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L'heure de Dieu
par Sri Aurobindo
(vers 1918)
Il y a des moments où l'Esprit se meut parmi les hommes, où
le souffle du Seigneur se répand sur les eaux de notre être.
Il en est d'autres où il se retire et abandonne les hommes à
leurs actes, dans la force ou la faiblesse de leur propre égoïsme.
Les premiers sont des périodes où même un léger
effort suffit à produire de grands résultats et à changer
la destinée, les autres sont des espaces de temps où un grand
labeur n'apporte que de maigres résultats. Il est vrai que ces moments-ci
peuvent préparer les premiers; comme la fumée légère
du sacrifice montant vers le ciel, ils peuvent appeler ici-bas la pluie
de la munificence divine.
Infortunés, l'homme ou la nation, qui se trouvent endormis lorsque
arrive le divin moment ou qui ne sont pas prêts à s'en saisir
parce que la lampe n'a pas été entretenue pour l'accueillir,
parce que leurs oreilles sont restées sourdes à l'appel. Mais
trois fois malheur à ceux qui sont forts et préparés,
et qui cependant gaspillent leur force ou mésusent de ce moment ;
pour ceux-là, la destruction est grande et la perte irréparable.
Lorsque vient l'Heure de Dieu, purifie ton âme de toute tricherie
avec elle-même, de toute hypocrisie et vaine infatuation, afin que
tu puisses regarder droit dans ton esprit et entendre ce qui l'appelle.
Toute absence de sincérité dans la nature - c'était
autrefois ta défense contre l'oeil du Maître et la lumière
de l'idéal - devient maintenant un défaut dans ton armure
et une invite pour les coups. Et si tu vaincs pour l'instant, c'est plus
grave encore pour toi, car le coup viendra sûrement qui te jettera
à terre au milieu même de ton triomphe. Mais si tu es pur,
rejette toute crainte. L'heure est souvent terrible, telle un feu, un tourbillon,
une tempête, telle les vendanges foulées sous la colère
de Dieu. Mais celui qui peut se tenir debout à cette heure, soutenu
par la vérité de son but, celui-là durera; même
s'il tombe, il se relèvera; même s'il semble passer sur les
ailes du vent, il reviendra. Ne laisse pas non plus la prudence du monde
murmurer de trop près à tes oreilles, car c'est l'heure de
l'inattendu [, de l'incaculable, de l'incommensurable. Ne juge pas du pouvoir
du Souffle à la mesure de tes minuscules instruments, mais aie confiance
et avance.
Mais garde ton âme le plus que tu peux nette des vociférations
de l'ego, même si ce n'est que pour un moment. Alors une colonne de
feu marchera devant toi dans la nuit et la tempête sera ton auxiliaire
et ta bannière flottera sur les plus hauts sommets de la grandeur
qui était à conquérir.]
Sri Aurobindo
(Première partie de la traduction, qui avait été
publiée comme "message de darshan de l'Ashram" en août
1954, in: "Sri Aurobindo, Inde nouvelle et libre", adapté
de Rishabhchand aux Editions Auropress, Pondichéry/Auroville -
1978.
La seconde partie, entre crochets, est traduite par moi.)
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