Pourquoi ce titre ? Que signifie-t-il ? a-t-on demandé,
et certains lecteurs d'Europe ont écrit non sans quelque nervosité
: "Expliquez-nous cet hiéroglyphe."
Plusieurs, pourtant, ont, par une facile induction d'euphonie, interprété
le nom d'
Arya dans le sens approximatif de "Revue Aryenne".
Ils y ont vu l'indication d'un genre spécial d'études, peut-être
aussi d'une tendance à rapprocher, en rappelant la grande origine
commune, les membres dispersés de la famille Aryenne, les pensées
d'Europe et celle de l'Inde, soeurs qui s'ignorent et se méconnaissent,
filles émancipées, filles ingrates, filles perdues de la
pensée mère oubliée.
Cela est fort bien, mais ce n'est point tout.
Arya, sans doute,
signifie Aryen. Mais qu'est-ce qu'un Aryen ? Quel sens donnaient à
ce mot les ancêtres ? On l'ignore aujourd'hui dans l'Inde à
peu près autant qu'en Europe. Car les Hindous modernes sont aussi
loin, hélas, des ancêtres que les philologues occidentaux.
Ceux-ci, jusqu'à ces derniers temps, ne voyaient dans le nom d'Aryen
qu'un terme ethnologique, assez indéfinissable d'ailleurs historiquement.
Ils commencent à reconnaître qu'à l'origine ce terme
marquait moins une différence de race que de culture.
Pour les Védas, les Aryens étaient ceux que réunissait
une commune aspiration, un même idéal de vie intérieure
et extérieure. En ce seul terme étaient résumés
les plus hautes tendances intellectuelles, les plus nobles sentiments
religieux de l'ancienne race.
Plus tard, il fut appliqué à un idéal éthique
et social défini, de vie disciplinée, de conduite droite,
de noblesse, de pureté, de courage, de franchise, de courtoisie,
de bienveillance, d'humanité, de compassion, de protection des
faibles, de libéralité, de désintéressement,
d'avidité pour la connaissance, de respect pour les savants et
les sages, d'accomplissement de tous les devoirs, et de perfection sociale.
Car tel était ainsi l'idéal combiné du Brahmane et
du Kshatrya. Tout ce qui s'écartait de cet idéal tout ce
qui apparaissait obscur, grossier, mesquin, sordide, faux ou méchant
était qualifié "non-aryen". En vérité
il n'y a pas de mot qui ait eu plus noble sens dans la langue humaine.
Aux premiers débuts de la philologie comparée, certains
érudits, s'efforçant de découvrir dans l'histoire
des mots la préhistoire des peuples, faisaient dériver celui-ci
de la racine
Ar, labourer. Dans leur hypothèse, les Aryens
Védiques furent nommés ainsi par les peuples du nord-ouest,
dont ils se séparèrent et qui, bergers et chasseurs, méprisaient
les travaux de l'agriculture. Faut-il dire que cette ingénieuse
hypothèse, que n'étaye aucune donnée positive, manque
de base sérieuse.
On peut cependant accepter, en lui donnant un sens symbolique, cette douteuse
étymologie. Quiconque cultive le champ intérieur que lui
a confié la Nature, quiconque ne laisse point inféconde
cette terre de plénitude, mais en arrache les mauvaises herbes
et travaille à lui faire produire son meilleur fruit, est par cela
même un Aryen.
Si le mot Arya n'était qu'un simple terme de race, une plus acceptable
étymologie pourrait le faire dériver de la même racine
Ar, signifiant aussi force ou courage, et prenant parfois le sens
de "combattre." Cette racine se retrouve dans le nom grec du
dieu de la guerre
Arès, et dans l'adjectif
Areios,
brave ou guerrier; peut-être même dans le mot
Arètè,
vertu, ayant, comme dans le latin
Virtus, le sens de force et de
courage physiques, et par extension celui de force, de vertu morale.
Symboliquement, l'Aryen était, en effet, le guerrier de l'esprit,
le combattant des guerres de la Sagesse. Car si la Sagesse est la connaissance,
c'est à dire la charité, la sympathie pour toutes les choses
et même pour les plus obscures, les plus misérables, les
plus laides en apparence - car l'Eternel Un est en elles toutes - elle
implique aussi le combat, la lutte, la guerre, pour l'intelligence qui
cherche à conquérir la lumière, et pour l'action
droite qui cherche à réaliser le divin : "Nous combattons
pour acquérir la sublime Sagesse," dit un livre ancien, "c'est
pourquoi l'on nous nomme guerriers."
Tout homme donc qui choisissant entre ce qui exprime ou bien contredit
la Loi de Vérité suprême, combat ainsi sans rien craindre
et sans jamais perdre courage; quiconque vit héroïquement,
ne redoutant aucune défaite, ne reculant devant aucun effort parce
qu'il est trop pénible pour lui, devant aucun sommet parce qu'il
est trop haut pour ses forces, devant aucune profondeur, devant aucune
immensité, devant aucune sublimité parce qu'elle confond
son esprit, celui-là est l'Aryen, le guerrier divin, le victorieux,
ou, selon un autre dérivé grec, l'
aristos, le meilleur,
l'homme noble par excellence.
Dans son sens fondamental,
Arya donc veut dire effort, victoire,
ascension.
L'Aryen est celui dont l'effort victorieux surmonte, au
dedans de lui comme au dehors, autour de lui, tout ce qui fait obstacle
au progrès humain. La conquête de soi est la première
loi de sa nature. Il triomphe de la matière et du corps : il
n'accepte point, comme l'homme ordinaire, leur joug d'inertie, de morte
routine et d'obscure limitation. Il triomphe des forces de vie despotiques
et rejette la tyrannie des impulsions brutales, des désirs avides
et des passions insatiables. Il triomphe de la pensée elle-même,
de ses habitudes héréditaires, de ses superstitions ignorantes,
de ses préférences, de ses préjugés. Il sait
être aussi souple et large par l'intelligence que ferme et droit
par la volonté; car en toutes choses il regarde la Vérité,
cherche la justice, sert le Progrès libérateur.
Il a pour but la perfection. Ce n'est donc pas pour détruire, mais
pour construire et pour ennoblir qu'il combat, pour rendre accompli tout
ce qu'il conquiert. Sans doute il sait que les choses d'en bas doivent
être surpassées, surmontées sans cesse; mais il sait
aussi que celles d'en haut n'ont point d'autre rôle que de se répandre
en amour, en lumière, en joie sur toute la terre. Il ne s'épargne
aucun labeur d'esprit ou de corps, aucune fatigue pour aller puiser aux
trésors divins afin d'en enrichir son peuple et sa race. Guerrier,
il combat sans cesse pour la venue du divin Royaume au dedans de lui et
parmi les hommes.
L'Aryen parfait devient l'
Arhat. Il aspire et atteint jusqu'à
cette Conscience suprême pour laquelle les mondes ne sont qu'un
jeu d'enfant, mais qui, surpassant l'univers, le remplit aussi, immanente
et transcendante à la fois. En cette Conscience, étranger
à toute limitation, il devient un avec toutes les choses. Et comme
elle accepte en chaque être et en chaque chose, pour le travail
de la connaissance et de la création multiple, pour le jeu de l'Être
infini, les limites du moi individuel, il les accepte aussi en lui-même.
Sa sagesse, son amour, sa joie sont assez puissants pour qu'il consente
au sacrifice qui est celui du Divin lui-même, en se soumettant à
ce qu'il surpasse. Ainsi représente-t-il dans le monde, et dans
tous les mondes de l'être, unifiés en lui, l'Unique auquel
il s'est identifié.
C'est ce grand idéal à la fois moral, intellectuel, spirituel
et social que symbolise le titre de la Revue. Ce titre est un programme
qui doit redevenir celui du présent comme il fut celui du passé.
Car si le terme d'
Arya en qui se résume cet idéal
a pu prendre pour les philologues la valeur d'un terme de race, c'est
parce qu'une race, en effet, a été formée par cet
idéal; une race composée, sans doute, des représentants
de peuples bien différents; une race d'hommes choisis parmi les
hommes de toutes races, et non point née comme les autres de la
chair et du sang, de la terre, mais de l'esprit : une race élue.
Or, ce n'est point une seule fois que s'est accompli ce prodige. Chaque
aurore, chaque grand matin de l'histoire l'a vu se renouveler. Chaque
grand cycle humain a vu naître ainsi, sur l'un ou l'autre point
de la terre, le peuple de ceux qui, dispersés d'abord parmi les
nations du passé, vinrent, en commun préparer le berceau
des nations futures, et fondèrent, au jour des grandes destructions,
l'arche de refuge, l'arche de salut du progrès humain.
Après tant de siècles et de millénaires, une fois
de plus ces jours viennent. C'est l'heure des Aryens, de nouveau, des
Aryens nouveaux. Qu'ils se lèvent!
Voilà ce que veut dire le titre de notre Revue.