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Pavitra
(1894-1969)

[De son vrai nom: Philippe Barbier Saint-Hilaire - "Pavitra", nom sanscrit donné par Sri Aurobindo, signifie "le Pur"]

Une causerie aux élèves de l'école de l'Ashram
8 août 1964


[Autobiographie]


Combien il est difficile d'être tout à fait sincère !

Je m'efforcerai de mon mieux d'être exact, mais ce que je vous dirai n'est que les grandes lignes du Voyage. Je ne pourrai pas vous communiquer toutes les démarches de la pensée, tous les mouvements du sentiment, toutes les expériences mêmes, extérieures ou intérieures.

Je ne sais pas si vous avez vu un film sur la guerre: La Première Guerre mondiale. Vous en avez vu sur la dernière, mais peut-être savez-vous la différence principale enfin, pratique - pour ceux qui étaient engagés dans la guerre. Dans la première, une grande partie des quatre années qu'elle a duré a consisté en ce qu'on appelle une guerre de tranchées, c'est-à-dire que les deux armées en présence étaient retranchées en face l'une de l'autre. Elles avaient creusé des tranchées, des abris, et vivaient jour après jour, nuit après nuit, dans des conditions souvent difficiles, dangereuses quelquefois, mais pas toujours, avec, comme ennemis, le froid, la pluie, bien entendu quelquefois les obus ennemis, les balles, la maladie, l'ennui.

Eh bien, j'étais à ce moment-là un jeune officier. J'avais juste vingt ans en 1914- J'avais accompli (je suis obligé de parler de moi puisque vous m'avez demandé de parler de moi !), j'avais accompli des études scientifiques. J'étais à l'École polytechnique, j'avais fait une année d'École polytechnique, et comme tous les jeunes gens de l'École polytechnique, j'avais subi un entraînement militaire avant même l'École; si bien que, en 1914, quand la guerre a éclaté, au mois d'août, je devais aller faire un stage comme simple soldat dans un régiment d'artillerie, après une année d'école où nous faisions surtout des mathématiques, de la physique et de la chimie.

La guerre a été déclarée juste la veille du jour où je devais partir rejoindre mon régiment. J'ai donc rejoint mon unité, mais les conditions étaient différentes et on nous a mis tout de suite sous pression - cela voulait dire faire du cheval quatre ou cinq heures par jour. C'était considéré alors comme le meilleur entraînement à la guerre. Il y avait de la théorie... Enfin, c'était assez sévère, et au bout de quelques mois, à cause de cet entraînement militaire que nous avions subi, on nous a nommés sous-lieutenants - sous-lieutenants d'artillerie et, au mois d'octobre, fin octobre, quatre mois après la déclaration de guerre, nous sommes partis sur le front. Moi, j'étais dans une batterie, jeune officier, dans une batterie de 105, c'est-à-dire ce que les Anglais appellent un canon de quatre pouces (four inch gun). C'était un nouveau matériel à tir rapide dont la France était très fière... Intéressant.

Eh bien, à ce moment-là, je ne vous cacherai pas que j'étais un jeune homme qui avait exactement les préoccupations d'un jeune homme ordinaire de son âge. J'étais comme tous mes camarades. J'avais les mêmes préoccupations, les mêmes intérêts que ceux qui m'entouraient. J'aimais les études. J'aimais en général ce que je faisais parce que j'aimais mieux l'aimer que de ne pas l'aimer! - ça vaut mieux dans la vie (rires) -, mais quand je regarde mon passé, je ne peux pas dire que j'avais des aspirations spirituelles. J'avais été élevé dans la religion catholique - cela ne m'avait pas intéressé particulièrement. Je ne m'étais jamais posé de questions, à vrai dire. Eh bien, pendant la guerre, nous avions par moments ce qu'on appelle des coups durs, des moments difficiles, mais par moments aussi beaucoup de loisirs qu'il fallait occuper.

Je ne sais comment - probablement était-ce le doigt de la destinée -, j'ai commencé par étudier quelques livres sur ce que l'on appelle les « phénomènes psychiques », c'est-à-dire les phénomènes que la science de ce moment-là n'étudiait pas du tout, qu'elle repoussait, considérait comme hors de son domaine, comme extrascientifiques.

Il y avait toutes sortes de choses... Il y a la télépathie, la clairvoyance, tous les phénomènes des médiums (je ne sais pas si vous avez entendu parler de cela), toutes ces choses... même, si vous voulez, le pendule, la divination - tout ce qui est un peu en bordure de la science. Je l'ai abordé avec un esprit scientifique, simplement pour m'informer, en me disant : « Tiens ! Il y a là tout un domaine que la science n'étudie pas ! » Pourquoi ? On ne sait pas. Je n'ai jamais pratiqué, je ne me suis jamais intéressé aux expériences pratiques de médiums... sur l'avenir... sur tout cela. Ce n'est pas ce qui m'intéressait, c'était la possibilité de ces phénomènes, leur existence. Est-ce qu'ils existent ? Est-ce qu'ils sont vrais ? Est-ce qu'ils sont faux ? Pourquoi la science ne les étudie-t-elle pas ?... Ce n'est pas que je désirais les acquérir ni savoir l'avenir, ni ce qui me concernait, non !

Puis, peu à peu, de livre en livre, j'ai été amené à lire ce qu'on appelle des livres d'occultisme en Europe. On comprend beaucoup de choses... Je ne vous citerai pas les noms d'auteurs. Enfin, tout ce que l'on pouvait lire sur le sujet, je l'ai lu : ce que l'on appelle la magie - pas la sorcellerie, cela ne m'intéressait pas -, mais la magie, la possibilité, justement, de manier certaines forces, de prouver leur existence; et puis, alors, passant au Moyen Age (parce que naturellement quand on étudie l'occultisme, on est obligé de se tourner vers le moment où l'occultisme a fleuri), la Kabbale, les sociétés secrètes, initiatiques, la tradition hébraïque, justement la Kabbale, l'alchimie, les alchimistes (au sens spirituel, c'est-à-dire la transformation de la nature), puis les occultistes modernes - la porte sur l'Inde.

Je dois dire que c'est la théosophie qui m'a ouvert la porte de l'Inde et en cela je lui suis extrêmement reconnaissant - d'abord, en Europe, surtout à cette époque, il n'y avait pas grand-chose d'autre. C'est la théosophie qui a traduit beaucoup des livres sacrés de l'Inde et qui a mis à la portée, on pourrait presque dire à la mode (enfin ce n'était pas encore une question de mode), qui a mis à la portée de l'intellect occidental la réincarnation, le Karma, la perfection sur terre, l'idéal du jîvanmoukta - cela existe dans la théosophie.

Eh bien, pour moi, autant que je me souvienne, quand je me suis trouvé en présence de la réincarnation et du Karma, cela m'a semblé tout à fait... cela va de soi. Il n'y a pas besoin de discuter. Jamais une seconde, dès le moment où j'ai vu ces idées de réincarnation et de Karma, jamais je ne les ai discutées, je les ai adoptées comme une partie de moi-même. Cela me paraissait évident. Je savais d'ailleurs que l'on ne pouvait pas le prouver, par conséquent ce n'était pas la peine de discuter : ou bien on l'admettait, ou bien on ne l'admettait pas.

Alors, avec ces idées de l'Inde, je suis entré dans une nouvelle phase, celle du... (comment... ?) de l'aspiration à la perfection spirituelle. N'est-ce pas, il y a deux moyens d'étudier, par exemple les religions de l'Inde; l'une est de l'extérieur (comme le font généralement les Occidentaux, les Français) sans y participer, sans les vivre; alors on étudie l'Inde comme on étudie, ma foi, une colonie d'abeilles ou de fourmis. On rapporte ce qu'ils pensent, ce qu'ils font. Mais l'autre, et la seule qui m'intéressait, c'était, eh bien, de la vivre - de la comprendre d'abord et puis de la vivre. C'était l'idéal de perfection réalisable par l'homme dans les temps, dans les existences successives, qui vraiment me plaisait, me semblait à la fois exact et digne d'être vécu.

Mais la guerre se déroulait pendant ce temps-là. Pendant deux ans, j'ai été sur ce qu'on appelle le front, passant d'un endroit à l'autre, toujours dans l'artillerie, dans les 105. Et puis, pendant à peu près deux années aussi, j'ai été à l'état-major d'une armée - à l'état-major comme officier de renseignements d'artillerie où j'avais un travail, presque un travail de bureau, mais qui comportait beaucoup d'intérêt, parce qu'il s'agissait de réunir toutes les informations que l'on avait pour les donner à l'artillerie d'une armée (une armée comprenait un nombre variable de corps d'armée, chaque corps d'armée comprenait deux ou trois divisions, les divisions comprenaient deux brigades, et une brigade comprenait un certain nombre de régiments, donc un certain nombre de milliers d'hommes, si bien qu'un corps d'armée représentait, ma foi... cent, deux cent mille hommes sur le front, avec une quantité considérable d'artillerie, une dizaine ou une quinzaine d'escadrilles d'avions). Il s'agissait d'étudier, de réunir, de scruter, de passer au crible tout ce que l'on pouvait réunir comme renseignements. Et en même temps, j'avais un travail... un travail humain de contact avec les unités - c'est-à-dire les unités sur le front -, avec les visiteurs, avec les étrangers, parce que, à partir d'un certain moment, nous avons eu des Américains en quantité. Il y avait des Anglais aussi.

Mais tout le temps libre que j'avais (il n'y en avait pas beaucoup, on était très occupé), je le consacrais, souvent tard dans la nuit, à la lecture. Et de plus en plus ces idées prenaient possession de moi, c'est-à-dire que je m'y donnais, je m'y consacrais. Et en quelques années... Je peux dire que c'est à partir de 1917, par conséquent en deux ans, mon point de vue a changé complètement. J'étais, je ne peux pas dire matérialiste parce que je n'avais pas d'opinion sur le sujet; j'étais, comme je vous l'ai dit, un jeune homme qui avait reçu une éducation scientifique logique, stricte, mais qui ne s'était jamais posé de questions sur ces sujets, et une fois qu'ils ont occupé ma pensée, mes sentiments, eh bien, je me suis donné à eux complètement.

En 1918, il y a eu en France une épidémie de ce que l'on appelait à ce moment-là la grippe espagnole ou l'influenza... une épidémie qui a duré assez longtemps et qui, dans le monde entier, a tué (j'ai vu récemment -un travail à ce sujet) vingt millions de personnes, qui sont mortes de la grippe. Eh bien, j'ai eu cette maladie juste au moment de l'armistice, c'est-à-dire en novembre 1918. J'étais sur le front, on venait de percer le secteur allemand et on marchait sur l'Allemagne. C'est dans les lignes allemandes que j'ai attrapé cette influenza. Mais ce n'était pas spécial à l'Allemagne, tout le monde l'avait, tous les pays.

Ce moment-là, je puis dire que c'était la date décisive de ma vie. A l'hôpital de campagne, c'est-à-dire sur le front, sous des tentes où j'étais, les malades mouraient. Tous les matins, il y en avait trois ou quatre qui étaient morts. Alors, je me souviens bien de cette idée très forte qui m'a enlevé toute peur de la mort : c'est le don - le don de moi, de moi-même - pour que la destinée, ma destinée spirituelle s'accomplisse, quelle qu'elle soit, avec l'offrande de ma vie si je devais mourir vraiment, sincèrement. Et, si je devais vivre : eh bien, la consécration au Divin.

J'avais donc vingt-quatre ans - un peu plus de vingt-quatre ans. Après cela, j'ai été démobilisé assez rapidement et il a fallu reprendre les études. Je l'ai fait pour accomplir quelque chose qui avait été commencé, sans grand enthousiasme; mais enfin, je n'avais pas autre chose à faire.

J'ai donc terminé l'École polytechnique, l'École des Ponts et Chaussées, et j'ai été nommé jeune ingénieur à Paris. Alors là, le sentiment très fort que je ne pouvais plus vivre cette vie-là s'est emparé de moi. N'est-ce pas, c'était une vie de... En elle-même, elle n'avait rien qui aurait dû me repousser. C'était une vie d'ingénieur, avec pas mal de travaux intéressants - toute une section de la Seine, en particulier Paris était dans ma juridiction avec tout ce que cela comporte de travaux neufs, de réparations, toutes ces choses -, mais (comment puis-je dire ?) j'en avais par-dessus la tête, c'est-à-dire que cela ne m'intéressait pas; je le faisais parce qu'il fallait le faire, mais je n'y étais plus.

Et alors, en 1920, j'ai pris la décision de quitter cette vie et de me consacrer à la recherche de mon instructeur spirituel, de mon gourou. Je savais... (je «savais», enfin c'était pour moi une certitude) que ma vie serait une vie de réalisation spirituelle, que rien d'autre ne comptait pour moi et que quelque part sur terre, sur TERRE, devait exister celui qui pourrait me donner... me conduire vers la lumière.

Cela au début de 1920, dans les premiers mois de l'année. J'ai continué pendant quelques mois avec des difficultés intérieures croissantes, et, finalement, j'ai demandé à être mis en congé. Vous comprenez que j'avais contre moi toute ma famille. C'est normal. J'avais des parents, un père, une mère, un frère. Ni l'un ni l'autre ne comprenaient ce que je faisais, ni pourquoi je le faisais. Mon père aurait bien compris, il comprenait très bien, il m'avait suivi... il m'avait suivi autant qu'il pouvait le faire - c'est-à-dire qu'il avait cherché à comprendre le pourquoi de mes actions et il m'accompagnait de sa sympathie. Mais il disait : « Eh bien, non, voyons ! Si ces choses-là t'intéressent, ces phénomènes psychiques, ça va bien, tu peux... Si tu veux, je te donnerai tout ce qu'il faut pour que tu puisses devenir un médecin et étudier cela comme un médecin les étudie. Pour cela, tu feras des études de médecine, le temps nécessaire, et tu pourras étudier ces phénomènes avec toute la connaissance et la méthode d'un docteur en médecine. »

Mais ce qu'il ne pouvait pas comprendre, c'est que je voulais VIVRE cette vie.

« Mais non, il ne faut pas être engagé; parce que tu perds ton esprit critique. Tu ne peux pas arriver à connaître la vérité si tu adoptes, si tu acceptes une idée et que tu essaies de la mettre en pratique. »

Voilà le genre de difficultés que j'ai rencontrées chez moi. Mais c'était... Je peux dire que j'étais un peu fanatique comme tout débutant. Par exemple, je ne vous ai pas dit que, sur le front, comme j'étais jeune officier, j'étais chargé de la popote, c'est-à-dire de la cuisine des officiers. C'est moi qui commandais le menu au cuisinier et qui avais la bourse. Eh bien, j'étais devenu végétarien (rires) avec beaucoup de conviction... Être végétarien, sur le front, dans une popote d'officiers français, je vous assure que ce n'était pas commode (rires)... pas commode ! je faisais rire tout le monde, ou bien alors on avait un peu pitié de moi et l'on souhaitait que je revienne un peu à la bonne raison, à l'avis traditionnel des Français sur la nourriture. Je ne vous cacherai pas que, avant la guerre, il m'arrivait de boire - de boire du vin, de boire des choses comme les jeunes gens de mon âge. Je n'avais pas une propension particulière à la boisson, mais enfin le vin est pour les Français quelque chose de tout à fait normal. Il ne faut pas voir cela tout à fait mal. Si je vous dis cela, ce n'est pas pour que vous le regardiez avec... (comment vais-je dire ?) ce que votre tradition a mis en vous et que vous disiez : « Oh ! ce devait être un très mauvais sujet » - parce que quelqu'un qui boit du vin, pour les Indiens, est en général un très mauvais sujet. Je ne cherche pas à me noircir, ni à... N'est-ce pas, je vous ai dit la vérité.

Donc, j'étais un peu fanatique et j'étais prêt à tout briser pour quitter cette vie.

Alors, il s'est présenté une occasion. J'avais des amis qui partaient pour l'Extrême-Orient, c'est-à-dire pour le Japon, et j'ai décidé de partir avec eux. Cela me rapprochait. Pour moi, je ne faisais pas une très grande différence entre le bouddhisme, l'hindouisme - n'est-ce pas, les mêmes spiritualités animent toutes ces religions de l'Inde. Je suis parti donc au Japon. Je suis parti, non pas comme ingénieur mais comme simple particulier; alors il a fallu gagner sa vie là-bas, ce n'était pas très commode. Ce n'est pas très commode dans un pays d'Asie comme le Japon qui ne cherchait pas à prendre des étrangers sauf, comme en Inde actuellement, ceux qui ont une réputation, ou bien ceux qui apportent de l'argent ou qui sont soutenus par des sociétés financières. Je n'avais ni l'un ni l'autre.

Mais enfin, après certaines péripéties, pas mal de difficultés, une vie un peu dure, je suis resté au Japon quatre ans. Beaucoup d'expériences, l'étude du bouddhisme, surtout du bouddhisme zen, la vie dans les temples, le travail dans les laboratoires et, chez moi, le soir, la poursuite de mes études. Mes études, c'étaient des études sur la spiritualité indienne, japonaise, chinoise. Des alternances de lumière et d'obscurité, de marche en avant et de stagnation - toutes les difficultés que rencontrent ceux qui cherchent la lumière, et qui la cherchent seuls, ou du moins seuls en apparence.

Puis une délégation de moines mongols, lamas, vient au Japon et visite les laboratoires, les usines où je travaillais. J'entre en contact avec eux - parce que c'est toujours l'Asie et l'Asie Centrale, qui, au point de vue lieu, centre, faisait converger la recherche sous le faîte des Himâlaya du Nord ou du Sud - le Tibet, les Himâlaya Et j'ai vu là une occasion. Je me suis demandé si ce n'était pas une indication pour aller au Tibet. J'ai fait leur connaissance. Ce n'était pas très commode de parler avec eux parce que nous n'avions aucune langue commune. Il y avait un officier de l'ancienne armée russe qui était mongol, qui ne connaissait même pas l'anglais ni le chinois. Et il y avait sa femme qui connaissait le chinois et l'anglais. Alors, par cet intermédiaire, nous pouvions causer. Ce n'était pas très commode !... Mais, peu à peu, la possibilité s'est révélée d'aller vivre quelque temps dans leur monastère, dans cette lamaserie. Il fallait traverser la Chine du Nord, aller jusqu'à ce que l'on appelle la Mongolie-Extérieure, c'est-à-dire la Mongolie qui était sous la suzeraineté chinoise. C'était en 1924. Bref, je suis parti avec un lama mongol qui était un homme plein de bon sens, ouvert. J'ai appris le mongol pendant ce temps-là parce qu'il fallait bien parler un peu avec lui. Je me suis mis au mongol. Comme c'était difficile de trouver des livres pour apprendre le mongol ! Et je suis parti à travers la Chine du Nord, Pékin... Je ne vous parle pas des expériences, des aventures, de tout cela, n'est-ce pas, je n'ai pas le temps, mais mon attitude était à peu près la suivante : « Je sais que je suis en marche vers la Vérité, vers celui qui m'apportera la Vérité. Je ne sais pas où il est, je ne sais pas comment l'atteindre. Ce que je puis faire, c'est de rester complètement attentif et ouvert à tout signe que je pourrai percevoir. Si je vois qu'une porte s'ouvre dans une direction, je m'y engagerai. Si je ne vois rien, eh bien, je resterai, j'attendrai. » Et même maintenant, je crois que c'était une bonne attitude.

Je suis donc parti. Il a fallu traverser la Chine du Nord et arriver dans un monastère où il n'y avait que des lamas tibétains. Je suis resté là neuf mois -- tout un hiver, un hiver dans un pays où il fait froid (mais enfin, je ne peux pas dire que j'aie souffert du froid). C'était bien protégé, complètement isolé de tout contact. Je n'ai pas vu un Européen pendant ces neuf mois, quelques Chinois - des marchands -, et puis des Mongols. C'était, à certains moments, assez dur. On était replié, livré à soi-même avec des luttes, des périodes de crise.

Mais ce qui dominait, c'était : « Mon Dieu, si je savais seulement ce que je dois faire sur la Terre - quoi que ce soit, que ce soit de balayer la rue, eh bien, je le ferais avec joie. Mais qu'est-ce que j'ai à faire sur la Terre ?... » Et, n'est-ce pas, il y avait déjà trois ans, quatre ans que cela durait. Qu'est-ce que je dois faire sur Terre ? Où est-ce que je trouverai l'indication claire ?

Je savais à ce moment-là déjà l'existence de Sri Aurobindo et de la Mère par des amis communs. J'avais même, avant de quitter la France, eu entre les mains un numéro de l'Arya français. Je l'avais regardé. Je dois dire que cela n'avait pas attiré mon attention d'une façon particulière. J'avais lu le contenu. J'avais dit : « Oui, c'est intéressant. » Mais ce que je voulais, c'était le contact de quelque chose. Il y avait, oui, il y avait là les premiers chapitres de La Vie Divine, et puis des études sur la sagesse éternelle. J'avais regardé cela. C'était vraiment intéressant. Mais cela ne m'avait pas touché plus qu'autre chose, je vous le dis franchement.

Quand j'étais au Japon... J'y suis venu juste peu de temps après que la Mère l'eut quitté. C'était en 1920 et Mère l'avait quitté quelques mois auparavant. J'ai donc entendu parler d'Elle. J'avais des amis communs. J'ai été intéressé par ce que l'on m'avait dit d'Elle, beaucoup. Et c'est pourquoi j'ai décidé d'écrire. Alors, j'ai écrit à Pondichéry - je n'ai jamais eu de réponse (rires) ! jamais. J'ai écrit deux fois. Pas de réponse. Je crois qu'à ce moment-là, on ne répondait pas beaucoup aux lettres ! Peut-être... J'espère que l'on répond un peu plus maintenant (rires).

Ainsi, après cet hiver en Mongolie, un peu sévère, j'ai senti très nettement que cette expérience était terminée et que je devais aller autre part. Où ? Eh bien, dans l'Inde. Le moment pour moi était venu d'aller en Inde. Où ? Ça, je ne savais pas. Puisque je revenais du Japon, je devais donc me diriger quelque part. Alors, pour les autres, pour la famille, pour les amis, j'ai dit : « Je rentre en Europe en passant par l'Inde. » Mais en moi-même, je savais que je resterais en Inde. Mais je ne pouvais pas le dire parce que l'on m'aurait dit : « Où iras-tu ? - Oh ! mais je ne sais pas. » N'est-ce pas, je n'avais rien de matériel à quoi je puisse accrocher ma certitude intérieure, sinon que : « C'est dans l'Inde que je dois trouver ce que je cherche. » C'est tout.

J'ai quitté. Je suis reparti. Je suis passé par l'Indochine où mon frère était ingénieur des télécommunications, c'est-à-dire des réseaux de T. S. F. de l'Indochine. Je suis resté un mois là, puis je suis arrivé à Ceylan en passant par le sud. Je suis arrivé à Ceylan avec l'Inde devant moi, la porte de l'Inde.

Alors, où vais-je aller ? Pondichéry est le plus près : je vais à Pondichéry. Mais je ne sais pas l'accueil que j'y aurai. Je ne sais même pas si je serai reçu. Je n'ai pas eu de réponse à mes lettres. Je vais à Pondichéry parce que c'est le point le plus près. Après ? Eh bien, nous verrons. Je pourrai aller peut-être à Adyar qui n'est pas loin... peut-être ! Je verrai.

Cette attitude intérieure était toujours la même : voir si une porte allait s'ouvrir.

J'ai attendu quinze jours à Ceylan parce que le trafic ferroviaire de l'Inde était interrompu par des inondations (voyez, ça arrive encore maintenant). Les chemins de fer étaient coupés; et pendant trois semaines je suis resté à Colombo. Puis je suis arrivé à Pondichéry un matin, par le train. Je suis descendu à l'Hôtel de l'Europe, et immédiatement je suis venu à l'Ashram. A ce moment-là, Sri Aurobindo habitait dans la chambre où Anilbaran est maintenant, vous le savez.

Donc, j'ai demandé si je pourrais être reçu par Sri Aurobindo.

A ce moment-là, Sri Aurobindo recevait encore, voyait encore ses disciples. Il a accepté de me recevoir. Je lui ai expliqué quelle était ma démarche, ce que je cherchais, pourquoi j'avais quitté l'Europe et pourquoi je venais en Inde, et ce que j'espérais y trouver.

C'est moi qui ai parlé le premier jour.

Il m'a dit de revenir le lendemain. Le soir, j'ai été reçu par Mère. De Mère, je me rappelle... Je me rappelle surtout ses yeux, ses yeux de lumière. Je lui ai répété, peut-être un peu brièvement, mon histoire. Elle m'a dit quelques mots, et puis je suis retourné à mon hôtel. Je me rappelle avoir fait une promenade sur le cours Chabrol et on m'a dit : « Voilà ! Ce sont des swadéshî
qui sont là », c'est-à-dire des gens qui étaient habillés en blanc et qui étaient des membres de l'Ashram. Il n'y en avait pas beaucoup. Ils étaient combien ?... A peu près douze ou quinze.

Le lendemain matin, je suis revenu et Sri Aurobindo m'a reçu. Et c'est Lui qui a parlé. Il m'a dit que ce que je cherchais... Évidemment, je lui avais exposé mon désir de libération, je lui ai dit que c'était cela que je cherchais, non pas tant la libération des renaissances mais la libération... la libération du moi, de l'ego, de l'ignorance et du péché, du mensonge, de tout ce qui fait la vie humaine ordinaire. C'était... la libération, môksha, c'était mon idéal. Je ne le plaçais pas dans un autre ciel. Je ne désirais pas particulièrement éviter la souffrance. Mais c'était le poids de l'ignorance, du mensonge, de la laideur, tout cela; et plus encore que d'éviter quelque chose, c'était quelque chose de positif que je cherchais -je cherchais plutôt la lumière, pas tant à éviter la souffrance, la fin de la souffrance ni la fin du mensonge, mais la lumière, la connaissance, la vérité.

Alors, Il m'a dit que ce que je cherchais, quelques personnes en Inde pourraient me le donner, mais qu'ils n'étaient pas d'un abord facile, surtout pour un Européen. Et puis, il a poursuivi ainsi - que, LUI, considérait ce que je cherchais (c'est-à-dire cette union avec Dieu, la réalisation du Brahman) d'abord comme un premier pas, une étape nécessaire; mais que ce n'était pas tout, qu'il y en avait une deuxième : c'était la descente du pouvoir du Divin dans la conscience humaine pour la transformer; et que c'était cela que Lui, Sri Aurobindo, essayait de faire.

Et Il m'a dit : « Eh bien, si vous voulez essayer, vous pouvez rester. » je suis tombé à ses pieds. Il m'a donné sa bénédiction et c'était fini. N'est-ce pas, c'était toute une page de ma vie tournée. La recherche... la recherche de la source de lumière, la recherche de Celui qui devait me conduire à la vérité était terminée. Quelque chose d'autre commençait... c'est-à-dire la réalisation, mettre en pratique. Mais cette fois-ci, j'avais trouvé Sri Aurobindo, j'avais trouvé mon gourou.

Voilà comment je suis venu ici.

Comme je vous l'ai dit, j'ai été accepté. Il n'y avait pas d'Ashram alors. Il y avait quelques maisons qui appartenaient à Sri Aurobindo, et Mère s'occupait surtout de Sri Aurobindo - un peu des disciples, mais chacun était plus ou moins laissé à lui-même. L'Ashram a pris naissance une année après, en 1926. J'ai donc eu le privilège immense de voir Sri Aurobindo tous les jours, de l'écouter, de l'entendre tous les jours répondre aux questions que nous lui posions. Mais ça, c'est autre chose et je ne vous en parlerai pas aujourd'hui. Si ! J'ai quelque chose à vous dire... Si vous me permettez de vous donner un conseil que l'expérience m'a enseigné, je vous dirai que ce qui importe, c'est de vous donner entièrement à ce que vous faites. Quoi que ce soit que vous fassiez, faites-le complètement, ne le faites pas à moitié. Et puis, essayez de faire quelque chose qui vous intéresse. Si vous avez le choix d'un métier, d'une occupation à faire, eh bien, faites ce qui vous attire, ce que vous aurez plaisir à faire, ne cherchez pas une petite vie facile dans laquelle vous serez à l'abri, où vous n'aurez pas trop d'ennuis, pas trop de soucis, pas trop de travail. Ce n'est pas cela qui est important. Ce qui est important, c'est de faire quelque chose qui vous intéresse, auquel on peut se donner complètement. Et si vous le faites, eh bien, vous serez toujours conduits, parce que, maintenant, en regardant ma vie avec la perspective que donne, ma foi, l'âge, je vois que depuis le début, tout ce que j'ai fait, même les bêtises - et il y en a eu -, même les bêtises, même les erreurs, eh bien, tout cela... derrière tout cela, il y a eu la Main... la Main protectrice, directrice, qui m'a guidé. Et qu'au fond, finalement même, tout ce que j'ai fait, toutes mes expériences (ce n'est pas pour les justifier), mais tout cela avait un sens. Et je suis finalement arrivé où je devais arriver.

Voilà, je vous remercie.

Pavitra [Philippe Barbier de Saint-Hilaire]

Pondichéry, le 8 août 1964.

in "Conversations avec Pavitra", pages 1-15
Collection "L'expérience Psychique"
Librairie Arthème Fayard

aussi dans un fascicule
publié par Sri Aurobindo Ashram, Pondichéry, 1969
avec une photo de Pavitra [celle sur ce site]


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