité-force de l'infini existant en soi. Cette lumineuse et plus haute Nécessité spirituelle, avec son impératif souverain, peut seule écarter ou pénétrer entièrement l'aveugle Ananké de l'inconscience, la transformer en sa propre substance et ainsi la remplacer.

Le changement supramental de la substance tout entière de l'Être et par suite, nécessairement, de tous ses caractères, ses pouvoirs, ses mouvements, se produit quand le supramental involué dans la Nature, émerge pour aller à la rencontre de la lumière et de la puissance supramentales qui descendent de la Supranature et pour se joindre à elles. L'individu doit être l'instrument et le premier champ de la transformation ; mais une transformation individuelle isolée n'est pas suffisante et il se peut qu'elle ne soit pas entièrement faisable. Même quand il est accompli, le changement individuel ne peut avoir une signification permanente et cosmique, que si l'individu devient un centre de la Conscience-Force supramentale et le signe qu'elle s'est établie comme un pouvoir qui agit ouvertement dans les opérations terrestres de la Nature - de la même manière que le mental pensant s'est établi au travers de l'évolution humaine comme un pouvoir qui agit ouvertement dans la vie et la matière. Cela signifierait l'avènement dans l'évolution, d'un être ou Pourousha gnostique et d'une Prakriti gnostique, d'une Nature gnostique. Libérée et active, une Conscience-Force supramentale doit émerger au sein de la totalité terrestre et organiser dans la vie et dans le corps les instruments supramentaux de l'Esprit - car la conscience corporelle aussi doit s'éveiller suffisamment pour être un instrument approprié de l'action de la nouvelle force supramentale et de son ordre nouveau. Jusque-là, tout changement intermédiaire ne peut être que partiel et incertain ; des instruments surmentaux et intuitifs peuvent se développer dans la Nature, mais ce serait une formation lumineuse qui viendrait se surimposer à une inconscience ambiante fondamentale. Une fois que le principe supramental aura été établi d'une façon permanente sur sa propre base et qu'il aura commencé son action cosmique, les pouvoirs intermédiaires du surmental et du mental spirituel pourront se fonder sur lui avec sécurité et atteindre leur propre perfection ; ils formeront alors dans l'existence terrestre, une hiérarchie d'états de conscience qui s'élèveront du mental et de la vie physique jusqu'au niveau spirituel suprême. Le mental et l'humanité mentale demeureront comme un échelon de l'évolution spirituelle ; mais d'autres échelons se formeront au-dessus et deviendront accessibles, par lesquels l'être mental incarné, à mesure qu'il est prêt, pourra monter jusqu'à la gnose et se changer en être supramental et spirituel incarné. Sur cette base se manifesterait le principe d'une vie divine dans la Nature terrestre ; le monde de l'ignorance et de l'inconscience lui-même pourrait découvrir son propre secret maintenant submergé et commencer à réaliser sa signification divine à chacun des échelons inférieurs.

Sri Aurobindo

in "L'Évolution spirituelle - Les six derniers chapitres de La Vie Divine"
traduits par La Mère

publié par Sri Aurobindo Ashram - Pondichéry - Inde
diffusion par SABDA


L'original en anglais est ici
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