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La Vie Divine
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être conscient est le centre du moi, qui commande passé
et avenir ; il est comme un feu sans fumée... Cela, il faut le
dégager de son propre corps, avec patience. Si en faisant apparaître et en développant l'homme spirituel dans l'évolution, la Nature a pour seule intention d'éveiller celui-ci à la suprême Réalité et de le libérer de sa propre emprise - ou de l'ignorance derrière laquelle elle s'est masquée en tant que Pouvoir de l'Éternel - par un départ vers un plus haut état d'être, ailleurs, et si ce stade de l'évolution s'achève par une fin et une sortie, alors, dans l'essentiel, son travail est déjà accompli et il ne reste plus rien à faire. Les voies ont été tracées et les facultés nécessaires pour les suivre sont apparues, le but ou le dernier sommet de la création est manifeste ; tout ce qui reste à faire, pour chaque âme, c'est d'atteindre individuellement la vraie étape et le vrai tournant de son développement, d'entrer sur les voies spirituelles, et, par le chemin qu'elle a choisi, de sortir de cette existence inférieure. Mais nous avons supposé qu'il y avait une intention plus lointaine ; non seulement une révélation de l'Esprit, mais une transformation radicale et intégrale de la Nature. Il y a en elle la volonté d'effectuer une vraie manifestation de la vie de l'Esprit dans un corps, d'achever ce qu'elle a commencé, en opérant un passage de l'ignorance à la Connaissance, de rejeter son masque et de se révéler comme la Conscience-Force lumineuse qui porte en soi l'existence éternelle et sa joie d'être universelle. Il devient alors évident que quelque chose n'a pas encore été accompli ; tout ce qui reste à faire apparaît clairement, bhouri aspashta kartvam. Un sommet reste à atteindre, une étendue que doit encore embrasser l'oeil de la vision, l'aile de la volonté - il reste que l'Esprit doit s'affirmer dans l'univers matériel. Ce qu'a fait le Pouvoir évolutif, jusqu'à présent, c'est de permettre à quelques individus de percevoir leur âme, de les rendre conscients de leur moi, de l'être éternel qu'ils sont, de les mettre en communion avec la Divinité ou la Réalité qui se dissimule sous les apparences. Un certain changement de nature prépare, accompagne ou suit cette illumination, mais ce n'est pas le changement complet et radical qui établit un nouveau principe sûr et invariable, une nouvelle création, un nouvel ordre d'existence permanent dans le domaine de la Nature terrestre. L'homme spirituel est apparu dans l'évolution, mais non l'être supramental qui sera dorénavant le maître de cette Nature. Il en est ainsi parce que le principe spirituel ne s'est pas encore affirmé de façon tout à fait indépendante et souveraine. Jusqu'à présent, il a donné à l'être mental le pouvoir de s'évader de lui-même, ou de s'affiner et de s'élever à un équilibre spirituel ; il a aidé à libérer l'Esprit du mental et à élargir l'être dans un mental et un coeur spiritualisés - mais il n'a pas aidé l'Esprit, ou du moins pas encore suffisamment, à affirmer sa propre maîtrise dynamique et souveraine, et il ne l'a pas libéré des limitations du mental ni des instruments mentaux. D'autres instruments ont commencé à se développer, mais il faut encore que ce développement devienne total et effectif, qu'il cesse en outre d'être une création purement individuelle, dans une ignorance originelle, une chose supranormale pour la vie terrestre et qui doit toujours rester un accomplissement individuel, le fruit d'un dur labeur. L'emploi de ces instruments doit devenir normal dans la nature d'un type d'être nouveau. De même que le mental est établi ici-bas sur la base d'une ignorance qui cherche la connaissance et qui grandit dans la connaissance, de même le supramental doit s'établir ici-bas sur la base d'une connaissance qui grandit dans sa propre lumière plus haute. Mais ceci ne peut se faire tant que l'être mental-spirituel ne s'est pas pleinement élevé jusqu'au supramental pour faire descendre ses pouvoirs dans l'existence terrestre. Car un pont doit être jeté sur l'abîme qui sépare le mental du supramental, les passages fermés doivent être ouverts et des routes créées pour monter et descendre, là où maintenant il n'est que vide et silence. Ceci ne peut se faire que par la triple transformation dont nous avons déjà parlé en passant. Il faut d'abord que le changement psychique se produise, la conversion de notre nature actuelle tout entière en un instrument de l'âme ; après cela ou en même temps, doit avoir lieu le changement spirituel, la descente d'une lumière, d'une connaissance, une puissance, une force, une félicité, une pureté plus hautes, dans tout notre être, même dans les replis les plus bas de la vie et du corps, même dans l'obscurité de notre subconscience ; enfin, couronnant l'ensemble, doit survenir la transmutation supramentale, l'ascension dans le supramental et la descente transformatrice de la Conscience supramentale dans tout notre être et dans notre nature tout entière. Au commencement, l'âme dans la Nature, l'entité psychique dont l'épanouissement est le premier pas vers le changement spirituel, est une partie complètement voilée dans notre être, bien que ce soit grâce à elle que nous existons et que nous durons en tant qu'êtres individuels dans la Nature. Les autres parties qui composent notre nature ne sont pas seulement changeantes, mais périssables, tandis que l'entité psychique en nous persiste et reste fondamentalement toujours la même. Elle contient toutes les possibilités essentielles de notre manifestation sur la terre, mais ce ne sont pas elles qui la constituent ; elle n'est pas limitée par ce qu'elle manifeste, ni contenue par les formes incomplètes de la manifestation, ni souillée par les imperfections et les impuretés, les défauts, les dépravations de l'être de surface. C'est une flamme toujours pure de la divinité cachée dans les choses, et rien de ce qui vient à elle, rien de ce qui entre dans notre expérience ne peut polluer sa pureté ou éteindre la flamme. Cette substance spirituelle est immaculée et lumineuse, et parce qu'elle est parfaitement lumineuse, elle perçoit immédiatement, intimement, directement la vérité de l'être et la vérité de la nature ; elle est profondément consciente du vrai, du bien et du beau, parce que le vrai, le bien et le beau sont proches de son propre caractère naturel, ce sont des formes de cela qui est inhérent à sa propre substance. Elle perçoit aussi tout ce qui contredit ces choses, tout ce qui s'écarte de son propre caractère natif, le mensonge et le mal, ce qui est laid et malséant ; mais elle ne devient pas ces choses, elle n'est pas non plus touchée ni modifiée par ces contradictions d'elle-même qui affectent si puissamment ses instruments extérieurs, le mental, la vie et le corps. Car l'âme, l'être permanent en nous, crée et utilise le mental, la vie et le corps comme des instruments, elle subit l'enveloppement de leur condition ; mais elle est autre et plus grande que ces parties. Si dès le début, l'entité psychique avait été dévoilée à ses ministres et connue d'eux, au lieu d'être un souverain dissimulé dans une chambre secrète, l'évolution humaine aurait été un épanouissement rapide de l'âme, non ce développement difficile, mouvementé et défiguré qu'elle est maintenant ; mais le voile est épais et nous ne connaissons pas la Lumière cachée en nous, la lumière dans la crypte secrète du sanctuaire le plus profond du coeur. Des messages s'élèvent de l'âme, la psyché, vers la surface de notre être, mais notre mental n'en discerne pas la source ; il les prend pour ses propres activités parce que, avant même d'arriver à la surface, ils sont revêtus de substance mentale ; ainsi, ignorant leur autorité, il les suit ou ne les suit pas suivant sa tendance ou son humeur du moment. Si le mental obéit à l'impulsion de l'ego vital, il y a peu de chance pour que l'âme dirige aucunement la nature ou y manifeste tant soit peu sa substance spirituelle secrète et son mouvement naturel ; ou, si le mental est assez présomptueux pour agir selon sa propre petite lumière, s'il est attaché à son propre jugement, à sa volonté et à l'action de sa connaissance, l'âme restera également voilée et inactive, elle attendra une évolution plus avancée du mental. Car l'élément psychique au-dedans est là pour soutenir l'évolution naturelle, et la première évolution naturelle doit être le développement successif du corps, de la vie et du mental ; ceux-ci doivent donc agir chacun suivant sa propre nature ou tous ensemble dans une association mal assortie, pour croître, faire leur expérience et progresser. L'âme rassemble l'essence de toutes nos expériences mentales, vitales et corporelles et se les assimile pour faire avancer l'évolution de notre existence dans la Nature ; mais cette action est occulte, elle ne se montre pas à la surface. Aux premières étapes matérielles et vitales de l'évolution de l'être il n'y a, en fait, aucune conscience de l'âme ; il y a des activités psychiques, mais les instruments, les formes de ces activités sont vitales et physiques, ou mentales quand le mental est actif. Car même le mental ne reconnaît pas leur caractère profond, tant qu'il est primitif ou que son développement reste encore par trop extérieur. Nous pouvons facilement nous considérer comme des êtres physiques ou des êtres vitaux ou des êtres mentaux qui se servent de la vie et du corps, et ignorer totalement l'existence de l'âme. Car la seule idée définie que nous ayons de l'âme, c'est qu'elle survit à la mort de notre corps ; mais ce qu'elle est, nous ne le savons pas, et même si nous sommes parfois conscients de sa présence, nous ne sommes pas normalement conscients de sa réalité distincte, pas plus que nous ne sentons clairement son action directe dans notre nature. À mesure que se poursuit l'évolution, la Nature fait lentement des essais pour manifester les parties occultes de notre être ; elle nous amène à regarder de plus en plus en nous-mêmes, ou elle se met à lancer à la surface, depuis ces parties occultes, des messages et des formations plus clairement reconnaissables. L'âme en nous, le principe psychique, a déjà commencé à prendre secrètement forme ; elle crée et développe une personnalité psychique, un être psychique distinct pour la représenter. Cet être psychique reste encore derrière le voile dans la partie subliminale de notre être, comme le mental vrai, le vital vrai, ou comme l'être physique vrai ou subtil ; mais, comme eux, il agit sur la vie de surface par les influences et les indications qu'il fait jaillir jusque-là. Celles-ci viennent s'adjoindre à l'agrégat de surface qui est le produit de l'agglomération des influences et des jaillissements intérieurs ; c'est cette formation ou superstructure visible que généralement nous sentons et croyons être nous-même. Sur cette surface ignorante nous percevons vaguement quelque chose que l'on peut appeler une âme et qui est distinct du mental, de la vie et du corps, et cette âme nous la sentons non seulement comme l'idée mentale ou le vague instinct que nous avons de nous-même, mais comme une influence perceptible dans notre vie, notre caractère et notre action. Une certaine sensibilité pour tout ce qui est vrai, bon et beau, raffiné, pur et noble, une réceptivité à ces choses, un besoin de ces choses, une pression sur le mental et la vie pour qu'ils les acceptent et les formulent dans nos pensées, nos sentiments, notre conduite, notre caractère, tels sont les signes les plus habituellement reconnus - bien qu'ils ne soient pas les seuls -, les signes les plus généraux et les plus caractéristiques de l'influence de la psyché. De l'homme qui n'a pas cet élément en lui ou qui ne répond pas du tout à ces incitations, nous disons qu'il n'a pas d'âme. Car c'est cette influence que nous pouvons le plus aisément reconnaître comme la partie subtile ou même divine en nous, et la plus puissante aussi pour orienter lentement notre nature vers quelque perfection. Mais cette influence ou cette action psychique ne vient pas tout à fait pure à la surface, ou elle ne demeure pas distincte dans sa pureté ; sinon nous serions capables de distinguer clairement ce qu'est l'âme en nous et de suivre consciemment et pleinement sa voix. Une action occulte du mental, du vital et du physique subtil intervient, se mélange à cette voix, essaye de s'en servir et de la modifier à ses propres fins, rapetisse sa divinité, déforme ou diminue son expression, la fait même dévier et trébucher, ou la salit avec les impuretés, les petitesses et les erreurs du mental, de la vie et du corps. Après avoir atteint la surface, ainsi altérée et amoindrie, l'influence psychique est saisie par la nature superficielle qui la reçoit de façon obscure et lui donne une forme ignorante, et de ce fait il y a ou peut y avoir une déviation ou un mélange encore plus prononcé. Une fausse direction est prise, une déformation se produit, une application fausse, une formation fausse, un résultat erroné de ce qui, en soi, est action pure et substance pure de notre être spirituel. Ainsi se forme une conscience qui est un mélange de l'influence et des indications psychiques, pêle-mêle avec des idées et des opinions mentales, des désirs et des impulsions vitales, et les tendances habituelles du physique. A l'influence psychique obscurcie viennent se combiner également les efforts ignorants, quoique bien intentionnés, des parties extérieures de l'être qui aspirent à une direction plus haute ; une idéation mentale d'un caractère très mélangé, souvent obscure même dans son idéalisme, parfois même commettant des erreurs désastreuses, la ferveur et la passion de l'être émotif qui vient jeter l'écume de ses émotions, de ses sentiments et de sa sentimentalité, l'enthousiasme dynamique de l'être vital, les réactions avides du physique, les frémissements et les excitations des nerfs et du corps, toutes ces influences se fondent dans un ensemble complexe que l'on prend souvent pour l'âme, et l'on confond cette action mélangée et confuse avec le souffle de l'âme, avec le développement ou l'action du psychique, ou avec une influence intérieure réelle. L'entité psychique elle-même est libre de toute souillure et de tout mélange, mais ce qui en vient à la surface n'est pas protégé par la même immunité ; c'est pourquoi cette confusion devient possible. En outre, l'être psychique, la personnalité psychique en nous, n'émerge pas d'un seul coup dans toute sa splendeur et sa lumière ; elle évolue, passe par un lent développement et une lente formation. La forme de son être peut tout d'abord être indistincte, puis longtemps demeurer faible et embryonnaire, non pas impure mais imparfaite ; car sa formation et sa croissance dynamique s'appuient sur le pouvoir de l'âme qui, malgré la résistance de l'ignorance et de l'inconscience, s'est effectivement poussé à la surface, avec plus ou moins de succès, au cours de l'évolution. Son apparition est le signe que l'âme émerge dans la Nature, et si cette émergence est encore petite et imparfaite, la personnalité psychique aussi sera chétive ou faible. Elle est en outre séparée de sa réalité intérieure du fait de l'obscurité de notre conscience, et elle ne communique qu'imparfaitement avec sa propre source dans les profondeurs de l'être. En effet, la route est encore mal frayée, elle s'obstrue facilement, les fils sont souvent coupés ou encombrés de communications d'un autre genre et qui proviennent d'une autre origine ; ainsi la personnalité psychique ne peut transmettre qu'imparfaitement ce qu'elle reçoit aux instruments extérieurs. Dans la pauvreté de ses moyens elle doit, pour la plupart des choses, s'en remettre à ces instruments et c'est sur leurs données qu'elle s'appuie et prend son élan pour s'exprimer et agir, et non sur la seule et infaillible perception de l'entité psychique. Dans ces conditions, elle ne peut éviter que la vraie lumière psychique soit amoindrie ou déformée en passant par le mental et se réduise à une simple idée ou opinion, que le sentiment psychique dans le coeur se transforme en une émotion faillible ou en simple sentimentalité et que, dans les parties vitales, la volonté d'agir psychique se change en enthousiasme vital aveugle ou en excitation fiévreuse. La personnalité psychique est bien forcée d'accepter ces déformations, faute de mieux, et elle essaye de se réaliser à travers elles. Car cela fait partie du travail de l'âme d'influencer le mental, le coeur et l'être vital, et d'orienter leurs idées, leurs sentiments, leurs enthousiasmes, leurs dynamismes vers ce qui est divin et lumineux ; mais ceci ne peut se faire qu'imparfaitement au début, avec des lenteurs et des mélanges. À mesure que la personnalité psychique grandit en force, elle communie plus étroitement avec l'entité psychique qui est derrière, et elle améliore ses communications avec la surface. Elle peut transmettre ses messages au mental, au coeur et à la vie avec une pureté et une force plus grandes, car elle est davantage capable d'exercer un contrôle solide et de réagir contre les falsifications ; dès lors, elle se fait sentir de plus en plus distinctement comme un pouvoir dans notre nature. Mais même ainsi, cette évolution serait encore lente et longue, si elle était laissée à la seule action automatique et laborieuse de l'Énergie évolutive ; c'est seulement quand l'homme s'éveille à la connaissance de l'âme et qu'il sent le besoin de l'amener à la surface et d'en faire la maîtresse de sa vie et de son action, qu'une méthode d'évolution consciente et plus rapide intervient et qu'une transformation psychique devient possible. Ce lent développement peut être facilité si le mental perçoit clairement et affirme quelque chose au-dedans qui survit à la mort du corps, et s'il fait effort pour en connaître la nature. Mais au début, cette connaissance est retardée par le fait qu'il y a en nous de multiples éléments, de multiples formations qui se présentent comme des éléments de l'âme et que l'on peut confondre avec la psyché. Dans la tradition grecque primitive sur la vie de l'au-delà, et dans quelques autres traditions, les descriptions données montrent très clairement que ce que l'on prenait alors à tort pour l'âme n'était qu'une formation subconsciente, une empreinte subphysique, ou ombre de l'être, ou bien un double ou fantôme de la personnalité. Ce fantôme, qui est à tort appelé esprit, est parfois une formation vitale reproduisant les traits caractéristiques de l'homme, les particularités de sa vie de surface, parfois une prolongation physique subtile de la forme superficielle de l'enveloppe mentale ; au mieux, c'est une gaine de la personnalité vitale qui reste encore en façade pendant quelque temps après avoir quitté le corps. À part ces confusions nées d'un contact posthume avec des spectres abandonnés ou avec les vestiges des enveloppes de la personnalité, la difficulté vient aussi de notre ignorance des parties subliminales de notre nature, et de la forme et des pouvoirs de l'être conscient, ou Pourousha, qui préside à leur action ; et du fait de cette inexpérience, nous pouvons facilement confondre tel élément du mental intérieur ou du moi vital avec le psychique. Car si l'Être est un et cependant multiple, la même loi est également valable pour nous et les parties de notre être: l'Esprit, le Pourousha est un, mais il s'adapte aux formations de la Nature. A chaque niveau de notre être préside un pouvoir de l'Esprit ; nous avons en nous un moi mental, un moi vital, un moi physique, et nous les découvrons quand nous pénétrons assez profondément à l'intérieur. Il y a un être du mental, ou Pourousha mental, qui s'exprime partiellement à notre surface à travers les pensées, les perceptions et les activités de notre nature mentale ; un être de la vie qui s'exprime partiellement à travers les impulsions, les sentiments, les sensations, les désirs et les activités de notre nature vitale dans la vie extérieure ; un être physique, un être du corps, qui s'exprime partiellement à travers les instincts, les habitudes et les activités extérieures de notre nature physique. Ces êtres ou moi partiels en nous sont des pouvoirs de l'Esprit, et comme tels, ils ne sont pas limités par leur expression temporaire, car ce qu'ils formulent ainsi n'est qu'un fragment des possibilités de l'Esprit ; mais en s'exprimant ils créent une personnalité temporaire, mentale, vitale ou physique, qui grandit et se développe, comme l'être psychique ou la personnalité psychique grandit et se développe au-dedans de nous. Chacune de ces personnalités a sa propre nature distincte, son influence, son action sur l'ensemble, mais à mesure que cette action et toutes ces influences viennent à la surface, elles se mélangent et créent un agrégat, un être de surface qui est un composé, un amalgame de toutes ces personnalités, une formation extérieure persistante et cependant changeante et mobile, pour les besoins de cette vie et de son expérience limitée. Mais du fait de sa composition, cet agrégat est un mélange hétérogène, non un tout harmonieux et homogène. C'est pour cette raison qu'il y a entre les éléments de notre être une confusion constante, voire un conflit constant, que notre raison et notre volonté mentale se sentent portées à maîtriser et à harmoniser ; et elles ont souvent beaucoup de peine à mettre un semblant d'ordre et de direction dans ce conflit et cette confusion. Malgré tout, nous nous laissons le plus souvent dériver ou pousser par le courant de notre nature, et nous obéissons à tout ce qui vient momentanément à la surface et se saisit de nos instruments de pensée et d'action - même ce qui nous semble un choix délibéré est beaucoup plus que nous ne l'imaginons un automatisme. La coordination des multiples éléments de notre être par la raison et la volonté, et par suite celle de nos pensées, de nos sentiments, nos impulsions, nos actions, est incomplète et palliative. Chez l'animal, la Nature agit suivant ses propres intuitions mentales et vitales ; elle établit un ordre par la contrainte de l'habitude et de l'instinct, à laquelle l'animal obéit implicitement, si bien que les déplacements de sa conscience n'ont pas d'importance. Mais l'homme ne peut agir tout à fait de la même manière sans forfaire à ses prérogatives d'homme ; il ne peut pas laisser son être devenir un chaos d'impulsions et d'instincts dirigés par l'automatisme de la Nature. En lui, le mental est devenu conscient ; il est donc contraint par lui-même de faire quelque tentative, si élémentaire soit-elle chez beaucoup, pour voir et maîtriser, et finalement pour harmoniser de plus en plus parfaitement les composantes multiples, les tendances différentes et contradictoires qui semblent constituer son être de surface. Il réussit bien à instaurer en lui-même une sorte de chaos organisé, de confusion ordonnée, ou tout au moins il réussit à croire qu'il se dirige lui-même à l'aide de son mental et de sa volonté propre, mais en fait cette direction n'est que partielle. En effet, sa raison et sa volonté sont non seulement utilisées par l'assemblage disparate des forces motrices habituelles, mais aussi par les tendances et les impulsions vitales et physiques qui émergent à chaque instant et ne sont pas toujours prévisibles ou contrôlables, et par de multiples éléments mentaux incohérents et désharmonieux ; tout cela entre dans la construction de son être et détermine le développement de sa nature et son action dans la vie. Dans son moi l'homme est une Personne unique, mais il est aussi, dans la manifestation de son moi, une personne multiple, et il ne réussira jamais à devenir maître de lui-même à moins que la Personne ne s'impose aux multiples personnalités et les gouverne. Mais ceci ne peut être fait qu'imparfaitement par la volonté mentale et la raison de surface ; cela ne peut se faire parfaitement que si l'homme pénètre en lui-même et y découvre l'être central, quel qu'il soit, qui, par son influence prédominante, est à la tête de tout ce qu'il exprime et de tout ce qu'il fait. Selon la vérité profonde, c'est son âme qui est cet être central, mais extérieurement, dans les faits, c'est souvent l'un ou l'autre de ses êtres partiels qui gouverne ; et il peut prendre à tort ce représentant de l'âme, ce substitut du moi, pour le principe psychique le plus profond. Cette domination des différents moi en nous est à la base des étapes du développement de la personnalité humaine que nous avons eu déjà l'occasion de différencier ; nous pouvons les reconsidérer maintenant du point de vue du gouvernement de la nature par le principe intérieur. Chez certains êtres humains, c'est le Pourousha physique, l'être du corps, qui domine le mental, la volonté et l'action ; on voit alors apparaître l'homme physique, qui s'occupe principalement de sa vie corporelle, de ses impulsions et de ses besoins habituels, de ses habitudes de vie, ses habitudes de pensée, des habitudes de son corps, et qui s'occupe très peu ou pas du tout de ce qui est au-delà, subordonnant et restreignant toutes ses autres tendances, ses autres possibilités à cette étroite formation. Mais il existe d'autres éléments, même dans l'homme physique, et il ne peut pas vivre exclusivement comme un animal humain, uniquement occupé de la naissance et de la mort, de la procréation, de la satisfaction des impulsions et des désirs ordinaires, de l'entretien de la vie et du corps ; c'est là le type normal de sa personnalité, mais il est traversé, si peu que ce soit, par des influences qui lui permettent, s'il les développe, de s'acheminer vers une évolution humaine plus élevée. Si le Pourousha intérieur, le Pourousha physique subtil insiste, il peut arriver à la notion d'une vie physique plus raffinée, plus belle et plus parfaite, et espérer réaliser cet idéal, ou tenter de le réaliser dans sa propre existence ou dans l'existence collective du groupe. Chez d'autres, c'est le moi vital, l'être de la vie, qui domine et gouverne le mental, la volonté et l'action ; on voit alors apparaître l'homme vital, préoccupé de s'affirmer lui-même, de s'agrandir, d'élargir sa vie, de satisfaire l'ambition et la passion, l'impulsion, le désir, les exigences de son ego, recherchant la domination, le pouvoir, l'excitation, la bataille et la lutte, l'aventure intérieure et extérieure ; tout le reste est accessoire ou subordonné à ce mouvement, à la construction et à l'expression de l'ego vital. Mais cependant dans l'homme vital lui-même il y a aussi, ou il peut y avoir, d'autres éléments de caractère mental ou spirituel qui sont en voie de développement, même s'ils se trouvent moins développés que sa personnalité vitale et son pouvoir vital. La nature de l'homme vital est plus active, plus forte et plus mobile, elle est plus turbulente et plus chaotique - au point d'être souvent tout à fait déréglée - que celle de l'homme physique qui se cramponne à la terre et possède un équilibre matériel, mais elle est plus dynamique et plus créatrice ; car l'élément de l'être vital n'est pas la terre, mais l'air ; il a plus de mouvement mais moins d'assise. Une volonté et une mentalité vitales vigoureuses peuvent empoigner et gouverner les énergies vitales dynamiques ; mais c'est par une contrainte violente plus que par une harmonisation de l'être. Cependant, si une forte personnalité vitale, une volonté et un mental puissants peuvent obtenir que l'intelligence raisonnable leur donne un appui solide et devienne leur ministre, alors peut se créer une sorte de formation énergique, plus ou moins équilibrée mais toujours puissante et efficace, qui réussira, qui s'imposera à la Nature et à l'entourage, et saura s'affirmer avec force dans la vie et l'action. Telle est la deuxième étape possible d'une expression harmonisée de la nature humaine dans son ascension. À un stade plus élevé de l'évolution de la personnalité, l'être du mental peut prendre la direction ; on voit alors apparaître l'homme mental qui vit principalement dans le mental, alors que les autres vivent dans la nature vitale ou physique. L'homme mental tend à subordonner le reste de son être à son expression mentale propre, à des fins mentales, des intérêts mentaux, à une idée ou un idéal mental. Étant donné la difficulté de cette subordination et la puissance de ses effets quand elle est accomplie, il lui est à la fois plus difficile et plus facile d'arriver à une harmonie dans sa nature. Plus facile, parce que la volonté mentale, dès qu'elle gouverne, peut convaincre par le pouvoir de l'intelligence raisonnable, et en même temps dominer, comprimer ou refouler la vie et le corps et leurs exigences, les ordonner et les harmoniser, les forcer à devenir ses instruments, et même les réduire au minimum afin qu'ils ne viennent pas troubler la vie mentale ou la faire redescendre de son mouvement créateur d'idées ou d'idéaux. Plus difficile, parce que la vie et le corps sont les pouvoirs premiers et, s'ils ont quelque force, ils peuvent s'imposer avec une insistance presque irrésistible sur le mental dirigeant. L'homme est un être mental, et le mental est le guide de sa vie et de son corps ; mais c'est un guide qui est considérablement guidé par ses suivants et qui parfois n'a pas d'autre volonté que celle qu'ils lui imposent. En dépit de son pouvoir, le mental est souvent impuissant devant l'inconscient et le subconscient qui obscurcissent sa clarté et l'entraînent avec la marée des instincts et des impulsions. En dépit de sa clarté il est la dupe des suggestions vitales et émotives et il est conduit à encourager l'ignorance et l'erreur, la pensée fausse et l'action mauvaise, ou bien il est obligé de rester comme un spectateur tandis que la nature suit ce qu'il sait être faux, dangereux et mauvais. Même lorsqu'il est fort, clair et qu'il dirige, et même s'il impose une certaine harmonie mentalisée, parfois considérable, le mental ne peut intégrer tout l'être et toute la nature. En outre, ces harmonisations, obtenues par une maîtrise d'ordre inférieur, ne sont pas décisives, parce que ce n'est qu'une partie de la nature humaine qui domine et s'épanouit, tandis que les autres sont réprimées et privées de leur plénitude. Ces harmonisations peuvent être des étapes sur le chemin mais elles ne sont pas définitives ; c'est pourquoi, chez la plupart des hommes, il n'existe pas de direction unique ni d'harmonie partielle effective, mais seulement une prédominance et, pour le reste, l'équilibre instable d'une personnalité à moitié formée, à moitié en formation, parfois un déséquilibre ou un désordre provenant de l'absence d'une autorité centrale ou du dérangement d'un équilibre partiel précédemment atteint. Tout est nécessairement transitoire jusqu'à ce que nous accomplissions une première harmonisation vraie, qui ne sera pas encore définitive, en découvrant notre centre réel. Car l'être central véritable est l'âme, mais cet être se tient en arrière et, dans la plupart des natures humaines, il n'est qu'un témoin secret, ou, pourrait-on dire, un souverain constitutionnel qui permet à ses ministres de gouverner pour lui, leur délègue son autorité, donne un assentiment silencieux à leurs décisions, et de temps à autre seulement dit son mot, qu'ils peuvent toujours ignorer pour agir autrement. Il en est ainsi tant que la personnalité psychique mise en avant par l'entité psychique n'est pas encore suffisamment développée ; quand elle est assez forte pour que l'entité intérieure s'impose à travers elle, l'âme peut alors venir en avant et maîtriser la nature. C'est lorsque ce vrai monarque vient au premier plan et prend en main les rênes du gouvernement, qu'une réelle harmonisation de notre être et de notre vie peut se produire. Une première condition pour que l'âme émerge complètement, c'est un contact direct de l'être de surface avec la Réalité spirituelle. C'est parce qu'il en est issu que l'élément psychique en nous se tourne toujours vers tout ce qui, dans la Nature phénoménale, semble appartenir à une Réalité plus haute et porter sa marque et son caractère. Au début il cherche cette Réalité dans tout ce qui est bon, vrai, beau, tout ce qui est pur, fin, élevé et noble ; mais bien que ce contact, au travers des signes et des caractères extérieurs, puisse modifier et préparer la nature, cela ne suffit pas à la changer entièrement ni très intérieurement et très profondément. Pour ce changement profond, le contact direct avec la Réalité elle-même est indispensable, puisque rien, sauf elle, ne peut toucher très profondément les fondations de notre être et l'ébranler ou, par ce choc, communiquer à la nature un ferment de transmutation. Les représentations mentales, les images émotives et dynamiques ont leur place et leur valeur ; le Vrai, le Bien et le Beau sont en eux-mêmes des images primordiales et puissantes de la Réalité ; et même telles que les voit le mental, telles que le coeur les sent, telles que la vie les réalise, elles peuvent être des voies d'ascension ; mais c'est la substance et l'être spirituels de ces formes et de Cela qu'elles représentent, qui doivent faire l'objet de notre expérience. L'âme peut essayer d'obtenir ce contact principalement par l'intermédiaire et l'instrument du mental pensant. Elle met une empreinte psychique sur l'intellect et sur le mental plus vaste de la perception intérieure et de l'intelligence intuitive, et les oriente dans cette direction. À son sommet le mental pensant est toujours attiré vers l'impersonnel, car dans sa recherche il devient conscient d'une essence spirituelle, d'une Réalité impersonnelle qui s'exprime dans tous les signes et tous les caractères extérieurs mais qui dépasse toute forme ou toute image la manifestant. Il sent quelque chose dont il devient intimement et invisiblement conscient - une Vérité suprême, un Bien suprême, une Beauté suprême, une Pureté suprême, une Félicité suprême ; il reçoit le contact grandissant, de moins en moins impalpable et abstrait, de plus en plus réel et concret spirituellement, le contact et la pression d'une Éternité et d'une Infinité qui est tout ce qui est et bien davantage. Cette Impersonnalité exerce une pression et cherche à modeler tout le mental pour en faire une forme d'elle-même ; en même temps, la loi et le secret impersonnels des choses se font de plus en plus visibles. Le mental se développe et devient le mental du sage, d'abord du penseur hautement mentalisé, puis du sage spirituel qui est passé par-delà les abstractions de la pensée pour arriver à un commencement d'expérience directe. Ainsi le mental devient pur, large, tranquille, impersonnel ; une même influence tranquillisante agit sur les parties vitales. Mais à part cela les résultats peuvent rester incomplets, car le changement mental conduit naturellement à une stabilité intérieure et à une quiétude extérieure, et reposant ainsi dans ce quiétisme purificateur, n'étant pas attiré comme les parties vitales vers la découverte de nouvelles énergies de vie, il ne cherche pas un effet dynamique total sur la nature humaine. Même si le mental fait une plus haute tentative, cela ne change pas cet équilibre ; car le mental spiritualisé a tendance à s'élever vers les hauteurs, et puisque, au-dessus de lui-même, le mental perd toute prise sur les formes, c'est dans une vaste impersonnalité sans formes et sans traits qu'il entre. Il perçoit le Moi immuable, le pur Esprit, la pure nudité d'une Existence essentielle, l'Infini sans forme et l'Absolu sans nom. Ce sommet peut être atteint plus directement si l'on tend immédiatement au-delà de toute forme et de toute représentation, au-delà de toutes les idées de bien et de mal, de vrai et de faux, de beau et de laid, vers Cela qui dépasse toutes les dualités, vers l'expérience d'une unité, d'une infinité, une éternité suprêmes ou vers quelque autre sublimation ineffable de l'ultime et extrême perception mentale du Moi ou de l'Esprit. On parvient ainsi à une conscience spiritualisée et la vie devient tranquille, le corps cesse d'avoir des besoins et de réclamer, l'âme elle-même se fond dans le silence spirituel. Mais cette transformation par le mental ne nous donne pas la transformation intégrale ; la transmutation psychique fait place à un changement spirituel qui conduit à de rares et hauts sommets, mais ce n'est pas la complète dynamisation divine de la Nature. L'âme peut rechercher le contact direct par une deuxième voie d'approche, au moyen du coeur. Ceci est sa voie propre, et c'est aussi la plus proche et la plus rapide, parce que le siège occulte de l'âme est là, juste derrière, dans le centre du coeur, en contact intime avec notre être émotif ; c'est donc à travers les émotions qu'elle peut au début agir le plus facilement, avec sa puissance naturelle, avec la force vivante de son expérience concrète. C'est par l'amour et l'adoration de Cela qui est toute-beauté, toute-félicité, toute-bonté, le Vrai, la Réalité spirituelle de l'amour, que l'on s'approche ; les parties émotives et esthétiques de l'être se joignent ensemble pour offrir l'âme, la vie, la nature tout entière à Cela qu'elles adorent. Cette voie d'approche par l'adoration ne trouve sa pleine force, son plein élan, que quand le mental passe au-delà de l'impersonnalité pour arriver à la perception d'un Être personnel suprême - alors tout devient intense, vivant, concret ; les émotions, les sentiments, la perception spiritualisée du coeur atteignent leur absolu, un don de soi total devient possible, impératif. L'homme spirituel naissant fait alors son apparition dans la nature émotive, et c'est l'adorateur de Dieu, le bhakta. S'il devient en outre directement conscient de son âme et de ses commandements, s'il unit sa personnalité émotive à sa personnalité psychique et qu'il change sa vie et les parties vitales de son être par la pureté, l'extase divine, l'amour de Dieu et des hommes et de toutes les créatures, pour en faire une chose de beauté spirituelle, pleine de lumière et de bonté divines, il devient un saint et parvient à la plus haute expérience intérieure, au changement de nature le plus vaste que l'on puisse atteindre par cette voie d'approche de l'Être Divin. Mais pour atteindre le but de la transformation intégrale, cela aussi n'est pas assez ; il faut une transmutation du mental pensant, de toutes les parties vitales et physiques de la conscience dans leur caractère propre. Ce changement plus grand peut être partiellement réalisé si l'on ajoute aux expériences du coeur une consécration de la volonté agissante qui doit réussir à entraîner avec elle - sinon elle ne peut être efficace - l'adhésion de la partie vitale dynamique, car celle-ci est le soutien du dynamisme mental et le premier instrument de notre action extérieure. Cette consécration de la volonté dans les oeuvres s'accomplit par une élimination graduelle de la volonté de l'ego et de la puissance motrice du désir. L'ego se soumet à une loi supérieure et finalement s'efface, semble ne plus exister ou n'existe plus que pour servir un pouvoir plus haut ou une plus haute vérité, ou pour offrir comme un instrument sa volonté et ses actes à l'Être Divin. La loi qui dirige l'être et l'action, ou la lumière de vérité qui guide alors le chercheur, peut être une clarté ou un pouvoir ou un principe qu'il perçoit sur le plus haut sommet que son mental puisse atteindre ; ou ce peut être une vérité de la Volonté divine qu'il sent présente, travaillant au-dedans de lui, ou le guidant par une Lumière ou une Voix ou une Force, par une Personne, une Présence divine. Finalement, par ce chemin, on arrive à une conscience dans laquelle on sent la Force ou la Présence agir au-dedans et mettre tout en mouvement ou gouverner toutes les actions ; la volonté personnelle se soumet alors entièrement ou s'identifie à la plus haute Volonté de vérité, à la plus haute Puissance de vérité ou Présence de vérité. La combinaison de ces trois voies d'approche, la voie du mental, la voie de la volonté, la voie du coeur, crée dans l'être et la nature de surface une condition spirituelle ou psychique qui nous permet de nous ouvrir plus largement et plus complètement à la lumière psychique au-dedans et au Moi spirituel ou Îshwara, à la Réalité que nous sentons alors au-dessus de nous, et qui nous enveloppe et nous pénètre. Un changement puissant et multiple se produit dans notre nature, une construction et une création de soi spirituelles, l'apparition d'une perfection complexe qui réunit celle du saint, du travailleur désintéressé et de l'homme qui a la connaissance spirituelle. Mais pour que ce changement atteigne sa totalité la plus vaste et sa plénitude la plus profonde, la conscience doit déplacer son centre et sa position statique et dynamique, de la surface à l'être intérieur ; c'est là que nous devons trouver le fondement de notre pensée, de notre vie et notre action. Car rester au-dehors, à la surface, et recevoir les indications de l'être intérieur et les suivre, n'est pas une transformation suffisante ; il faut cesser d'être la personnalité de surface et devenir la Personne intérieure, le Pourousha. Mais cela est difficile, d'abord parce que la nature extérieure s'oppose au mouvement et s'accroche à son équilibre normal habituel, à son mode d'existence tourné vers le dehors ; et, en outre, parce que le chemin est long depuis la surface jusqu'aux profondeurs où l'entité psychique reste voilée à nos regards, et cet espace intermédiaire est rempli par une nature subliminale et des mouvements naturels qui ne sont pas tous favorables, il s'en faut, à la pleine réalisation de cette descente vers l'intérieur. La nature extérieure doit encore subir un changement d'équilibre, une tranquillisation, une purification, une subtile mutation de sa substance et de son énergie, grâce auxquels les multiples obstacles qui subsistent en elle, se raréfient, tombent ou disparaissent. Il devient alors possible de pénétrer jusqu'aux profondeurs de notre être, et, des profondeurs ainsi atteintes, une nouvelle conscience peut se former, à la fois derrière le moi extérieur et au-dedans de lui, reliant la profondeur à la surface. Une conscience doit grandir en nous ou s'y manifester, qui s'ouvre de plus en plus à l'être supérieur et à l'être profond, et qui de plus en plus se dénude devant le Moi et le Pouvoir cosmiques et devant ce qui descend de la Transcendance, une conscience tournée vers une paix plus haute, perméable à une lumière, à une force et une extase plus grandes, une conscience qui excède la petite personnalité et dépasse la lumière et l'expérience limitées du mental de surface, la force et l'aspiration limitées de la conscience normale de la vie, la réceptivité obscure et limitée du corps. Avant même que la purification tranquillisante de la nature extérieure ait été réalisée ou avant qu'elle ne soit complète, on peut, par une puissante force d'appel et d'aspiration, par une volonté véhémente ou un effort violent ou par une discipline et une méthode efficaces, briser le mur qui fait écran entre notre être intérieur et notre perception extérieure, mais ceci peut être un mouvement prématuré qui ne va pas sans danger sérieux. En entrant au-dedans de soi, on peut en effet se trouver au milieu d'un chaos d'expériences étranges et supranormales dont on ne possède pas la clef, ou devant une poussée des forces subliminales ou cosmiques, subconscientes, mentales, vitales, physiques subtiles, qui peuvent ébranler l'être à l'excès ou l'entraîner dans le chaos, l'emmurer dans une prison obscure, ou le faire errer dans un désert de fascination, de séduction et de tromperie, ou encore le jeter dans un champ de bataille obscur, plein d'oppositions secrètes, traîtresses et fallacieuses, ou ouvertes et violentes. Des êtres, des voix et des influences peuvent se manifester à la perception, à la vision, à l'ouïe internes, et se faire passer pour l'Être Divin, ou ses messagers, ou pour des Puissances et des Divinités de Lumière, des guides sur le chemin de la réalisation, alors qu'en vérité ils ont un caractère tout différent. S'il y a trop d'égoïsme dans la nature du chercheur, une forte passion, une ambition ou une vanité excessives, ou quelque autre faiblesse dominante, si son mental est obscur ou sa volonté vacillante, sa force vitale faible ou instable, s'il manque d'équilibre, il sera probablement la victime de ces insuffisances, il échouera, ou s'écartera du vrai chemin de la vie intérieure et de la recherche intérieure, il sera entraîné sur de fausses routes ou restera à errer dans un chaos intermédiaire d'expériences, sans pouvoir trouver son chemin vers la réalisation véritable. Ces périls étaient bien connus de l'expérience spirituelle du passé, et on s'en protégeait en imposant la nécessité d'une initiation, d'une discipline, de méthodes de purification, en imposant des épreuves et une entière soumission à la direction de celui qui a trouvé le chemin, ou qui conduit sur le chemin, de celui qui a réalisé la Vérité et qui possède lui-même la lumière et l'expérience et qui est capable de les communiquer à d'autres, un guide assez fort pour prendre par la main et faire franchir les passages difficiles, et qui peut aussi instruire et indiquer la voie. Mais malgré tout, les dangers sont là et on ne peut les surmonter que s'il existe ou s'il se développe une complète sincérité, une volonté de pureté, une promptitude à obéir à la Vérité, à se soumettre au Très-Haut, un empressement à perdre l'ego qui limite et s'affirme, ou à le soumettre au joug divin. Ces choses sont le signe de la vraie volonté de réalisation, de transformation, de conversion de la conscience ; l'étape nécessaire de l'évolution a été atteinte. Si l'on parvient à cet état, les défauts qui appartiennent à la nature humaine ne peuvent plus être un obstacle permanent à un passage du statut mental au statut spirituel. Le processus peut ne jamais être tout à fait facile, mais le chemin aura été ouvert et rendu praticable. Un moyen efficace et souvent employé pour faciliter l'entrée dans le Moi intérieur est de séparer le Pourousha, l'être conscient, de la Prakriti, la nature manifestée. Si l'on se tient en arrière du mental et de ses activités en sorte qu'elles deviennent silencieuses à volonté ou qu'elles continuent comme un mouvement de surface dont on est le témoin détaché et désintéressé, il devient finalement possible de sentir que l'on est le Moi intérieur du mental, l'être mental vrai et pur, le Pourousha ; de même, en se tenant en arrière des activités de la vie, il est possible de sentir que l'on est le Moi intérieur de la vie, l'être vital vrai et pur, le Pourousha ; il existe même un Moi du corps, l'être physique pur et vrai, le Pourousha, dont il est possible de devenir conscient, en se tenant en arrière du corps, de ses exigences et de ses activités, et en entrant dans le silence de la conscience physique qui observe l'action de son énergie. De même, en se tenant en arrière de toutes ces activités de la nature, successivement ou simultanément, il devient possible de prendre conscience que notre être intérieur est le Moi impersonnel et silencieux, le Pourousha témoin. Ceci conduira à une réalisation et à une libération spirituelles, mais n'amènera pas nécessairement de transformation ; car le Pourousha satisfait d'être libre, d'être lui-même, peut laisser la nature, la Prakriti, épuiser ses impulsions accumulées, dans une action qu'il ne soutient plus, une continuation mécanique qui n'est pas renouvelée ni renforcée ou vivifiée, ni prolongée par son consentement, et il peut se servir de ce rejet comme d'un moyen de se retirer de la nature humaine tout entière. Mais il faut que le Pourousha devienne non seulement le témoin, mais la source, celui qui connaît, le maître de toute pensée et de toute action, et ceci ne peut se faire que partiellement tant qu'on reste sur le plan mental ou que l'on doit encore utiliser les instruments ordinaires du mental, de la vie et du corps. On peut certes parvenir à une certaine maîtrise, mais la maîtrise n'est pas la transformation ; le changement qu'elle opère n'est pas suffisant pour devenir intégral ; pour cela, il est essentiel de passer derrière, au-delà de l'être mental, de l'être vital, de l'être corporel, plus profondément encore vers l'intérieur jusqu'à l'entité psychique la plus intime et la plus profonde en nous - ou bien il faut s'ouvrir aux domaines supraconscients les plus élevés. Si long, rebutant et difficile que puisse être le processus, il faut, pour pénétrer dans la crypte lumineuse de l'âme, traverser toutes les épaisseurs vitales intermédiaires jusqu'au centre psychique au-dedans de nous. Se détacher méthodiquement de l'insistance de toutes les réclamations, de toutes les invitations, de toutes les impulsions mentales, vitales et physiques, se concentrer dans le coeur, mener une vie austère, se purifier et rejeter les vieux mouvements du mental et du vital, rejeter l'ego de désir, rejeter les faux besoins et les fausses habitudes, sont des aides utiles pour franchir ce difficile passage ; mais le moyen le plus puissant et le plus central, c'est de fonder toutes ces méthodes ou toute autre sur un don de soi, une soumission de nous-mêmes et de toutes les parties de notre nature, à l'Être Divin, l'Ishwara. Une stricte obéissance à la direction sage et intuitive d'un guide est également normale et nécessaire pour tous, sauf pour un petit nombre de chercheurs spécialement doués. À mesure que craque la carapace de la nature extérieure, à mesure que les murs de séparation intérieure s'écroulent, la lumière intérieure se fraye un chemin, le feu intérieur s'avive dans le coeur, la substance de la nature et l'étoffe de la conscience s'affinent et acquièrent une subtilité et une pureté plus grandes, les expériences psychiques profondes, celles qui n'ont pas uniquement un caractère mental intérieur ou vital intérieur, deviennent possibles dans cette substance plus subtile, plus pure et plus affinée ; l'âme commence à se dévoiler, la personnalité psychique atteint sa pleine stature. Alors l'âme, l'entité psychique, se manifeste, elle devient l'être central qui soutient le mental, la vie et le corps et supporte tous les autres pouvoirs et toutes les autres fonctions de l'Esprit ; elle assume sa plus grande fonction de guide et de souverain de la nature. Du dedans commence à s'exercer une direction, un contrôle qui expose chaque mouvement à la lumière de la Vérité, qui rejette tout ce qui est faux et obscur et tout ce qui s'oppose à la réalisation divine: chaque région de l'être, tous ses coins et ses recoins, chaque mouvement, chaque formation, chaque orientation, chaque penchant de la pensée, de la volonté, des émotions et des sensations, les actions et les réactions, les mobiles, dispositions, propensions, désirs, habitudes de la conscience ou de la subconscience physique, même les plus dissimulés, les plus camouflés et muets, les plus secrets, sont éclairés par l'infaillible lumière psychique ; leurs confusions sont dissipées, leurs enchevêtrements sont débrouillés, leurs obscurités, leurs tromperies et leurs illusions sont démasquées avec précision et extirpées ; tout est purifié, redressé, la nature entière est harmonisée, accordée sur le ton psychique, ordonnée selon l'Esprit. Ce processus peut être rapide ou lent suivant la somme d'obscurité et de résistance qui reste encore dans la nature, mais il se poursuit sans défaillance tant qu'il n'est pas complet. Finalement, l'être conscient tout entier est rendu parfaitement apte aux expériences spirituelles de toutes sortes, il est tourné vers la vérité spirituelle de la pensée, des sentiments, des sensations, de l'action, il est accordé pour donner une réaction juste, délivré de tous les signes de l'ignorance : obscurité et obstination de l'inertie tamasique, confusion, turbulence et impureté de la passion radjasique, dynamisme inquiet et désharmonieux, raideur éclairée et limitations sattwiques ou balancements indécis d'un équilibre artificiel. Tel est le premier résultat, mais le second est un libre afflux d'expériences spirituelles de toutes sortes, expérience du Moi, expérience de l'Ishwara et de la Shakti divine, expérience de la conscience cosmique, contact direct avec les forces cosmiques et avec les mouvements occultes de la Nature universelle, sympathie et unité psychiques, communication intérieure et échanges de tous genres avec les autres êtres et avec la Nature, illuminations du mental par la connaissance, illuminations du coeur par l'amour et la dévotion, joie et extase spirituelle, illuminations des sens et du corps par une expérience plus haute, illuminations de l'action dynamique dans la vérité et l'ampleur de l'âme et dans celle d'un mental et d'un coeur purifiés, certitudes de la lumière et de la direction divines, joie et puissance de la force divine agissant dans notre volonté et notre conduite. Ces expériences arrivent quand la nature intérieure et l'être intérieur le plus profond s'ouvrent vers le dehors ; car alors entre en jeu le pouvoir naturel de l'âme - sa conscience infaillible, sa vision, son contact avec les choses - qui est supérieur à toute cognition mentale. Il y a là, naturels à la conscience psychique dans son action pure, une perception immédiate du monde et des êtres, un contact intérieur direct avec eux et avec le Moi, et avec le Divin, une connaissance directe, une vision directe de la Vérité et de toutes les vérités, une émotion, une sensibilité spirituelle pénétrante et directe, une directe intuition de ce qu'est la volonté juste et l'action juste, un pouvoir de gouverner et de créer un ordre dans l'être, non par les tâtonnements du moi superficiel, mais du dedans, depuis la vérité intérieure du moi et des choses, et depuis les réalités occultes de la Nature. Certaines de ces expériences peuvent venir avec l'ouverture de l'être mental et vital intérieur - le mental, le coeur et le vital intérieurs plus larges et plus subtils au-dedans de nous -, et sans qu'il y ait eu une pleine émergence de l'âme, l'entité psychique, car là aussi la conscience a un pouvoir de contact direct ; mais dans ce cas l'expérience peut prendre un caractère mélangé, car il peut se produire une émergence non seulement de la connaissance subliminale, mais aussi de l'ignorance subliminale. Il arrive souvent, en effet, que l'être s'élargisse insuffisamment, que les idées mentales, les émotions étroites et partiales, la forme du tempérament, viennent opposer leurs limitations, si bien qu'au lieu de la libre émergence de l'âme, il n'y a qu'une action imparfaite, une création de soi imparfaite. Si l'émergence psychique fait défaut, ou si celle-ci est incomplète, certaines expériences - expérience d'une connaissance plus grande, d'une force plus grande, dépassement des limites ordinaires - peuvent conduire à une exaltation de l'ego et même, au lieu d'un épanouissement de ce qui est divin ou spirituel, amener une poussée de ce qui est titanesque ou démoniaque, ou encore elles peuvent faire appel à des agents et des pouvoirs qui, tout en n'appartenant pas à ce type désastreux, sont d'un caractère cosmique puissant mais inférieur. Au contraire, l'autorité et la direction de l'âme introduisent dans toute expérience une tendance à la lumière, l'intégration, l'harmonie et la rectitude intime qui sont naturelles à l'essence psychique. Une transformation psychique de ce genre ou, pour parler plus largement, une transformation psycho-spirituelle, serait déjà un vaste changement pour notre nature humaine mentale. Mais tout ce changement et toutes ces expériences, malgré leur essence et leur caractère psychiques et spirituels, se limiteraient encore, dans leurs effets sur la vie, au niveau mental, vital et physique. Dynamiquement, leur effet spirituel [Note de Sri Aurobindo : L'ouverture psychique et l'ouverture spirituelle avec leurs expériences et leurs conséquences peuvent conduire loin de la vie ou aboutir à un Nirvâna ; mais elles ne sont considérées ici que comme des échelons dans une transformation de la nature humaine.] serait un épanouissement de l'âme dans le mental, la vie et le corps ; mais dans les actes et les formes, le changement resterait circonscrit aux limites imposées par les instruments inférieurs, même si ces limites sont plus larges, plus hautes et plus subtiles. Ce serait la manifestation indirecte et diminuée d'une vérité, d'un pouvoir et d'une félicité dont la pleine réalité, la pleine intensité, l'ampleur, l'unité et la diversité, se trouvent au-dessus de nous, au-dessus du mental, et par conséquent au-dessus de toutes les formules de perfection que le mental peut imaginer pour les fondations ou la superstructure de notre nature présente. La transformation spirituelle la plus haute doit donc intervenir en plus du changement psychique ou psycho-spirituel ; le mouvement psychique vers notre être intérieur, vers le Moi ou le Divin en nous, doit être complété par une ouverture vers le haut à un suprême statut spirituel, ou à une existence supérieure. Nous pouvons y parvenir en nous ouvrant à ce qui est au-dessus de nous, par une ascension de la conscience jusqu'aux régions de la nature surmentale et supramentale dans lesquelles la perception du Moi et de l'Esprit est à tout jamais dévoilée, permanente, et où les instruments spontanément lumineux du Moi et de l'Esprit ne sont pas restreints ou divisés comme dans notre nature mentale, vitale et corporelle. Cela aussi le changement psychique le rend possible ; car de même qu'il nous ouvre à la conscience cosmique qui nous est à présent cachée par les nombreux murs de l'individualité limitatrice, il nous ouvre de même à ce qui est maintenant supraconscient pour notre état normal, parce que cela nous est caché par l'écran solide, dur et brillant, d'un mental qui rétrécit, divise et sépare. L'écran s'amincit, se fend, se brise ou s'ouvre et disparaît sous la pression du changement psycho-spirituel et de la nouvelle conscience spiritualisée qui s'élance naturellement vers cela dont elle est l'expression ici-bas. Cette ouverture avec toutes ses conséquences peut ne pas s'accomplir du tout s'il n'y a qu'une émergence psychique partielle, et qu'elle se satisfasse de l'expérience de la Réalité divine à l'échelon ordinaire d'un mental spiritualisé ; mais si l'on s'est éveillé à l'existence de ces plans supranormaux plus élevés, une aspiration vers eux peut alors suffire à briser l'écran ou à provoquer en lui une fissure. Ceci peut arriver longtemps avant que le changement psycho-spirituel soit complet ou même avant qu'il ait vraiment commencé ou qu'il soit bien avancé, parce que la personnalité psychique est devenue consciente et se concentre avec ardeur sur la supraconscience. Une précoce illumination d'en haut, ou une déchirure de l'enveloppe supérieure peut se produire à la suite de l'aspiration ou de quelque préparation intérieure, ou même survenir d'une façon inattendue ou sans avoir été appelée par quelque partie consciente du mental - peut-être sous l'effet d'une nécessité subliminale secrète, ou d'une action, d'une pression venant des plans supérieurs, grâce à quelque chose que l'on perçoit comme le contact de l'Être divin, le contact de l'Esprit -, et les résultats peuvent être alors extrêmement puissants. Mais si cette expérience se produit à la suite d'une pression prématurée venant d'en bas, elle peut s'accompagner de difficultés et de dangers, que l'on évite lorsque la pleine émergence psychique précède cette première admission aux régions supérieures de notre évolution spirituelle. Le choix cependant ne dépend pas toujours de notre volonté propre, car les opérations de l'évolution spirituelle en nous sont très variées et l'orientation prise à chaque phase critique par l'action de la Conscience-Force dans son élan vers une plus haute manifestation de soi et une formation plus haute de notre existence, dépendra de la ligne que cette évolution a déjà suivie. Lorsque la déchirure se produit dans l'écran du mental, ce qui arrive, c'est que la vision s'ouvre sur quelque chose au-dessus de nous, ou que l'on s'élève vers cette chose, ou que ses pouvoirs descendent dans notre être. Et lorsque la vision s'ouvre, ce que nous voyons au-dessus de nous, c'est un Infini, une Présence éternelle ou une Existence infinie, une infinitude de conscience, une infinitude de félicité, un Moi sans limite, une Lumière sans limite, une Puissance, une Extase sans limite. Il se peut que pendant longtemps on n'obtienne rien d'autre qu'une vision occasionnelle, fréquente, ou constante de cet Infini, et que l'on ait une soif, une aspiration, sans plus, car bien que quelque chose dans le mental, le coeur ou d'autres parties de l'être se soit ouvert à cette expérience, la nature inférieure dans son ensemble reste encore trop lourde et trop obscure pour autre chose. Mais au lieu de cette première et large prise de conscience d'en bas, ou la suivant de près, il peut y avoir une ascension du mental vers les hauteurs au-dessus. Il se peut que nous ne connaissions pas ou que nous ne discernions pas clairement la nature de ces hauteurs, mais certains effets de cette ascension se font sentir. Souvent aussi nous avons le sentiment d'une ascension infinie et d'un retour, mais aucune trace ou aucune traduction ne reste de cet état supérieur. Il en est ainsi parce que cet état est supraconscient pour le mental, et par conséquent, quand le mental s'élève jusque-là, il est tout d'abord incapable d'y conserver son pouvoir de discernement conscient et de définir l'expérience. Mais quand ce pouvoir commence à s'éveiller et à agir, quand peu à peu le mental devient conscient dans ce qui pour lui était supraconscient, alors commencent une connaissance et une expérience des plans supérieurs de l'existence. Cette expérience concorde avec ce qui nous a été apporté par la première ouverture de la vision : le mental s'élève et pénètre dans le plan supérieur du Moi pur, silencieux, tranquille, illimité ; ou il monte dans des régions de lumière ou de félicité, ou entre en des plans où il sent un Pouvoir infini, ou une Présence divine, ou bien il sent le contact d'un Amour divin ou d'une Beauté divine, ou l'atmosphère d'une Connaissance plus vaste et plus grande, plus lumineuse. Au retour, l'impression spirituelle subsiste, mais le souvenir mental est souvent confus et il ne reste qu'une mémoire vague ou fragmentaire ; la conscience inférieure d'où l'ascension est partie, retombe à ce qu'elle était, et n'y a gagné qu'une expérience dont elle ne se souvient pas ou, si elle s'en souvient, c'est une expérience qui a perdu tout son dynamisme. Avec le temps, l'ascension se fait à volonté et la conscience retient et ramène avec elle quelque effet ou quelque gain de son séjour temporaire dans ces régions supérieures de l'Esprit. Pour beaucoup de gens, ces ascensions se produisent en état de transe, mais il est tout à fait possible de les faire dans un état de concentration de la conscience de veille, ou, quand cette conscience est devenue suffisamment psychique, à n'importe quel moment et sans concentration, par une attraction vers le haut ou une affinité. Mais malgré leur puissance illuminatrice, extatique ou libératrice, ces deux sortes de contact avec le supraconscient sont par eux-mêmes d'une efficacité insuffisante. Pour la complète transformation spirituelle, il faut davantage : une ascension permanente de la conscience inférieure jusqu'à la conscience supérieure et une descente effective et permanente de la nature supérieure dans la nature inférieure. C'est le troisième mouvement, le mouvement de descente, qui est essentiel pour amener l'ascension permanente, un influx croissant d'en haut, et l'expérience qui consiste à recevoir et à retenir l'Esprit qui descend ou ses pouvoirs et les éléments de sa conscience. L'expérience de cette descente peut se produire à la suite des deux autres mouvements, ou venir automatiquement avant qu'aucun d'eux ne se produise, grâce à une déchirure soudaine dans l'écran, ou grâce à une infiltration, un influx ou une irruption. Une lumière descend, touche, enveloppe ou pénètre l'être inférieur, le mental, la vie ou le corps ; ou bien une présence, un pouvoir, un flot de connaissance se déverse en vagues ou en torrent ; ou encore l'être est inondé de félicité, saisi d'une extase soudaine - le contact avec le supraconscient s'est établi. Et ces expériences se répètent jusqu'à ce qu'elles soient devenues normales et familières, jusqu'à ce qu'elles soient bien comprises et révèlent leur contenu, leur signification, qui pouvaient être ensevelis tout d'abord et gardés secrets derrière la forme de l'expérience qui les recouvre. Une connaissance d'en haut commence en effet à descendre, d'abord fréquemment, puis à tout moment, puis de façon ininterrompue, et à se manifester dans la quiétude ou le silence du mental ; des intuitions et des inspirations, des révélations nées d'une vision plus grande, d'une vérité et d'une sagesse plus hautes, entrent dans l'être ; un discernement lumineux et intuitif est à l'oeuvre qui dissipe toute obscurité de compréhension ou toute confusion aveuglante et qui met tout en ordre. Une nouvelle conscience commence à se former, un mental capable d'une haute et vaste connaissance intellectuelle, existant en soi, ou une conscience illuminée, intuitive ou surmentale, avec de nouvelles forces de pensée ou de vision et un plus grand pouvoir de réalisation spirituelle directe qui dépasse la pensée ou la vision, un plus grand devenir dans la substance spirituelle de notre être actuel. Le coeur et les facultés de perception deviennent subtils, intenses, assez vastes pour embrasser toute existence, pour voir Dieu, pour sentir et entendre et toucher l'Éternel, pour atteindre une unité plus profonde et plus étroite entre le moi et le monde, dans une réalisation transcendante. D'autres expériences décisives, d'autres changements de conscience se précisent qui sont des corollaires et des conséquences de ce changement fondamental. A cette révolution on ne peut fixer aucune limite ; car essentiellement, c'est une invasion de l'Infini. Ainsi s'accomplit le processus de la transformation spirituelle, petit à petit ou par une succession de grandes expériences rapides et définitives, il s'achève et trouve son couronnement dans une ascension qui se répète souvent, et qui permet finalement à la conscience de se fixer sur un plan plus élevé, d'où elle peut voir et gouverner le mental, la vie et le corps ; il s'achève aussi par une descente croissante des pouvoirs d'une conscience et d'une connaissance supérieures qui remplacent de plus en plus totalement la conscience et la connaissance normales. Une lumière et une puissance, une connaissance et une force se font sentir qui prennent d'abord possession du mental et le remanient ; puis de la partie vitale et la remodèlent ; finalement de la petite conscience physique et lui enlèvent sa petitesse pour la rendre vaste et plastique, et même infinie. Car cette nouvelle conscience est elle-même infinie par nature ; elle nous apporte le sens, la perception spirituelle permanente de l'infini et de l'éternel en même temps qu'une grande ampleur dans notre nature et la rupture de ses limitations. L'immortalité n'est plus une croyance ou une expérience, elle devient une perception normale de l'être. La présence intime de l'Être divin, son empire sur le monde, sur nous-mêmes et les diverses parties de notre nature, sa force à l'oeuvre en nous et partout, la paix de l'infini, la joie de l'infini, sont alors concrètes et constantes dans l'être. Dans tout ce que l'on voit, dans toutes les formes, on perçoit l'Éternel, la Réalité ; on l'entend dans tous les sons ; dans tous les contacts, on le sent ; il n'y a rien d'autre que ses formes, ses personnalités et ses manifestations - une étreinte qui embrasse toute existence, la joie ou l'adoration du coeur, l'unité de l'Esprit, sont devenues des réalités permanentes. La conscience de la créature mentale se change ou s'est déjà entièrement changée en la conscience de l'être spirituel. Telle est la seconde des trois transformations ; unissant l'existence manifestée à ce qui est au-dessus d'elle, elle est l'échelon intermédiaire, la transition décisive de la nature humaine dans son évolution spirituelle. Si dès le début l'Esprit pouvait rester à l'abri sur les hauteurs supérieures et s'il avait affaire à une substance mentale et matérielle blanche et vierge, la transformation spirituelle complète pourrait être rapide et même facile. Mais le processus réel de la Nature est plus difficile, la logique de ses mouvements est plus complexe, plus embrouillée et plus sinueuse, plus intégrale. La Nature accepte toutes les données de la tâche qu'elle s'est fixée, et ne se satisfait pas d'un triomphe sommaire sur ses propres complexités. Chaque partie de notre être doit être prise avec sa nature et son caractère propres, avec toutes les empreintes et tous les signes du passé encore présents en elle ; chaque partie, chaque mouvement le plus infime doit être, ou détruit et remplacé s'il est impropre, ou, s'il en est capable, transmué en la vérité de l'être supérieur. Si le changement psychique est complet, ceci peut se faire par un processus sans douleur, encore que le programme soit long et scrupuleux et le progrès mesuré ; sinon il faut se contenter d'un résultat partiel. Mais si le scrupule de perfection et la soif de l'Esprit sont insatiables, on doit consentir à un combat difficile, souvent pénible et apparemment interminable. Car généralement la conscience ne s'élève pas jusqu'aux sommets, sauf à ses plus hauts moments ; elle reste au niveau mental et reçoit ce qui descend d'en haut. C'est parfois une descente unique de quelque pouvoir spirituel qui s'établit et façonne l'être pour en faire quelque chose où l'Esprit prédomine, ou parfois c'est une succession de descentes qui lui apportent de plus en plus le statut spirituel et son dynamisme ; mais à moins qu'on ne vive sur le plus haut sommet atteint, il ne peut se produire de changement plus complet ou intégral. Si la mutation psychique n'a pas eu lieu, si l'on a fait descendre les forces supérieures de façon prématurée, leur contact peut être trop intense pour les matériaux défectueux et impurs de la Nature et leur sort immédiat peut être celui de la jarre mal cuite dont parle le Véda, qui ne pouvait retenir le Sôma, le breuvage divin. Il se peut aussi que l'influence qui descend se retire, ou bien qu'elle soit gaspillée parce que la nature ne peut ni la contenir ni la garder. Ou encore, si c'est la Puissance qui descend, le mental ou le vital égoïste peut essayer de s'en saisir à ses propres fins, ce qui a pour résultat fâcheux une exaltation de l'ego ou une chasse aux pouvoirs et aux maîtrises qui agrandissent le moi. L'Ananda qui descend ne peut être gardé s'il y a trop d'impureté sexuelle créant un mélange toxique et dégradant ; le Pouvoir se retire s'il y a de l'ambition, de la vanité, ou quelque autre forme agressive du moi inférieur ; la Lumière s'efface s'il y a de l'attachement pour l'obscurité ou pour toute forme de l'ignorance ; la Présence disparaît si la chambre du coeur n'a pas été rendue pure. Ou bien quelque force anti-divine peut essayer de se saisir, non du Pouvoir lui-même, car il se retire, mais de la force qui en résulte et qu'il a laissée derrière lui dans l'instrument, afin de s'en servir pour les fins de l'Adversaire. Même si aucune de ces fautes, aucune de ces erreurs désastreuses ne se produisait, les nombreux défauts de réception et les imperfections de l'instrument empêcheraient encore la transformation. Le Pouvoir doit venir de façon intermittente, et, entre-temps, travailler derrière le voile, ou se réserver pendant les longues périodes d'obscure assimilation ou de préparation des parties récalcitrantes de la Nature ; la Lumière doit travailler dans l'obscurité ou dans une demi-obscurité, sur les régions qui, en nous, sont encore dans la nuit. À tout moment le travail peut être arrêté, personnellement pour cette vie, parce que la nature n'est pas capable de recevoir ou d'assimiler davantage et qu'elle a atteint les limites de sa capacité actuelle, ou parce que, bien que le mental soit prêt, le vital, placé devant le choix entre la vieille vie et la nouvelle, refuse, ou si le vital accepte, le corps peut se révéler trop faible, inapte ou défectueux, pour supporter le changement nécessaire de la conscience et sa transformation dynamique. De plus, la nécessité d'opérer le changement séparément dans chaque partie de l'être selon sa nature et son caractère propres, oblige la conscience à descendre dans chacune d'elles tour à tour et là, à agir suivant l'état et les possibilités qu'elle trouve. Si le travail se faisait d'en haut, de quelque sommet spirituel, il pourrait se produire une sublimation, ou une élévation, ou la création d'une structure nouvelle, par la seule force de l'influence d'en haut ; mais l'être inférieur pourrait aussi ne pas accepter ce changement sous prétexte qu'il n'est pas conforme à sa nature ; ce ne serait pas une croissance totale, une évolution intégrale, mais une formation partielle et imposée, qui touche ou libère certaines parties de l'être, en étouffe d'autres ou les laisse telles qu'elles étaient. Une création extérieure à la nature normale et qui lui est imposée, ne pourrait être durable dans sa totalité que tant que l'influence créatrice se maintient. Il est donc nécessaire que la conscience descende jusque dans les niveaux inférieurs ; mais de cette façon aussi il est difficile au principe supérieur de manifester son plein pouvoir ; il se produit une altération, une dilution, une diminution, qui prolonge l'imperfection et la limitation des résultats : la lumière d'une connaissance plus grande descend, mais elle se brouille et s'atténue ; sa signification est mal interprétée, sa vérité se mélange à des erreurs mentales et vitales, ou bien la force et le pouvoir de réalisation ne sont pas à la mesure de la lumière. La lumière et le pouvoir du surmental agissant directement eux-mêmes et dans leur propre sphère est une chose ; la même lumière agissant dans l'obscurité de la conscience physique et soumise à ses conditions est une chose toute différente ; et par suite de la dilution et du mélange, sa connaissance, sa force et ses effets sont très inférieurs. Il en résulte un pouvoir mutilé, un effet partiel ou un mouvement entravé. Telle est, en fait, la raison de la lenteur et de la difficulté de l'émergence de la Conscience-Force dans la Nature. Le mental et la vie doivent en effet descendre dans la matière et s'adapter à ses conditions ; changés, diminués par l'obscurité et l'inertie résistante de la substance et de la force dans lesquelles ils opèrent, ils ne sont pas capables de transformer complètement leurs matériaux et d'en faire un instrument approprié et une substance renouvelée, révélatrice de leur pouvoir réel et naturel. La conscience de la vie est incapable de réaliser dans l'existence matérielle la grandeur et la félicité de ses belles et puissantes impulsions ; son élan est insuffisant, sa force de réalisation est inférieure à la vérité de ses conceptions, la forme trahit l'intuition de la vie, intuition que cette conscience porte en elle et qu'elle essaye d'exprimer dans les termes de l'être vivant. De son côté, le mental est impuissant à réaliser ses hautes idées dans le champ de la vie et de la matière sans diminution et compromis qui les dépouillent de leur divinité ; la clarté de sa connaissance et de sa volonté n'est pas égalée par son pouvoir de modeler cette substance inférieure afin qu'elle lui obéisse et qu'elle l'exprime. Au contraire, ses propres pouvoirs sont affectés, sa volonté est divisée, sa connaissance obscurcie et voilée par la trouble agitation de la vie et l'incompréhension de la matière. Ni la vie ni le mental ne réussissent à convertir ou à perfectionner l'existence matérielle, parce qu'en de telles conditions ils ne peuvent parvenir à la plénitude de leur propre force ; ils ont besoin de faire appel à une puissance supérieure qui les libérera et les accomplira. Mais les pouvoirs supérieurs du mental spirituel eux aussi se voient frappés de la même impuissance quand ils descendent dans la vie et la matière ; ils ont beaucoup plus de possibilités, ils peuvent accomplir un changement beaucoup plus lumineux, mais l'altération, la limitation subie par la conscience qui descend et sa disparité avec la force de réalisation qu'elle peut mentaliser et matérialiser, sont là constamment, et il en résulte une création amoindrie. Le changement ainsi accompli est souvent extraordinaire ; il se produit même quelque chose qui ressemble à une conversion totale, à un renversement de l'état de conscience et à une sublimation de ses mouvements, mais ce changement n'est pas dynamiquement absolu. Seul le supramental peut descendre dans la vie et la matière sans perdre la plénitude de son pouvoir d'action ; car son action est toujours intrinsèque et automatique ; sa volonté égale sa connaissance, et le résultat est proportionné. Sa nature est une Conscience-de-Vérité qui s'accomplit spontanément, et s'il se limite lui-même ou s'il limite son action, c'est par choix et avec intention, non par contrainte ; dans les limites qu'il s'est choisies, son action et les résultats de son action, sont harmonieux et inévitables. Quant au surmental, c'est un principe de division, comme le mental, et son action caractéristique est d'élaborer une harmonie choisie, au sein d'une forme indépendante. Certes, son action globale lui permet bien de créer une harmonie complète et parfaite en soi ou d'unir ou de fondre les harmonies ensemble, de faire une synthèse ; mais son travail étant soumis aux limitations du mental, de la vie et de la matière, il est obligé de procéder par sections qu'il doit joindre ensuite. Sa tendance à la totalité est entravée par sa tendance sélective, qui est accentuée par la nature des matériaux du mental et de la vie dans lesquels il travaille ici-bas. Tout ce qu'il peut accomplir, ce sont des créations spirituelles séparées et limitées, chacune parfaite en soi, mais ce n'est pas la connaissance intégrale ni sa manifestation. Pour cette raison et parce que sa lumière et sa puissance natives sont affaiblies, le surmental est incapable de faire pleinement ce qui est nécessaire et il doit faire appel à un pouvoir plus grand, la force supramentale, qui le libérera et l'accomplira. De même que le changement psychique doit faire appel au changement spirituel pour se parachever, de même le premier changement spirituel doit faire appel à la transformation supramentale qui le complète. Car toutes ces étapes sur la route, comme celles qui les ont précédées, sont des étapes de transition. Le changement radical et total dans l'évolution qui s'accomplit depuis une base d'ignorance jusqu'à une base de Connaissance, ne peut se produire que par l'intervention de la puissance supramentale et de son action directe dans l'existence terrestre. Telle doit donc être la nature de la troisième et finale transformation, celle qui achève le passage de l'âme à travers l'ignorance et établit sa conscience, sa vie, son pouvoir et la forme de sa manifestation sur une connaissance de soi complète et complètement efficace. Lorsque la nature évolutive est prête, la Conscience de Vérité doit descendre en elle et lui permettre de libérer le principe supramental qu'elle contient. Ainsi sera créé l'être supramental et spirituel, première manifestation dévoilée de la vérité du Moi et de l'Esprit dans l'univers matériel. Sri Aurobindo in "L'Évolution spirituelle - Les six derniers chapitres de La Vie Divine" traduits par La Mère publié par Sri Aurobindo Ashram - Pondichéry - Inde diffusion par SABDA L'original en anglais est ici |