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1 [Deux pouvoirs: aspiration et grâce]
(original en anglais ici)
Seuls, deux pouvoirs, par leur conjonction, peuvent accomplir la grande
et difficile tâche qui est le but de notre effort: une aspiration
constante et infaillible appelant d'en bas et une Grâce suprême
répondant d'en haut.
Mais la Grâce suprême n'agira que dans les conditions de la
lumière et de la vérité: elle n'agira pas dans les
conditions imposées par le mensonge et l'ignorance. Car si elle
devait se soumettre aux exigences du mensonge, ce serait la ruine de ses
propres desseins.
Voici les conditions de lumière et de vérité, les
seules conditions sous lesquelles la Force la plus haute descendra; et
c'est seulement la plus haute Force supramentale descendant d'en haut
et s'ouvrant le passage d'en bas qui pourra manier victorieusement la
nature physique et annihiler ses difficultés
Il faut un don
de soi total et sincère, une ouverture de soi tournée exclusivement
vers le Pouvoir divin, une admission, constante et intégrale de
la Vérité qui descend, un constant et intégral rejet
du mensonge, des pouvoirs et des apparences du mental, du vital et du
physique qui gouvernent encore la nature terrestre.
Le don de soi doit être total et s'étendre à toutes
les parties de l'être. Ce n'est pas suffisant que le psychique réponde,
que le mental supérieur accepte, ou même que le vital inférieur
se soumette et que la conscience physique intérieure sente l'influence.
Il ne doit rien y avoir, dans aucune partie de l'être, même
la plus extérieure, qui se réserve ou qui se cache derrière
des doutes, des confusions, des subterfuges, rien qui se révolte
ou se refuse.
Si une partite de l'être se soumet, mais qu'une autre partie se
réserve et suive son propre chemin ou pose ses propres conditions,
alors chaque fois que cela se produit, vous repoussez vous-même
la Grâce divine loin de vous.
Si derrière votre dévotion et votre soumission, vous abritez
vos désirs, vos exigences égoïstes et vos insistances
vitales, si vous mettez ces choses à la place de l'aspiration vraie
ou que vous les mêliez avec elle et que vous vous efforciez de les
imposer à la Shakti divine, c'est en vain que vous invoquerez la
Grâce divine pour vous transformer.
Si vous vous ouvrez d'un côté ou dans une partie de votre
être à la vérité, et que d'un autre côté
vous ouvriez constamment les portes aux forces hostiles, il est futile
d'espérer que la Grâce divine demeurera avec vous. Vous devez
garder le temple propre si vous désirez y établir la Présence
vivante.
Si, chaque fois que le Pouvoir intervient et fait descendre la Vérité,
vous lui tournez le dos et rappelez le mensonge qui a été
expulsé, ce n'est pas la Grâce divine que vous devez blâmer
de vous faire défaut, mais la fausseté de votre propre volonté
et l'imperfection de votre propre soumission.
Si vous appelez la Vérité et en même temps que quelque
chose en vous choisisse ce qui est faux, ignorant et non divin, ou même
simplement ne soit pas disposé à le rejeter totalement,
alors vous serez toujours exposé aux attaques et la Grâce
se retirera de vous. Découvrez d'abord ce qui est faux et obscur
en vous-même et rejetez-le avec persistance; alors seulement vous
aurez le droit de faire appel au Pouvoir divin pour qu'il vous transforme.
N'imaginez pas que la vérité et le mensonge, la lumière
et l'ombre, la soumission et l'égoïsme puissent être
admis à demeurer ensemble dans la maison consacrée au Divin.
La transformation doit être intégrale, et intégral
aussi doit être le rejet de tout ce qui s'y oppose.
Rejetez cette notion fausse que le Pouvoir divin fera, et est obligé
de faire, tout pour vous sur votre demande et quand bien même vous
ne satisfaites pas aux conditions posées par le Suprême.
Que votre soumission soit vraie et complète, alors seulement tout
le reste sera fait pour vous.
Rejetez aussi l'attente fausse et indolente que le Pouvoir divin accomplisse
même la soumission pour vous. Le Suprême demande votre soumission,
mais ne l'impose pas; jusqu'à ce que vienne la transformation irrévocable,
vous êtes libre à tout moment de nier et de rejeter le Divin
ou de revenir sur le don de vous-même, si vous êtes disposé
à en subir les conséquences spirituelles. Votre soumission
doit être libre et spontanée; elle doit être la soumission
d'un être vivant, et non pas celle d'un automate inerte ou d'un
outil mécanique.
On confond constamment une inerte passivité avec la soumission
réelle; mais d'une passivité inerte rien de vrai et de puissant
ne peut résulter. C'est la passivité inerte de la nature
physique qui la laisse à la merci de toutes les influences obscures
et anti-divines. Une soumission heureuse, forte et utile est demandée
pour que la Force divine puisse travailler, l'obéissance du disciple
illuminé de la Vérité, du guerrier intérieur
qui combat contre l'obscurité et le mensonge, du fidèle
serviteur du Divin.
Telle est l'attitude vraie, et seulement ceux qui peuvent la prendre et
la garder sauront conserver une foi que les déceptions et les difficultés
n'ébranleront pas, et passer à travers l'épreuve
vers la victoire suprême et la grande transformation.
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2 [Aspiration, rejet, don de soi-soumission]
(original en anglais ici)
A travers sa Shakti, le Divin est derrière toute action, en tout
ce qui est fait dans l'univers, mais il est voilé par sa Yoga-Mâyâ
et il travaille à travers l'ego du jîva dans la nature
inférieure.
Dans le yoga aussi, le Divin est le sâdhak et la sâdhana.
C'est la Shakti qui rend la sâdhanâ possible par sa
lumière, son pouvoir, sa connaissance, sa conscience, son ânanda
agissant sur l'âdhâra (l'être physique), et,
quand celui-ci s'ouvre à elle, se déversant en lui avec
ses forces divines. Mais tant que la nature inférieure est active,
l'effort personnel du sâdhak reste nécessaire.
L'effort personnel qui est demandé est un triple labeur d'aspiration,
de rejet et de don de soi.
Une aspiration vigilante, constante, incessante, la volonté de
l'esprit, la recherche du cur, l'assentiment de l'être vital,
la volonté d'ouvrir et de rendre plastiques la conscience et la
nature physiques.
Le rejet des mouvements de la nature inférieure: le rejet des idées,
opinions, préférences, habitudes et constructions du mental,
afin que la connaissance véritable puisse trouver le champ libre
dans un esprit silencieux.
Le rejet des désirs, réclamations, sensations et passions
de la nature vitale, de son égoïsme, son orgueil, son arrogance,
sa luxure, son avidité, sa jalousie, son envie et son hostilité
envers la vérité, afin que le pouvoir et la joie véritables
puissent se déverser d'en haut dans un être vital, calme,
grand, fort et consacré; le rejet de la stupidité, du doute,
de l'incrédulité, de l'obscurité, de l'obstination,
de la petitesse, de la paresse, du mauvais vouloir à changer et
du tamas de la nature physique, afin que la stabilité véritable
de la Lumière, du Pouvoir, de l'Ananda s'établisse dans
un corps devenant de plus en plus divin.
Le don de soi, de tout ce que l'on est, de tout ce que l'on possède,
de chaque plan de la conscience et de chaque mouvement, au Divin et à
la Shakti.
Dans la mesure du don et de la consécration de soi, le sâdhak
prend conscience que la Shakti divine fait la sâdhâna
et pénètre en lui de plus en plus en y établissant
la liberté et la perfection de la Nature divine. Plus cette opération
consciente remplace son propre effort, plus rapide et véritable
devient le progrès. Mais elle ne peut faire disparaître complètement
la nécessité de l'effort personnel qu'au moment où
la soumission et la consécration sont devenues pures et complètes
de haut en bas.
Remarquez qu'une soumission tamasique refusant de se soumettre aux conditions
et demandant au Divin de tout faire et de vous épargner toutes
les difficultés et toutes les luttes, est une duperie et ne mène
ni à la liberté ni à la perfection.
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3 [Grâce divine et foi, sincérité
et don de soi-soumission] (original en anglais ici)
Pour traverser la vie protégé contre toute crainte, tout
risque et tout malheur, deux choses seulement sont nécessaires,
et elles vont toujours ensemble: la Grâce de la Mère divine
et, de votre côté, un état intérieur fait de
foi, de sincérité et de soumission.
Que votre foi soit pure, candide et parfaite. Une foi égoïste
de l'être mental et vital, colorée par l'ambition, l'orgueil,
la vanité, l'arrogance mentale, l'obstination vitale, les exigences
personnelles, le désir pour les mesquines satisfactions de la nature
inférieure, est une flamme basse et fumeuse qui ne peut s'élever
tout droit vers le ciel. Considérez que votre vie vous est donnée
seulement pour l'uvre divine et pour aider à la manifestation
divine. Ne désirez rien que la pureté, la force, la lumière,
l'ampleur, le calme, l'ânanda de la Conscience divine et
son insistance à transformer et perfectionner votre esprit, votre
vie et votre corps. Ne demandez rien d'autre que la Vérité
divine, spirituelle et supramentale, la réalisation sur terre,
en vous et dans tous ceux qui sont appelés et choisis, et les conditions
nécessaires pour sa création et sa victoire sur toutes les
forces adverses.
Que votre sincérité et votre soumission soient vraies et
complètes. Si vous vous donnez au Divin, donnez-vous complètement,
sans exigence, sans condition, sans réserve, afin que tout en vous
appartienne à la Mère divine et que rien ne soit laissé
à l'ego ou donné à quelque autre puissance.
Plus votre foi, votre sincérité et votre soumission sont
complètes, plus la grâce et la protection seront avec vous.
Et quand la grâce et la protection de la Mère divine sont
avec vous, qu'est-ce qui peut vous toucher, ou qui avez-vous à
craindre ? Un peu même de sa Grâce vous portera à travers
toutes les difficultés, tous les obstacles et tous les dangers.
Entouré de sa pleine Présence, vous pouvez aller sans crainte
sur votre chemin, car c'est le sien, peu soucieux de toutes les menaces,
sans être affecté par aucune hostilité, si puissante
soit-elle, qu'elle vienne de ce monde ou des mondes invisibles. Son contact
peut tourner les difficultés en occasions, l'insuccès en
succès et la faiblesse en force qui ne défaille point.
Car la grâce de la Mère divine est l'assentiment du Suprême
et, tôt ou tard, son effet est sûr: c'est une chose décrétée,
inévitable et irrésistible.
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4 [Reconquérir l'argent pour la Mère]
(original en anglais ici)
L'argent est le signe visible d'une force universelle qui, dans sa manifestation
sur la terre, travaille dans les plans vital et physique et qui est indispensable
à la plénitude de la vie extérieure.
Dans son origine et son action vraie, elle appartient au Divin. Mais,
comme les autres puissances du Divin, elle est déléguée
ici-bas et, dans l'ignorance de la Nature inférieure, elle peut
être usurpée pour les satisfactions de l'ego ou détenue
par des influences asuriques et détournée à leurs
fins. Elle est vraiment l'une des trois forces - le pouvoir, l'argent,
le sexe - qui not la plus forte attraction sur l'ego humain et sur l'asura
et qui sont le plus généralement mal possédées
et mal employées par ceux qui les détiennent.
Les chercheurs et les détenteurs de la richesse sont plus souvent
possédés par elle que ses possesseurs; bien peu échappent
entièrement à une certaine influence déformante qui
a été imposée à cette richesse par sa longue
capture et perversion par l'asura. Pour cette raison, la plupart
des disciplines spirituelles insistent sur le complet contrôle de
soi, le détachement et le renoncement à tout lien de la
richesse et à tout désir personnel et égoïste
de la posséder. Quelques-unes placent même un interdit sur
l'argent et la richesse et déclarent qu'une vie pauvre et nue est
la seule condition spirituelle. Mais ceci est une erreur qui laisse le
pouvoir aux mains des forces hostiles. Reconquérir l'argent pour
le Divin à qui il appartient et l'utiliser divinement pour la vie
divine, telle est la voie supramentale pour le sâdhak.
Il ne faut ni vous détourner avec un recul ascétique du
pouvoir de l'argent, des moyens qu'il vous donne et des objets qu'il vous
apporte, ni entretenir un attachement rajasique pour ces choses ou un
esprit de complaisance qui rend esclave des satisfactions qu'elles donnent.
Regardez les richesses simplement comme une puissance qui doit être
reconquise pour la Mère divine et placée à son service.
Toutes les richesses appartiennent au Divin et ceux qui les détiennent
en sont les dépositaires et non les possesseurs. Elles sont avec
eux aujourd'hui: demain elles peuvent être ailleurs. Tout dépend
de la manière dont ils s'acquittent de leur charge tant qu'elle
leur est confiée, et dans quel esprit ils le font, avec quelle
conscience dans leur façon de s'en servir et pour quelles fins.
Dans votre usage personnel de l'argent, regardez tout ce que vous avez,
gagnez ou apportez comme appartenant à la Mère divine. Ne
lui demandez rien, mais recevez ce qui vous vient d'elle et utilisez-le
pour les fins mêmes pour lesquelles cela vous est donné.
Soyez entièrement désintéressé, entièrement
scrupuleux, exact, soigneux dans les détails: un bon gardien. Souvenez-vous
toujours que ce sont les possessions de la Mère divine et non les
vôtres que vous administrez. D'autre part, tout ce que vous recevez
pour elle, placez-le religieusement devant elle: n'utilisez rien pour
vous ni pour une autre personne.
N'ayez pas de respect pour un homme parce qu'il est riche et ne vous laissez
pas impressionner par l'ostentation, le pouvoir ou l'influence. Quand
vous demandez pour la Mère, vous devez sentir que c'est elle qui
demande à travers vous très peu de ce qui lui appartient
et que l'homme à qui vous demandez sera jugé par sa réponse.
Si vous êtes libre de la souillure de l'argent, mais sans aucun
recul ascétique, vous aurez un plus grand contrôle sur l'argent.
L'égalité d'âme, l'absence d'exigence et la dédication
complète à la Shakti divine et à son uvre de
tout ce que vous avez et recevez et aussi de votre pouvoir d'acquisition
sont les signes de cette liberté. Tout trouble en ce qui concerne
l'argent et son usage, toute exigence, tout regret est un indice sûr
d'une imperfection ou d'un attachement quelconque.
En cette manière, le sâdhak idéal est celui
qui peut, si cela est nécessaire, vivre pauvrement sans qu'aucun
sens de manque ne l'affecte ni n'intervienne dans la plénitude
du jeu intérieur de la Conscience divine: et s'il est nécessaire
qu'il vive richement, il peut le faire aussi sans jamais, à aucun
moment, se laisser tomber dans le désir ou l'attachement pour sa
richesse ou pour les choses dont il se sert, ni dans la servitude de la
satisfaction de ses propres plaisirs, ni dans un lien de faiblesse pour
les habitudes créées par la possession des richesses. La
Volonté divine et l'Ananda divin sont tout pour lui.
Dans la création supramentale, il faut que la force de l'argent
soit restituée à la Puissance divine et qu'elle soit employée
pour l'ordonnance et l'équipement vrais, beaux et harmonieux d'une
existence vitale et physique nouvelle et divinisée, et cela, de
la manière, quelle qu'elle soit, que la Mère divine décidera
dans sa vision créatrice. Mais d'abord il faut que la force de
l'argent soit reconquise pour elle et ceux-là seront les plus forts
pour cette conquête, qui sont, en cette partie de leur nature, fermes,
vastes, libres de l'ego et consacrés sans aucune revendication,
rétention ni hésitation, de purs et puissants canaux pour
la Puissance suprême.
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5 [Faire vraiment l'oeuvre divine] (original
en anglais ici)
Si vous voulez faire vraiment l'uvre divine, il faut que votre premier
but soit d'être totalement libre de tout désir et de tout
amour-propre égoïste. Votre vie entière doit être
une offrande et un sacrifice au Suprême; votre seul but dans l'action
sera de servir, de recevoir, d'accomplir et de devenir un instrument manifestant
la Shakti divine dans ses uvres. Vous devez croître dans la
Conscience divine jusqu'à ce qu'il n'y ait plus aucune différence
entre votre volonté et la sienne, aucun mobile sauf son impulsion
en vous, aucune action qui ne soit son action consciente en vous et à
travers vous.
Jusqu'à ce que vous soyez capable de cette identification complète,
dynamique, vous devez vous considérer comme une âme et un
corps créés pour son service, comme celui qui n'agit que
pour elle. Même si l'idée du travailleur distinct est forte
en vous, et que vous sentiez que c'est vous qui agissez, cependant il
faut le faire pour elle. Tout effort de choix égoïste, toute
soif de profit personnel, toute stipulation d'un désir qui veut
se satisfaire doivent être extirpés de la nature. Il ne doit
y avoir ni demande du fruit, ni recherche de la récompense: le
seul fruit pour vous est le plaisir de la Mère divine et l'accomplissement
de son uvre, votre seule récompense, une progression constante
dans la Conscience divine, le calme, la force et la béatitude.
La joie du service et la joie du développement intérieur
par les uvres est une récompense suffisante pour le travailleur
désintéressé.
Mais un temps viendra où vous sentirez de plus en plus que vous
êtes l'instrument et non le travailleur. Car, d'abord par la force
de votre dévotion, votre rapport avec la Mère divine deviendra
si intime qu'à tout moment vous n'aurez qu'à vous concentrer
et à remettre toutes choses entre ses mains pour être guidé
par sa présence et recevoir directement son ordre ou son impulsion,
l'indication sûre de la chose à faire, de la manière
de la faire et de son résultat. Ensuite vous réaliserez
que la Shakti divine non seulement inspire et guide vos actions, mais
en prend l'initiative et les accomplit: tous vos mouvements prennent naissance
en elle, toutes vos puissances sont les siennes: l'esprit, la vie et le
corps sont des instruments conscients et joyeux de son action, des moyens
pour son jeu, des moules pour sa manifestation dans l'univers physiques.
Il ne peut y avoir de plus heureuse condition que cette union et cette
dépendance: car ce pas vous reporte au-delà de la frontière,
hors de la vie de l'ignorance faite d'effort et de souffrance, vers la
vérité de votre être spirituel, dans sa paix profonde
et son ânanda intense.
Pendant que cette transformation a lieu, il est plus que jamais nécessaire
de vous préserver de toute souillure provenant des perversions
de l'ego. Ne laissez se glisser aucune exigence, aucune insistante réclamation
qui puisse ternir la pureté du don de soi et du sacrifice. Il ne
doit y avoir ni attachement pour l'uvre ou pour son résultat,
ni imposition de conditions, prétention à posséder,
ni orgueil de l'instrument, ni vanité, ni arrogance. Il ne doit
être permis à rien dans le mental, ou dans les parties vitales
ou physiques, de détourner pour son propre usage la grandeur des
forces qui agissent à travers vous, ou de les posséder pour
sa satisfaction personnelle et distincte. Que votre foi, votre sincérité,
la pureté de votre aspiration soient absolues et pénètrent
tous les plans et toutes les couches de l'être; alors tous les éléments
perturbateurs et toutes les influences déformantes tomberont progressivement
de votre nature.
L'étape finale de cette perfection arrivera quand vous serez complètement
identifié à la Mère divine et que vous ne vous sentirez
plus un être séparé, un instrument, un serviteur ou
un travailleur distinct et différent, mais vraiment un enfant et
un pur fragment éternel de sa conscience et de sa force. Toujours
elle sera en vous et vous serez en elle; ce sera pour vous une expérience
constante, simple et naturelle que toute votre pensée, toute votre
vision, toute votre action, même votre respiration et votre mouvement
viennent d'elle et soient les siens. Vous saurez, verrez et sentirez que
vous êtes une puissance formée par elle d'elle-même,
extériorisée pour le jeu et pourtant toujours en sécurité
dans son sein, être de son Être, conscience de sa Conscience,
force de sa Force, ânanda de son Ananda. Quand cette condition
sera complète et que ses énergies supramentales pourront
librement vous faire mouvoir, vous serez parfait dans les uvres
divines; la connaissance, la volonté et l'action deviendront sûres,
simples, lumineuses, spontanées, sans défaut, un courant
du Suprême, un mouvement divin de l'Éternel.
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6 [Les quatre Pouvoirs de la Mère]
(original en anglais ici)
Les quatre pouvoirs de la Mère sont quatre parmi ses prédominantes
personnalités, parties et personnifications de sa divinité,
à travers lesquelles elle agit sur ses créatures, met en
ordre et harmonise ses créations dans les mondes et dirige la manifestation
de ses milliers de forces.
Car la Mère est une, mais elle se présente à nous
sous des aspects différents: elle a beaucoup d'émanations
et de vibhûtis qui agissent pour elle dans l'univers. Celle
que nous adorons comme la Mère est la Conscience-Force divine qui
domine toute existence, unique et pourtant si multiple qu'il est impossible
de suivre ses mouvements, même pour l'esprit le plus prompt et pour
la plus libre et la plus vaste intelligence. La Mère est la conscience
et la force du Suprême et elle est bien au-dessus de toutes ses
créations. Mais quelque chose de ses voies peut être vu et
senti à travers ses personnifications, d'autant plus perceptible
que sont plus définis et limités le tempérament et
l'action des formes de Déesses dans lesquelles elle consent à
se manifester à ses créatures.
Il y a trois manières d'être de la Mère que vous pouvez
percevoir quand vous vous identifiez avec la Conscience-Force qui nous
soutient, nous et l'univers.
La Transcendante, la suprême Shakti originelle, qui se tient au-dessus
des mondes et sert de trait d'union entre la création et le mystère
toujours non-manifesté du Suprême.
L'Universelle, la Mahâshakti cosmique, qui crée tous les
êtres et contient, pénètre, supporte et dirige les
millions de procédés et de forces.
L'Individuelle, qui personnifie le pouvoir des deux plus vastes aspects
de son existence, les rend vivants et proches de nous et s'entremet entre
la personnalité humaine et la Nature divine.
L'unique Shakti originelle et transcendante, la Mère, se tient
au-dessus de tous les mondes et porte dans sa conscience éternelle
le Divin suprême. Elle est seule à abriter le Pouvoir absolu
et la Présence ineffable; contenant ou appelant les vérités
qui doivent être manifestées, elle les fait descendre de
sa conscience infinie et leur donne une forme dynamique dans son pouvoir
omnipotent et dans sa vie sans bornes, et un corps dans l'univers. Le
Suprême est manifesté en elle à jamais comme l'éternel
Sachchidânanda (Sat-Chit-Ananda): il se manifeste à travers
elle dans les mondes comme la conscience unique et duelle de l'Ishvara-Shakti
et le principe duel de Purusha-Prakriti; il est personnifié par
elle dans les mondes et les plans et les Dieux et leurs énergies,
et façonné grâce à elle comme tout ce qui est
dans les mondes connus et dans d'autres inconnus. Tout est son jeu avec
le Suprême: tout est sa manifestation des mystères de l'Éternel,
des miracles de l'Infini. Tout est elle, car tous sont parcelles et fragments
de la Conscience-Force divine. Rien ne peut être ici ou ailleurs
que ce qu'elle décide et que le Suprême permet; rien ne peut
prendre forme excepté ce que, mue par le Suprême, elle perçoit
et façonne après en avoir moulé le germe dans son
Ananda créateur.
La Mahâshakti, la Mère universelle, effectue tout ce que
sa conscience transcendante transmet du Suprême et elle entre dans
les mondes qu'elle a faits: sa présence les remplit et les soutient
avec l'esprit divin, et avec la force et la félicité divines
qui sustentent tout, et sans quoi ils ne pourraient pas exister. Ce que
nous appelons la nature, ou Prakriti, n'est que son aspect exécutif
le plus extérieur. La Mahâshakti dispose et organise l'harmonie
de ses forces et de ses procédés; elle contraint la nature
à ses opérations et se meut parmi elles, cachée ou
manifestée en tout ce qui peut être vu, expérimenté
ou mis dans le mouvement de la vie. Chacun des mondes n'est rien d'autre
qu'un jeu de la Mahâshakti de ce système de mondes ou univers,
et qui y réside, comme l'âme et la personnalité cosmiques
de la Mère transcendante. Chacun est une chose qu'elle a vue dans
sa vision, accueillie dans son cur de beauté et de pouvoir
et créée dans son Ananda.
Mais il y a beaucoup de plans de sa création, beaucoup de pas de
la Shakti divine. Au sommet de cette manifestation dont nous faisons parties,
il y a les mondes d'existence, de conscience, de force et de félicité
infinies, au-dessus desquels la Mère se tient comme le Pouvoir
éternel dévoilé. Là, tous les êtres
vivent et se meuvent dans une plénitude ineffable et une unité
invariable, parce qu'elle les porte en sécurité dans ses
bras, à jamais. Plus proches de nous sont les mondes d'une parfaite
création supramentale, dans lesquels la Mère est la Mahâshakti
supramentale, un Pouvoir d'omnisciente Volonté et d'omnipotente
Connaissance divines, toujours apparent dans ses uvres infaillibles
et spontanément parfaites dans chaque opération. Là,
tous les mouvements sont des pas de la Vérité, tous les
êtres sont des âmes, des pouvoirs et des corps de la Lumière
divine, toutes les expériences, des mers, des flots et des vagues
d'un Ananda absolu et intense. Mais les mondes où nous demeurons
sont ceux de l'ignorance, les mondes du mental, de la vie et du corps,
séparés de leur source dans leur conscience, et dont la
terre est un centre significatif et son évolution un mouvement
décisif. Tout ceci aussi avec son obscurité, ses luttes
et ses imperfections, est supporté par la Mère universelle;
ceci aussi est mû, et conduit vers son but caché par la Mahâshakti.
La Mère, en tant que Mahâshakti de ce triple monde de l'ignorance,
se tient dans un plan intermédiaire entre la Lumière supramentale,
la vie de Vérité, la création de Vérité,
qui doit être amenée ici-bas et cette hiérarchie montante
et descendante des plans de conscience qui, comme une échelle double,
s'enfonce dans l'ignorance de la matière et escalade à nouveau
l'infinité de l'esprit à travers l'épanouissement
de la vie, de l'âme et de l'intellect. Déterminant tout ce
qui sera en cet univers et dans l'évolution terrestre par ce qu'elle
voit et sent et déverse d'elle-même, elle se tient là,
au-dessus des dieux, et toutes ses personnalités et tous ses pouvoirs
sont émis et placés devant elle pour l'action; elle projette
leurs émanations dans ces mondes inférieurs pour intervenir,
gouverner, combattre et conquérir, pour guider et accomplir leurs
cycles, pour diriger les lignes d'action totales et individuelles de leurs
forces. Ces émanations sont les nombreuses formes et personnalités
divines dans lesquelles les hommes l'ont adorée sous des noms différents
à travers les âges. Mais elle prépare aussi et forme
par l'intermédiaire de ces pouvoirs et de leurs émanations,
l'esprit et le corps de ses vibhûtis, de même qu'elle
prépare et forme des esprits et des corps pour les vibhûtis
de l'Ishvara, afin qu'elle puisse manifester, dans ce monde physique et
sous le masque de la conscience humaine, quelque rayon de son pouvoir,
de sa qualité et de sa présence. Toutes les scènes
du jeu terrestre on été, comme dans un drame, organisées,
conçues et jouées par elle avec les Dieux cosmiques comme
auxiliaires et elle-même comme un acteur voilé.
Non seulement la Mère gouverne tout d'en haut, mais elle descend
dans ce triple univers inférieur. D'une manière impersonnelle,
toutes choses ici-bas, même les mouvements de l'ignorance, sont
elle-même en un pouvoir voilé, sont ses créations
dans une substance amoindrie, sont le corps et la force de sa nature;
et elles existent parce que, mue par le fiat mystérieux du Suprême
afin d'exécuter quelque chose qui était là-haut parmi
les possibilités de l'Infini, elle a consenti au grand sacrifice
et a revêtu, comme un masque, l'âme et les formes de l'ignorance.
Mais d'une manière personnelle aussi, elle a daigné descendre
ici-bas dans l'obscurité afin de pouvoir la conduire à la
Lumière, dans le mensonge et l'erreur afin de les convertir à
la Vérité, dans cette mort afin de la changer en une Vie
divinisée, dans la douleur du monde, sa souffrance et son chagrin
obstinés pour y mettre fin par l'extase transformante de son sublime
Ananda. Dans son profond et grand amour pour ses enfants, elle a consenti
à revêtir le manteau de cette obscurité, condescendu
à subir les attaques et les influences torturantes des pouvoirs
de ténèbres et de mensonge, supporté de traverser
le portail de cette naissance qui est une mort, pris sur elle les angoisses,
les chagrins et les souffrances de la créature, car il semblait
qu'ainsi seulement la création pouvait être élevée
jusqu'à la Lumière, la Joie et la Vérité,
jusqu'à la Vie éternelle. C'est le grand sacrifice du Purusha,
mais bien plus profondément l'holocauste de Prakriti, le sacrifice
de la Mère divine.
***
Quatre grands aspects de la Mère, quatre de ses principaux pouvoirs
et personnalités ont été mis en avant dans sa conduite
de cet univers et dans ses relations avec le jeu terrestre.
L'un est sa personnalité de calme ampleur, de sagesse compréhensive,
de bénignité tranquille, de compassion inépuisable,
de majesté souveraine et supérieure et de grandeur qui gouverne
tout.
Un autre personnifie son pouvoir de splendide énergie et d'irrésistible
passion, sa disposition guerrière, sa volonté écrasante,
sa promptitude impétueuse et sa force qui secoue le monde.
Le troisième est ardent, doux et merveilleux dans le profond secret
de sa beauté, de son harmonie et de son rythme délicat,
dans son opulence complexe et subtile, son attrait irrésistible
et sa grâce captivante.
Le quatrième est pourvu de sa secrète et pénétrante
capacité de connaissance intime, de travail soigneux et sans défaut
et de perfection tranquille et précise en toutes choses.
Sagesse, Énergie, Harmonie, Perfection sont leurs divers attributs,
et ce sont ces pouvoirs qu'ils apportent avec eux dans le monde, qu'ils
manifestent sous un déguisement humain dans leurs vibhûtis,
et qu'ils établiront suivant la mesure divine de leur ascension
en ceux qui peuvent ouvrir leur nature terrestre à l'influence
directe et vivante de la Mère.
A ces quatre, nous donnons les quatre grands noms de Maheshvarî,
Mahâkâlî, Mahâlakshmî, Mahâsarasvatî.
Impériale, Maheshvarî se tient dans la vaste étendue,
au-dessus de l'esprit pensant et de la volonté; elle les exalte
et les magnifie jusqu'à la sagesse et la grandeur, ou elle les
inonde d'une splendeur qui les dépasse. Car elle est la puissante
et sage qui nous ouvre aux infinités supramentales, à l'immensité
cosmique, à la magnificence de la Lumière suprême,
au trésor de connaissance miraculeuse et au mouvement illimité
des forces éternelles de la Mère. Elle est tranquille et
merveilleuse, grande et calme à tout jamais. Rien ne peut l'émouvoir,
car en elle est toute la sagesse; rien ne lui est caché qu'elle
choisit de savoir; elle comprend toutes choses et tous les êtres,
leur nature et ce qui les meut, la loi du monde, ses époques et
comment tout était, est et doit être. En elle est une vigueur
qui affronte et dompte toutes choses et rien ne peut prévaloir
à la fin contre sa sagesse vaste et intangible et son pouvoir tranquille
et supérieur. Égale, patiente et inaltérable dans
sa volonté, elle agit avec les hommes suivant leur nature, avec
les choses et les événements suivant leur force et la vérité
qui est en eux. De partialité elle n'en a aucune, mais elle suit
les décrets du Suprême; elle élève certains,
et d'autres elle les abaisse ou les rejette loin d'elle dans l'obscurité.
Au sage elle donne une sagesse plus grande et plus lumineuse; à
celui qui a la vision, elle donne place à ses conseils; à
l'hostile elle impose les conséquences de son hostilités,
et elle conduit l'ignorant et le sot selon leur aveuglement. Dans chaque
homme elle répond aux différents éléments
de sa nature et les traite suivant leur besoin, leur impulsion et la réponse
qu'ils appellent, place sur eux la pression voulue ou les laisse à
leur liberté chérie pour prospérer dans les voies
de l'ignorance ou pour périr. Car elle est au-dessus de tout, n'est
liée par rien, attachée à rien dans l'univers. Pourtant
elle a plus que tout autre le cur de la Mère universelle,
car sa compassion est sans fin et inépuisable. A ses yeux tous
sont ses enfants et des parcelles de l'Unique, même l'asura,
le râkshasa, le pishâcha et ceux qui sont révoltés
et hostiles. Ses rejets sont simplement un ajournement, ses punitions
une grâce. Mais sa compassion n'aveugle pas sa sagesse ni ne détourne
son action de la ligne décrétée: car la vérité
des choses est son seul intérêt, la connaissance est le centre
de son pouvoir, et de construire notre âme et notre nature avec
la vérité divine est sa mission et son travail.
Mahâkâli est d'une autre nature. Non l'étendue, mais
la hauteur, non la sagesse, mais la force et l'énergie sont ses
pouvoirs particuliers. Il y a en elle une intensité écrasante,
une puissante passion de force d'accomplissement, une divine violence
s'élançant pour briser toute limite et tout obstacle. Sa
divinité entière bondit dans une splendeur d'action tempétueuse;
elle est pour la promptitude, l'opération immédiatement
efficace, le coup rapide et direct, l'assaut de front qui balaye tout
devant lui. Terrible est son visage pour l'asura, dangereuse et
impitoyable sa disposition envers ceux qui haïssent le Divin, car
elle est la Guerrière des mondes qui ne recule jamais devant la
bataille. Ne tolérant pas l'imperfection, elle traite rudement
dans l'homme toute mauvaise volonté et elle est sévère
pour ce qui est obstinément ignorant et obscur; son courroux est
immédiat et terrifiant contre la traîtrise, le mensonge et
la méchanceté; le mauvais vouloir est à l'instant
frappé par son châtiment. Elle ne peut tolérer dans
le travail divin l'indifférence, la négligence et la paresse
et elle fustige aussitôt, pour réveiller par la douleur,
si besoin est, le dormeur intempestif ou le traînard. Les impulsions
rapides, droites et franches, les mouvements sans réserve et absolus,
l'aspiration qui monte comme une flamme sont la marche de Mahâkâli.
Son esprit est indomptable, sa vision et sa volonté atteignent
haut et loin comme le vol de l'aigle, ses pieds sont rapides sur la voie
ascendante et ses mains se tendent pour frapper et secourir. Car elle
est aussi la Mère; son amour est aussi intense que son courroux
et sa bonté est profonde et passionnée. Lorsqu'il lui est
permis d'intervenir avec toute son énergie, elle brise en un instant,
comme des choses sans consistance, les obstacles qui immobilisent l'aspirant
ou les ennemis qui l'assaillent. Si sa colère est redoutable pour
l'hostile et la véhémence de sa passion pénible pour
le faible et le craintif, elle est aimée et adorée par le
grand, le puissant et le noble; car ils sentent que ses coups martèlent
et transforment en énergie et en parfaite vérité
ce qui est rebelle dans leur matière, redressent ce qui est faussé
et pervers et expulsent ce qui est impur ou défectueux. Sans elle,
ce qui est fait en un jour eût pu prendre des siècles; sans
elle, l'ânanda pourrait être vaste et grave ou bien
doux, tendre et beau, mais il perdrait la joie enflammée de ses
intensités les plus absolues. A la connaissance, elle donne une
puissance conquérante; elle apporte à la beauté et
à l'harmonie un mouvement élevé et ascendant, et
confère au lent et difficile labeur vers la perfection une impulsion
qui multiplie le pouvoir et raccourcit le long chemin. Rien ne peut la
satisfaire qui n'atteigne les extases suprêmes, les hauteurs les
plus sublimes, les buts les plus nobles, les perspectives les plus vastes.
Donc, avec elle est la force victorieuse du Divin et c'est par la grâce
de son feu, de sa passion et de sa rapidité que le grand accomplissement
peut prendre place maintenant au lieu de plus tard.
La Sagesse et la Force ne sont pas les seules manifestations de la Mère
Suprême; il y a dans sa nature un mystère plus subtil, sans
lequel la Sagesse et la Force seraient incomplètes et la Perfection
ne serait pas parfaite. Au-dessus d'elles est le miracle de l'éternelle
Beauté, secret insaisissable des harmonies, la magie imposante
d'un charme irrésistible et universel, d'une attraction qui attire
et lie les choses, les forces et les êtres, et les oblige à
se rencontrer et à s'unir afin qu'un Ananda caché puisse
jouer de derrière le voile et faire d'eux ses rythmes et ses formes.
Tel est le pouvoir de Mahâlakshmî et aucun aspect de la divine
Shakti n'est plus attrayant pour le cur des êtres incarnés.
Maheshwarî peut paraître trop calme, trop grande et trop distante
à approcher ou à contenir pour la petitesse de la nature
terrestre, Mahâkâlî trop rapide et redoutable à
supporter pour sa faiblesse; mais tous se tournent avec joie et ardeur
vers Mahâlakshmî. Elle jette le sortilège de la douceur
enivrante du Divin; être proche d'elle est un bonheur profond et
la sentir dans son cur fait de l'existence une extase et une merveille;
la grâce, le charme et la tendresse émanent d'elle comme
la lumière du soleil et partout où elle fixe son regard
merveilleux ou laisse tomber la beauté de son sourire, l'âme
est saisie, captivée et plongée dans les profondeurs d'une
félicité insondable. Magnétique est l'attouchement
de ses mains; leur influence occulte et délicate purifie l'esprit,
la vie et le corps, et là où elle presse ses pieds coulent
les flots miraculeux d'un Ananda qui ravit.
Et pourtant il n'est pas facile de faire face aux exigences de ce Pouvoir
enchanteur ou de conserver sa présence. L'harmonie et la beauté
des pensées et des sentiments, l'harmonie et la beauté dans
chaque mouvement extérieur, l'harmonie et la beauté de la
vie et de l'entourage, voilà ce qu'exige Mahâlakshmî.
Là où il y a une affinité avec les rythmes de la
félicité secrète du monde, une réponse à
l'appel de la toute-beauté, l'harmonie, l'unité et le flot
joyeux de beaucoup de vies tournées vers le Divin, dans cette atmosphère
elle consent à demeurer. Mais tout ce qui est laid, mesquin et
vulgaire, tout ce qui est pauvre, sordide et misérable, tout ce
qui est brutal et grossier empêche sa venue. Elle ne vient pas là
où l'amour et la beauté ne sont pas nés ou ne naissent
qu'à regret; là où ils sont mélangés
à des choses plus basses qui les défigurent, elle se détourne
bientôt pour se retirer, ou ne se soucie point de donner ses richesses.
Si, dans le cur des hommes, elle se trouve entourée d'égoïsme,
de haine, de jalousie, de malveillance, d'envie et de conflit, si la traîtrise,
l'avidité et l'ingratitude sont mêlées au contenu
du calice sacré, si la grossièreté de la passion
et le désir impur dégradent la dévotion, dans de
tels curs la Déesse gracieuse et magnifique ne s'attarde
pas. Un dégoût divin la saisit et elle se retire, car elle
n'est pas de ceux qui insistent ou font effort; ou bien, voilant sa face,
elle attend que le rejet et la disparition de cet amer poison diabolique
lui permettent d'établir à nouveau son heureuse influence.
Le dénuement et la sévérité ascétique
ne lui sont pas agréables, non plus que la suppression des émotions
les plus profondes du cur et que la répression rigide des
éléments de beauté de l'âme et de la vie. Car
c'est par l'amour et la beauté qu'elle place sur les hommes le
joug du Divin. Dans ses créations suprêmes, la vie est changée
en une riche uvre d'art céleste et toute existence en un
poème de délice sacré; les richesses du monde sont
assemblées et accordées pour un ordre suprême et même
les choses les plus simples et les plus ordinaires deviennent merveilleuses
par son intuition de l'unité et le souffle de son esprit. Admise
dans le cur, elle élève la sagesse au faîte
de l'émerveillement, elle lui révèle les secrets
mystiques de l'extase qui surpasse toute connaissance, elle répond
à la dévotion par l'ardent attrait du Divin, enseigne à
l'énergie et à la force le rythme qui garde harmonieuse
et mesurée la puissance de leurs actes et elle projette sur la
perfection le charme qui la fait durer à jamais.
Mahâsarasvatî est la puissance de travail de la Mère
et son esprit de perfection et d'ordre. La plus jeune des quatre, elle
est la plus experte en capacité d'exécution et la plus proche
de la nature physique. Maheshvarî trace les grandes lignes des forces
mondiales, Mahâkâlî actionne leur énergie et
leur impulsion, Mahâlakshmî révèle leurs rythmes
et leurs mesures, mais Mahâsarasvatî préside au détail
de leur organisation et de leur exécution, à la relation
des parties entre elles, la combinaison efficace des forces et l'exactitude
infaillible dans le résultat et l'accomplissement. La science,
l'art et la technique sont du ressort de Mahâsarasvatî. Elle
contient dans sa nature et peut toujours donner à ceux qu'elle
a choisis la connaissance intime et précise, la subtilité,
la patience, l'exactitude de l'esprit intuitif et de la main consciente
et le regard pénétrant du travailleur parfait. Cette Puissance
est la constructrice vigoureuse, infatigable, soigneuse et efficace, l'organisatrice,
l'administratrice, la technicienne, l'artisane et la classificatrice des
mondes. Quand elle entreprend la transformation et la reconstruction de
la nature, son action est laborieuse et minutieuse et, bien souvent, à
notre impatience elle semble lente et interminable; mais elle est persistante,
intégrale et sans défaut. Car sa volonté dans le
travail est scrupuleuse, vigilante et infatigable; se penchant vers nous,
elle voit et touche chaque détail, découvre chaque infime
défaut, lacune, perversion ou imperfection et considère
et pèse exactement tout ce qui a été fait et tout
ce qui reste à faire. Rien n'est trop petit ni trop trivial en
apparence pour son attention; rien ne peut lui échapper, si impalpable,
si déguisé ou caché que ce soit. Façonnant
et refaçonnant, elle élabore chaque élément
jusqu'à ce qu'il soit parvenu à sa forme vraie, mis à
sa place propre dans l'ensemble et qu'il accomplisse son but précis.
Dans sa constante et diligente organisation et réorganisation des
choses, son regard est à la fois sur tous les besoins et sur la
manière d'y faire face, son intuition sait ce qui doit être
choisi et ce qui doit être rejeté, et détermine avec
succès l'instrument propre, le temps propre, les conditions propres
et l'opération propre. Elle abhorre l'indifférence, la négligence
et la paresse, tout travail bâclé, inconsidéré
et équivoque, toute maladresse, tout à peu près et
tout raté, toute adaptation fausse, tout mauvais emploi des instruments
et des facultés; et de laisser un travail non exécuté
ou à demi exécuté est pénible et étranger
à sa nature. Quand son travail est achevé, rien n'a été
oublié, mal placé, omis ou laissé dans un état
défectueux; tout est solide, précis, complet, admirable.
Rien de moins qu'une parfaite perfection ne peut la satisfaire et elle
est prête à affronter une éternité de labeur
si cela est nécessaire à la plénitude de sa création.
C'est pourquoi de tous les pouvoirs de la Mère, elle est la plus
endurante avec l'homme et ses milliers d'imperfections. Douce, souriante,
proche et secourable, ne se détournant et ne se décourageant
pas aisément, persistant même après l'insuccès
répété, sa main soutient chacun de nos pas à
condition que nous soyons droits, sincères et que nous n'ayons
qu'une volonté; car elle ne tolère aucune duplicité
et son ironie révélatrice est impitoyable au drame, au cabotinage,
à l'illusion et à la prétention. Une mère
pour nos besoins, une amie dans nos difficultés, un conseiller
et un mentor constant et tranquille, dissipant par son éclatant
sourire les nuages de tristesse, de mauvaise humeur et de dépression,
remémorant sans cesse l'aide toujours présente, montrant
du doigt l'éternelle clarté du soleil, elle reste ferme,
calme et persévérante dans l'élan profond et continu
qui nous pousse vers l'intégralité de la nature supérieure.
Tout le travail des autres pouvoirs dépend d'elle pour sa perfection,
car elle assure la base matérielle, élabore les détails,
érige et rivette l'armature de la construction.
Il y a d'autres grandes Personnalités de la Mère divine,
mais elles étaient plus difficiles à faire descendre et
elles ne se sont pas mises en avant d'une manière aussi prononcée
dans l'évolution de l'esprit terrestre. Parmi elles sont des présences
indispensables à la réalisation supramentale; la plus indispensable
de toutes est la Personnalité de cette extase, cette béatitude
mystérieuse et puissante qui s'écoule du suprême Amour
divin, la Personnalité de l'Ananda qui seul peut remédier
au gouffre entre les hauteurs les plus sublimes de l'Esprit supramental
et les abîmes les plus profonds de la matière, de l'Ananda
qui tient la clef de la vie merveilleuse la plus divine et qui, même
maintenant, soutient depuis ses demeures cachées l'uvre de
tous les autres Pouvoirs de l'Univers. Mais la nature humaine, limitée,
égoïste et obscure est inapte à recevoir ces grandes
Présences ou à supporter leur action puissante. C'est seulement
quand les Quatre ont établi leur harmonie et leur liberté
de mouvement dans l'esprit, la vie et le corps transformés, que
ces autres pouvoirs plus rares peuvent se manifester dans le mouvement
terrestre et que l'action supramentale devient possible. Car, lorsque
toutes ces Personnalités sont rassemblées en elle et manifestées,
que leur action indépendante s'est changée en une unité
harmonieuse et qu'elles s'élèvent jusqu'à leurs divinités
supramentales, alors, la Mère est révélée
comme la Mahâshakti supramentale et apporte ici-bas de leur ineffable
éther ses transcendances lumineuses. La nature humaine peut être
changée en une nature divine dynamique parce que toutes les lignes
élémentaires de la conscience et de la force de vérité
supramentale sont accordées et que la harpe de la vie est prête
pour les rythmes de l'Éternel.
Si vous désirez cette transformation, placez-vous sans hésitation
ni résistance dans les mains de la Mère et de ses Pouvoirs
et laissez-la travailler sans entraves en vous.
Vous devez avoir trois choses: la conscience, la plasticité, la
soumission sans réserve.
Vous devez être conscient dans le mental, l'âme, le cur,
la vie et même dans les cellules de votre corps, conscient de la
Mère, de ses Pouvoirs et de leur action, car, bien qu'elle puisse
travailler et travaille en vous, même dans votre obscurité
et dans vos éléments inconscients et vos moments d'inconscience,
ce n'est pas la même chose que lorsque vous êtes dans une
communion vivante et éveillée avec elle.
Toute votre nature doit être plastique à son toucher, sans
questionner comme le fait le mental ignorant et suffisant, qui interroge,
doute, discute et qui est l'ennemi de sa propre illumination et transformation;
sans insister sur ses propres mouvements comme le vital dans l'homme insiste
en opposant avec persistance ses désirs récalcitrants et
sa mauvaise volonté à toute influence divine; sans élever
des obstacles ni se retrancher derrière l'incapacité, l'inertie
et le tamas, comme le fait la conscience physique de l'homme qui
s'attache à ses plaisirs dans la bassesse et l'ombre, se récrie
contre tout contact qui trouble sa routine sans âme, sa paresse
stupide ou sa somnolence apathique.
La soumission sans réserve de votre être intérieur
et extérieur produira cette plasticité dans tous les éléments
de votre nature; la conscience s'éveillera partout en vous par
une ouverture constante à la Sagesse, la Lumière, la Force,
à l'Harmonie et la Beauté, à la Perfection qui se
déversent d'en haut. Le corps lui-même s'éveillera,
unira enfin sa conscience, qui aura cessé d'être subliminale,
à la Force supraconsciente supramentale, sentira toutes les Puissances
de la Mère l'imprégner d'en haut, d'en bas et d'alentour
et tressaillira à l'Amour et à l'Ananda suprême.
Mais tenez-vous sur vos gardes et n'essayez pas de comprendre et de juger
la Mère divine avec votre petit mental terrestre qui aime à
soumettre même les choses qui le dépassent à ses normes
et à ses mesures, à ses raisonnements étroits et
à ses impressions sujettes à erreur, à son ignorance
agressive et creuse et à sa connaissance pleine de mesquinerie
et de suffisance. L'esprit humain, enfermé dans la prison de sa
demi-obscurité, ne peut suivre la liberté multilatérale
des pas de la divine Shakti dont la rapidité et la complexité
de vision et d'action dépassent la compréhension humaine
hésitante. Les mesures du mouvement de la Mère ne sont pas
les mesures de l'homme. Déconcerté par le changement rapide
de ses nombreuses et différentes Personnalités, par sa création
et sa destruction des rythmes, par ses accélérations et
ses diminutions de rapidité, par ses diverses manières d'agir
avec le problème de l'un et de l'autre, par son adoption ou son
rejet tantôt d'une ligne d'action et tantôt d'une autre, ou
par leur réunion simultanée, l'homme ne reconnaît
pas la manière d'agir de la Puissance suprême quand elle
s'élève en cercles à travers le labyrinthe de l'ignorance
vers la Lumière d'en haut. Ouvrez-lui plutôt votre âme,
et soyez satisfait de la sentir par la nature psychique, de la voir par
la vison psychique qui, seules, répondent avec droiture à
la Vérité. Alors la Mère elle-même illuminera,
à travers leurs éléments psychiques, votre esprit,
votre cur, votre vie et votre conscience physique et leur révélera,
à eux aussi, ses voies et sa nature.
Évitez également cette erreur du mental ignorant d'exiger
du Pouvoir divin d'agir toujours suivant vos notions grossières
et superficielles d'omniscience et d'omnipotence. Car votre mental exige
d'être impressionné à tout propos par le pouvoir miraculeux,
le succès aisé et la splendeur aveuglante; autrement il
ne peut pas croire que le Divin est ici. La Mère fait face à
l'ignorance; elle est descendue ici-bas et n'est pas toute là-haut.
Partiellement elle voile et partiellement elle dévoile sa connaissance
et son pouvoir; bien souvent, elle les retire de ses instruments et personnalités
et elle suit, afin de les transformer, la voie du mental qui cherche,
du psychique qui aspire, du vital qui combat, de la nature physique emprisonnée
et douloureuse. Il y a des conditions qui ont été posées
par une suprême Volonté; il y a de nombreux nuds emmêlés
qui doivent être défaits et ne peuvent être tranchés
brusquement. L'asura et le râkshasa contrôlent
cette nature terrestre en évolution et il faut leur faire face
et les conquérir selon leurs propres conditions et dans leur propre
fief et domaine, celui qu'ils ont conquis depuis longtemps. L'humain en
nous doit être conduit et préparé à surpasser
ses limites; il est trop faible et obscur pour pouvoir être élevé
soudain à un état qui le dépasse trop. La conscience
et la force divine sont là et font à chaque instant ce qui
est nécessaire suivant les conditions du travail; elles prennent
toujours la décision telle qu'elle est décrétée
et façonnent, au milieu de l'imperfection, la perfection qui doit
venir. Mais c'est seulement quand le Supramental est descendu en vous
que la Mère peut agir directement, en tant que Shakti supramentale
sur des natures supramentales.
N'écoutez pas votre mental, il ne reconnaîtra pas la Mère
même si elle est manifestée devant vous. Suivez votre âme
et non pas votre mental, votre âme qui répond à la
Vérité, non votre mental qui saute sur les apparences; confiez-vous
à la Puissance divine et elle libérera en vous les éléments
divins et façonnera tout en une expression de la Nature divine.
Le changement supramental est décidé et inévitable
dans l'évolution de la conscience terrestre; car cette conscience
n'a pas terminé son ascension et le mental n'est pas son sommet
final. Mais pour que le changement arrive, prenne forme et dure, il faut
qu'il y ait l'appel d'en bas avec une volonté de reconnaître
et non de repousser la Lumière quand elle vient, et d'en haut la
sanction du Suprême.
La Puissance qui s'entremet entre la sanction et l'appel est la Présence
et le Pouvoir de la Mère divine. Seule la Puissance de la Mère,
et non aucun effort ou tapasyâ humain, peut briser le couvercle,
déchirer le voile, façonner le vaisseau, et amener dans
ce monde d'obscurité, de mensonge, de mort et de souffrance, la
Vérité, la Lumière, la Vie divine et l'Ananda des
immortels.
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Sri Aurobindo
(Mère a aussi signé les lettres 4 et 5)
in "Sri Aurobindo parle de la Mère" pages 3-30
publié par Sri
Aurobindo Ashram - Pondichéry - Inde
diffusion by SABDA
ou
in "De la Grèce à l'Inde"
Éditions Albin Michel - Série "Spiritualités
Vivantes" format poche N° 22
pages 123-167
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