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Le Mental des Cellules

par Satprem

Quatre milliards et demi d'Homo sapiens sont en train d'apprendre la nullité de leurs moyens d'existence, comme un jour certains poissons ont appris la nullité de leurs branchies sur une terre desséchée. Si ces poissons améliorent leur Science aquatique, inventent de nouvelles nageoires et de nouvelles philosophies, ils se trompent. Il s'agit de savoir si nous allons trouver le MOYEN, non pas d'améliorer l'asphyxie humaine mais de vivre autrement et d'être autrement sur la terre. Existe-t-il, dans ce corps humain, un ressort, un levier, qui permettra de changer nos conditions terrestres, comme il y a trois millions d'années une première vibration de pensée a préparé Einstein et le Boeing 747? Quelle vibration? Où, dans le corps? -- Se pourrait-il que la Matière première du monde, la cellule, recèle un pouvoir de conscience ou un "mode vibratoire" qui rende caducs tous nos moyens cérébraux et nos artifices sans issue? Un Mental des cellules qui nous ouvrira de nouvelles sources d'énergie, de nouveaux moyens de communication, un nouveau pouvoir de manipuler la Matière. Une biologie nouvelle et une conscience nouvelle qui permettront d'affronter le défi d'une espèce en voie d'auto-destruction. Telle est l'incroyable découverte de Sri Aurobindo et de Mère dans les cellules du corps, à l'heure où la terre asphyxie. Car "le salut est physique", disait celle qui, à 80 ans, osait frapper à la dernière porte du corps et faisait la plus formidable découverte depuis Darwin.

Passeport pour où?

Le quinzième jour exactement après mes vingt ans, dans une ville de France, au tournant d'un boulevard, ma vie a changé brutalement lorsque dans un crissement de pneus furieux et un claquement de portières, deux hommes, révolver au poing, ont bondi d'une citroën de la Kriminal Polizei, m'ont ceinturé et emmené -- en trente secondes, c'était fait. Je ne serais plus jamais un être de l'espèce humaine ordinaire. La gestapo, les interrogatoires sous les projecteurs électriques; la nuit, le jour qui culbutent; le pas des SS dans le couloir à l'aube -- fusillé aujourd'hui? fusillé demain? Les cours gelées de Buchenwald; les rails dans les carrelages immaculés des douches -- c'est pour un bain? ou le nettoyage au gaz? Et puis ... et puis ... La mort d'un homme, ce n'est pas grave. Mais la mort de l'Homme? La mort d'un petit d'homme avec tous ses rêves, ses espoirs, sa foi en la beauté, sa foi en l'amour, sa foi en l'immensité d'une vie comme un trésor à conquérir, comme un continent à explorer, un secret à découvrir. Et puis ... et puis RIEN. La mort, c'est quelque chose. Mais le rien?

Ce quinzième jour de novembre du trente millième siècle depuis l'apparition de l'Homo sapiens, je me suis trouvé nu, saccagé, comme au commencement des Temps ou à la fin. L'Homme est mort? -- Vive l'Homme! Qu'est-ce que cela veut dire un coeur qui bat ... sans sa science, sans ses évangiles, sans ses livres -- sans pays, sans loi? Tout est mort, ou pas né. Il y a ce coeur qui bat, comme avant le Déluge ou après. Il y a ce petit d'une espèce terrestre qui regarde comme au commencement du monde, sur une grande plage nue où s'envole une mouette.

Et qu'est-ce que ça veut dire, ce coeur? sans science, sans connaissance parce que toutes les connaissances se sont écroulées, ou ne sont pas encore nées?

Un coeur, ça bat l'espoir, la foi, le Devenir. Ça regarde le monde comme une grande aventure à jouer -- et qu'est-ce qu'il y a à découvrir quand tous les vieux devenirs sont morts, quand toute la science humaine est morte, quand tous les dieux sont morts, ou pas nés encore?

C'est terrifiant. C'est merveilleux.

Il n'y a plus d'espoirs -- il y a l'Espoir inconnu.

Et je me demande si ce petit d'homme-là, qui avait vingt ans et quinze jours, si ce coeur nu et vidé, n'annonce pas, bientôt, tant et tant d'autres coeurs d'enfants qui regarderont sur la grande plage nue du monde la nullité de leur science, la nullité de leurs bombes, la nullité de leur mécanique, la nullité effrayante, et merveilleuse, de tous les dieux d'Occident ou d'Orient -- et alors ... et alors ...

Nous ne sommes pas à la fin d'une civilisation.

Nous sommes au Temps de l'Homme qui va naître.

Nous avons assez joué au train électrique, à la pénicilline, au chromosome électronique -- et si c'était le temps d'un autre jeu? d'une autre découverte dans un pur battement de coeur? d'un homme inconnu sous son manteau usé?

A vingt-deux ans, dans une rage, sorti de l'enfer, j'ai pris la Vie sur mes genoux, cette garce trompeuse, et je lui ai dit: maintenant, à nous deux, tu vas me dire ton secret, et pas d'histoires -- ton secret qui n'est pas des livres, pas de la science, pas de la mécanique, pas de l'Ouest ni de l'Est et d'aucun pays, mais du Pays de la Terre vraie. Ton secret qui bat dans mon coeur nu.

J'ai remué ciel et terre. J'ai tout essayé. Ah! j'ai voulu lui faire crier son secret à cette chair d'homme dévasté, à cette Terre nulle et maudite, et merveilleuse. J'ai couru les continents; j'ai écouté battre le fantôme des gongs de Thèbes et de Louksor; j'ai plongé dans les pistes rouges d'Afghanistan et déterré des têtes gréco-bouddhiques, mais le sourire n'était toujours pas sur mes lèvres; j'ai escaladé les pentes de l'Himalaya, creusé dans les nids d'aigle à la recherche du trésor des Princes rajpoutes; j'ai fumé l'opium comme on se noie; j'ai martelé à toutes les portes de ce corps, mais le secret n'était toujours pas là; j'ai plongé dans la forêt vierge de Guyane, écouté, la nuit, le cri des singes rouges comme un choeur bestial au début des mondes; j'ai traversé le Brésil, l'Afrique, cherchant toujours la mine d'or ou de mica ou de n'importe quoi, mais cette Mine au fond de ma peau ne livrait toujours pas son secret; je suis revenu me cogner dans l'Inde, j'ai empoigné le secret des yogis, j'ai médité avec eux, je me suis perdu avec eux sur des sommets raréfiés, mais la Terre, cette Terre ne disait toujours pas sa Merveille; j'ai été mendiant sur les routes, j'ai usé ce corps jusqu'à la corde, j'ai prié dans les temples, frappé à toutes les portes, mais la seule Porte ne s'ouvrait pas qui comblerait enfin ce coeur.

Et puis j'étais nu encore, n'y avait-il donc pas d'espoir sauf d'empiler de l'électronique, des bombes, des fausses sagesses -- ou des vraies sagesses qui vous emportent au ciel mais laissent cette Terre pourrir sur deux pattes?

Cette fois, j'avais trente ans.

C'était toujours le trente millième siècle depuis l'apparition d'un homme -- quoi? tout ça, tous ces millions d'années pour circuler en cravate avec une petite valise à la main et un tampon dans mon passeport -- un passeport pour où? un tampon pour QUOI? Où donc était l'Homme comme une grande aventure, comme un secret à découvrir, comme un trésor inconnu?

Je suis né à Paris. J'aurais pu naître à Tokyo, à New York -- mais naître au monde? naître enfin à quelque chose qui ne soit pas mon grand-père et mon arrière-grand-père et le baccalauréat de la famille et les livres empilés dans les bibliothèques mortes, et l'éternelle petite histoire qui se répète et se répète en français, en anglais, en chinois et en homme qui meurt et meurt encore sans avoir trouvé ce qui fait battre ce coeur ni pourquoi l'envol d'une mouette sur une petite plage l'emplit soudain d'un souffle comme s'il pouvait voler?

Mon passeport dit que je ne peux pas voler, sauf en Boeing 747.

Mais mon coeur dit autrement.

Et tout le coeur de la Terre commence à dire autrement.

Un jour de mes trente ans, j'ai rencontré Celle qui disait autrement. Elle avait 80 ans, elle était jeune et riante comme une petite fille. On l'appelait "Mère". C'était à Pondichéry, au bord du golfe du Bengale.

Mère, c'est la plus merveilleuse aventure que j'aie connue. C'est la dernière porte qui s'ouvre quand toutes les autres se sont fermées sur rien. Pendant quinze ans, elle m'a emmené sur des chemins inconnus qui s'en allaient dans le lendemain de l'Homme, ou peut-être dans son commencement vrai. Mon coeur a battu comme pour la première fois au monde. Mère, c'est le secret de la Terre. Non, elle n'est pas une sainte, pas une mystique, pas un yogi; elle n'est pas de l'Est ni de l'Ouest; ce n'est pas une thaumaturge non plus, ni un gourou ni une fondatrice de religion. Mère, c'est la découvreuse du secret de l'Homme quand il a perdu sa mécanique et ses religions, ses spiritualismes et ses matérialismes, ses idéologies de l'Est ou de l'Ouest -- quand il est lui-même, simplement: un coeur qui bat et qui appelle la Terre-de-Vérité, un corps tout simplement qui appelle la Vérité du corps, comme le cri de la mouette appelle l'espace et le grand vent.

C'est son secret, sa découverte que je vais essayer de vous dire.

Car Mère, c'est un conte de fées dans les cellules du corps.

Une cellule d'homme, qu'est-ce que c'est?

Un autre camp de concentration ... biologique.

Ou un passeport pour ... pour où?

S.

8 juillet 1980

Introduction

Nous sommes devant un extraordinaire mystère, qui pourrait bien être un conte de fées.

Le conte de fées de l'espèce.

Nous partons de l'archipel des Galapagos, là où Darwin pour la première fois, aux environs de 1835, conçut sa théorie de l'évolution: les iguanes ne sont pas à jamais des iguanes ... ni l'homme à jamais un homme. On ne nous a jamais rien dit de plus sérieux depuis -- ni de plus captivant, ou disons de plus libérant, car il s'agit bien de sortir de captivité. Si l'on en sort, par quel bout en sort-on, à part l'explosion de la planète ou des saluts célestes, yoguiques et autres, dont nous commençons bien à voir qu'ils laissent la planète inchangée?

"Le salut est physique", disait celle dont nous allons conter l'aventure dans la conscience des cellules. L'évolution est matérialiste comme il se doit, ou en tout cas matérielle. Reste à savoir ce qu'est cette Matière? Fermée ou ouverte? Darwin l'ouvrait, avec Jules Verne son contemporain. Max Planck, Heisenberg, Einstein l'ouvraient, avec leurs amis impressionnistes, fauvistes ou pointillistes -- la Matière fusait de tous les côtés. Sri Aurobindo et Mère se situent de ce côté-là. Quelques astrophysiciens aussi. Et pourquoi se fermerait-elle avec les biologistes?

Sri Aurobindo avait dix ans quand Darwin est mort (1882); il avait déjà quitté l'Inde pour apprendre la leçon du matérialisme occidental à Londres; Mère, sa future compagne, en avait quatre à Paris et Einstein avait trois ans à Ulm.

On nous a dit quelque chose de très sérieux aussi, depuis Darwin, mais quand le "sérieux" commence à prendre l'allure d'une prison, nous nous méfions, car le prodigieux tableau évolutif depuis l'explosion des vertébrés, il y a quelque quatre cent millions d'années, a fait singulièrement sauter de successives biologies, avec quelques philosophies du crabe, du lapin et de l'orang-outang en cours de route. Comment ça saute, c'est cela qui nous intéresse. Or, en 1953, une équipe de biophysiciens anglo-américains découvrait le mécanisme de duplication de la molécule d'ADN. Voilà qui est sérieux. L'ordre d'enchaînement des acides aminés détermine à jamais si nous ferons une souris ou un homme, et une certaine molécule magique et parfaitement scientifique, dite acide désoxyribonucléique ou ADN, règle imperturbablement cet assemblage de père en fils, à moins de quelque collision de rayons X ou de rayons cosmiques (ou d'une petite bombe) qui vienne faire dérailler un point de la chaîne ... et nous entraîner plus probablement vers une monstruosité que vers une prochaine espèce -- et encore, tout ceci s'étend-il sur des milliers ou des millions d'années de mutations imperceptibles qui finiraient, par chance, par déclencher quelque déclic et nous précipiter enfin dans une autre espèce ... si la bombe nous en laisse le temps et si les quatre milliards et demi d'Homo sapiens de cette planète n'ont pas, entre-temps, fait tant d'autres milliards de rats sapiens et dévoré la terre. C'est à voir aussi, car, après tout, il a fallu des milliers d'années pour arriver au premier milliard d'hommes -- c'était en 1830 --, tandis qu'il en a fallu cent pour arriver au deuxième milliard, puis trente pour le troisième milliard, et seulement quatorze ans pour le quatrième milliard [cf. New York Times du 16 mars 1980].

Le problème est urgent. Nous n'avons plus des milliers d'années évolutives pour le résoudre; peut-être même pas dix ans. Alors, par quel bout en sort-on en dépit de l'équipe anglo-américaine et des cellules répétitives?

Y a-t-il une solution dans la cellule et dans la Matière, si cette solution n'est pas au ciel ni dans les libérations yoguiques? Mais que l'homme ne restera pas indéfiniment un homme, ni même un homme "amélioré", ne fait point de doute, pas plus que le reptile n'est resté reptile dans les marais desséchés du Secondaire -- si nous ne trouvons pas le "truc", l'évolution le trouvera pour nous, en dépit des biologistes. Il y a soixante-dix millions d'années, les sauriens ont brusquement disparu de la terre qu'ils étouffaient, pour laisser s'ébattre et gambader les souris et musaraignes arboricoles.

 

57.412 -- Pouvons-nous espérer que ce corps, qui est maintenant notre moyen de manifestation terrestre, aura la possibilité de se transformer progressivement en quelque chose qui pourra exprimer une vie supérieure, ou est-ce qu'il faudra abandonner cette forme totalement pour entrer dans une autre qui n'existe pas encore sur la terre? disait Mère, celle justement qui allait chercher le "truc" de l'espèce dans les cellules du corps. Est-ce qu'il y aura une continuité ou est-ce qu'il y aura une brusque apparition de quelque chose de nouveau? ... Est-ce que l'espèce humaine sera comme certaines espèces qui ont disparu de la terre?

C'était en 1957.

Darwin a mis plus de vingt ans à oser dire ce qu'il avait pressenti dans l'archipel des Galapagos: L'origine des espèces date de 1859. Et encore, disait-il: "C'est un peu comme de confesser un meurtre." Nous sommes devant l'histoire de Mère un peu comme Darwin devant ses iguanes: "Voyons, est-ce que c'est possible?" Et qu'en dira le biologiste et qu'en dira la médecine et qu'en dira ... Pourtant, il n'y a pas de doute. Pendant dix-neuf ans, nous avons écouté les expériences de Mère, la continuatrice de Sri Aurobindo, sans très bien comprendre ce que cela signifiait -- puis elle est partie un jour de 1973, à l'âge de quatre-vingt-quinze ans, nous laissant sidéré devant une montagne de documents à la fois pleins de sens et incompréhensibles. Pendant sept ans, nous avons empoigné ces documents, nous nous sommes battu avec, nous avons cogné du poing contre le mur et appelé Mère de l'autre côté de "cette mort imbécile", comme elle disait, pour qu'elle nous livre son secret -- pourtant là, tout ouvert, dans ces milliers de pages de documents, l'Agenda, mais quel sens a une expérience de souris pour un dinosaure? Pourtant, c'est plein de sens, c'est là, mais il faut un petit déclic qui mette en place tous les morceaux du puzzle. Nous avons même tenté d'écrire trois volumes [Voir Mère ou le Matérialisme Divin, L'Espèce Nouvelle, et La Mutation de la Mort -- Editions Robert Laffont] pour saisir le fil, tracer le chemin dans cet incompréhensible lendemain de l'homme. Oh! comme nous nous sommes battu. Nous étions même, parfois, comme le Sherlock Holmes de Conan Doyle avec notre loupe et notre raisonnement mental pour saisir ce qui n'est plus mental. Mère, c'est un désespérant roman policier fascinant dans l'histoire de la prochaine espèce -- comment ça se fabrique, une prochaine espèce, d'où ça sort, par quel bout, quel mécanisme? Et puis, un jour, c'était évident -- mais il n'y a rien de plus invisible que l'évidence, parce que c'est tellement sous notre nez qu'on n'y voit rien. Est-ce que les souris voient quelque chose à un homme? ou même un singe? -- Il doit penser que nous ne grimpons plus si bien aux arbres, et après? Alors nous avons regardé et regardé l'histoire de Mère, et après? Alors nous avons écarquillé les yeux et, oui, c'est un peu comme le "confesser un meurtre" de Darwin, nous comprenons bien ce qu'il voulait dire. C'est un tel défi à notre espèce et aux lois de notre espèce, et pourtant c'est logique, c'est naturel -- mais allez donc dire à la musaraigne de Bornéo que l'Homo sapiens est naturel et logique!

Nous ne voyons qu'une façon d'entraîner le lecteur dans cette biologie-policière de la prochaine espèce: c'est d'énoncer brutalement, sans fioritures ni commentaires, les expériences décisives de Mère, en les numérotant comme les expériences de laboratoire, puis, autour de ces noyaux d'expérience, de tracer les lignes qui ont conduit là et celles qui mènent de là à un nouveau noyau d'expérience, jusqu'à ce que le puzzle soit complet et la conclusion inévitable.

Nous n'allons dans aucune mystique, aucune philosophie, fût-elle hindoue, ni même dans aucun scientisme, car qu'est la science du reptile pour l'archéoptéryx? Nous allons dans les données de l'expérience, fûssent-elles bizarres pour nous, et comme Darwin aux Galapagos, nous partons d'une donnée simple qu'aucun évolutionniste ne démentira, la première donnée de Mère:

 

58.2811 -- À travers chaque formation individuelle, la substance physique progresse, et un jour cette substance sera capable d'établir un pont entre;a vie physique telle que nous la connaissons et la vie supramentale qui se manifestera.

Le corps, c'est le pont.

Le corps, cela veut dire des cellules.

Des cellules qui se comportent comme le schéma anglo-américain ... ou autrement?

D'imperceptibles mutations qui s'étendent sur des milliers d'années ... ou un changement brusque: "Le miracle de la terre", disait-elle, le conte de fées de l'espèce?

Mais un conte parfaitement biologique et terrestre.

 

58.145 -- Il semble que l'on ne puisse jamais comprendre vraiment que lorsqu'on comprend avec son corps.

 

54.214 -- Savoir, pour le corps, c'est pouvoir faire*.

 

[*Les deux premiers chiffres de chaque citation indiquent le millésime de l'expérience en question: ici, il s'agit de l'année 1954; les suivants se composent du jours et du mois.]

Mais Mère, c'est la révolution la plus formidable que l'homme ait jamais accomplie depuis qu'un jour, dans une clairière du néolithique, un premier hominien s'est mis à compter les étoiles et ses peines.

D'une mère égyptienne et d'un père turc, Mère, ou Mirra Alfassa, est née à Paris en 1878. Elle était d'un an plus âgée qu'Einstein et contemporaine d'Anatole France dont elle a gardé la douce ironie. C'était au siècle du "positivisme", son père et sa mère étaient "matérialistes à tous crins", lui, banquier et mathématicien de premier ordre, elle, disciple de Karl Marx jusqu'à 88 ans. Cette petite fille avait d'étranges expériences dans les temps passés de l'histoire et peut-être dans l'avenir; elle rencontrera Sri Aurobindo "en rêve" dix ans avant d'aller à Pondichéry et le prit pour "un dieu hindou en costume de vision". Mathématicienne et artiste-peintre et pianiste, elle devint l'amie de Gustave Moreau, Rodin, Monet et épousera un peintre d'avec qui elle divorcera pour épouser un philosophe qui l'entraînera jusqu'au Japon et en Chine à l'époque où Mao Tsé-toung écrivait "La grande union des masses populaires", et à Pondichéry auprès de Sri Aurobindo qu'elle ne quittera plus. Elle vivra trente ans près de celui qui, au début de ce siècle, annonçait "l'évolution nouvelle": "L'homme est un être de transition", jusqu'à la mort de Sri Aurobindo en 1950. Puis à la tête d'un énorme Ashram qui semblait représenter toutes les oppositions de la terre, elle plongera dans le "yoga des cellules" et découvrira enfin "le grand passage" à une autre espèce. Incomprise, seule, entourée de résistances et de mauvaises volontés, elle quittera son corps à l'âge de 95 ans, en 1973. "Je ne pense pas qu'il y ait plus matérialiste que je ne l'étais, avec tout le bon sens pratique et le positivisme, nous disait-elle au milieu de ses dangereuses expériences dans la conscience des cellules, et je comprends maintenant pourquoi c'était comme cela! Cela a donné à mon corps une base d'équilibre merveilleuse. Les explications que je demandais étaient toujours matérielles, et cela me paraissait évident: il n'est pas besoin de mystères, rien de tout cela -- vous expliquez matériellement. Par conséquent, je suis sûre que ce n'est pas une tendance au rêve mystique en moi! Pas du tout, ce corps n'avait rien de mystique, Dieu merci!"

1. L'élément nouveau

Il y a eu un tournant dans l'histoire de l'espèce, mais probablement précédé de beaucoup de petites percées sporadiques, inintelligibles, baptisées de ce nom-ci et de ce nom-là, car qui comprendrait que c'est la percée dans l'autre espèce? C'est seulement quand on est devenu l'homme, que l'on peut se dire: "Ah! c'est donc ça, un homme." Et encore, ne se le dit-on qu'après beaucoup d'expériences progressives qui vous font conclure que, décidément, nous ne sommes pas des singes délirants ni, surtout, des primates infirmes et décadents, car la première évidence de la nouvelle espèce, c'est tout ce qu'elle perd de l'ancienne: les qualités de l'homme sont les défaillances du singe.

Et cette percée dans un "autre chose" bizarre, dont on ne sait pas que c'est l'état de la prochaine espèce, il est bien probable qu'elle a dû s'opérer microscopiquement, à des niveaux physiologiques différents, à travers des centaines et des milliers d'années préparatoires, mais toujours dans l'inconnaissance que c'était "l'autre état". Avant que le petit tarsier de Bornéo n'acquière sa vision binoculaire qui préparait la nôtre, il a dû y avoir, à travers les espèces, un certain nombre de "visions" étranges ou aberrantes, qui étaient pourtant la "logique" et la "mathématique" et l'évidence de ce poisson-là ou de cette chauve-souris. Et qu'est-ce encore que notre vision rétinienne humaine? -- Une étroite bande entre l'ultraviolet et le proche infrarouge, vue d'une façon binoculaire. En outre, cette percée évolutive, du fait qu'elle retombe toujours dans le vieil état jusqu'à apparition décisive de la nouvelle espèce, elle doit se traduire dans le langage et selon les habitudes de l'expérimentateur involontaire, avec un revêtement considérable qui défigure presque complètement ce que pourrait être l'expérience pure de l'autre état. Ainsi, à travers les siècles et les millénaires de notre espèce, il n'a pas manqué de "mystiques" ni de "fous" ni d'"hallucinés" dans toutes les langues de la terre, et nous avons eu tendance à entériner ou à glorifier ceux qui répondaient le mieux à notre idée du Bien, du Beau, de l'Apocalypse ou du Paradis -- mais qu'est-ce que le Bien de la chauve-souris pour le roitelet? La chauve-souris est un peu "éblouie", c'est tout. Mais il y avait tout de même "quelque chose", fût-ce un paradis de chauve-souris mystique.

Cette percée, pour l'Homo sapiens, s'est donc située à divers niveaux de son être, et puisqu'il est enfermé dans une coquille mentale, comme l'oursin l'était dans sa carapace de calcaire, comme le caillou dans son manteau d'électrons ou le singe dans sa puissance vitale, c'est à ce niveau mental qu'ont dû s'opérer le plus fréquemment les tentatives de sortie: on s'évanouit sur la table d'opération ou dans une transe mystique, ou dans le sommeil tout bonnement, et on passe ailleurs. Il y a un certain évanouissement du vieux système qui paraît nécessaire pour accéder à l'"ailleurs", et c'est logique: on ne va pas en battes humaines dans le "paradis" de la prochaine espèce ni en peau de reptile dans les premières glissades de l'archéoptéryx. Nous l'avons dit, c'est la défaillance de la vieille espèce qui ouvre la porte de la prochaine -- mais il faut qu'une porte s'ouvre. Nous avons donc ouvert beaucoup de portes dans notre tête ou, plus rarement, dans notre coeur, à travers les millénaires; nous sommes même descendus plus bas dans l'échelle physiologique et nous avons ouvert des portes du bas-ventre et laissé entrer toutes sortes d'enfers et de petits êtres cruels ou fanatiques: des types de sous-espèce déraillée qui peuplent encore assez abondamment la terre. Nous ne parlons pas des autres qui sont carrément sortis de l'espèce par le haut, dans une fusée nirvânique ou extatique, et qui nous ont laissé parfois d'étranges balbutiements ravis. La poésie est aussi une "traduction" de cet évasif autre état que notre espèce voudrait bien saisir, sans savoir par quel bout le prendre -- et par quel bout se prend la queue de la prochaine espèce?

Ce n'est ni au niveau mental, ni au niveau psychocardiaque, ni au niveau ombilical ou pelvien que peut s'opérer la sortie dans l'autre état: dans "la chose" comme disait Mère qui n'avait pas de vocabulaire pour ça. Mais plus exactement -- car on ne peut pas dire dogmatiquement et catégoriquement que les autres percées soient sorties dans rien --, ce n'est pas aux niveaux mental, cardiaque, etc., que l'on peut avoir "la chose" pure, sans traduction, dans sa langue originelle. La prochaine espèce, c'est dans le corps. C'est évident. Tant que ce ne sera pas dans le corps, au niveau physiologique, cellulaire, ce sera encore une traduction en langue étrangère à travers des couches de sommeil ou d'extase ou de méditation, qui nous livrent toutes sortes de petits rayons réfractés et de petites histoires plus ou moins fabuleuses et affabulantes, mais qui sont tout de même l'expression de "quelque chose" comme peut l'être le coup d'oeil du cyprin sur un homme à travers les parois de son bocal. Nous ne savons pas si nous avons l'air angéliques ou diaboliques de l'autre côté de leur bocal, mais c'est quand même "quelque chose qui se passe".

Si nous disons que la sortie s'opère au "niveau cellulaire", la biologie va tout de suite nous tomber dessus avec son imprescriptible et imperturbable enchaînement d'acides aminés de père en fils, exception faite de quelques variations pathologiques. "Comment allez-vous changer l'ordre d'assemblage des nucléotides pour produire une prochaine espèce? ... qui aura quoi, des nageoires, des ailes, un troisième oeil?" C'était très difficile, à un moment de l'évolution, pour un nodule de manganèse, d'imaginer un flagellé impertinent et déambulant. Une prochaine espèce, c'est très impertinent pour la vieille espèce. Mais tout de même, il doit y avoir un chaînon, un lien -- un bout quelconque par où ça se prend. Notre difficulté n'est pas seulement un manque d'imagination de l'avenir, mais surtout une incapacité de penser autre chose qu'une amélioration ou une extension du présent: notre prochain homme, ce sera encore un homme + ceci et + cela et -- ceci et -- cela. Est-ce que le radiolaire est une extension du manganèse? Et l'homme une extension de la fougère arborescente? Mais c'est peut-être tout autre chose. Alors, quel est le lien, le chaînon avec ce qui est "tout autre chose"? Nous ne savons pas une minute ce qui fera le pont parce que nous ne savons pas où est l'autre côté. Et pourtant c'est dans le corps.

En d'autres termes, la prochaine espèce, c'est peut-être un autre règne, aussi différent que ladite fougère peut l'être de la musaraigne arboricole. Pas un homme +, mais un autre être, une autre forme de vie dans la Matière après le minéral, le végétal et l'animal dont nous sommes. Et cependant, il doit y avoir une connexion, comme le virus fait le pont de la Matière à la Vie -- et qu'est-ce qui fait le pont à la "sur-vie", pour employer l'une des expressions tâtonnantes de Mère? Qu'est-ce que c'est que cette vie-là? Dire que c'est la modification des cellules germinales qui produit une autre espèce, c'est encore tourner en rond dans les circonvolutions de la vieille espèce qui est incapable de sortir de son schéma animal pour imaginer un schéma qui n'est plus animal, plus minéral ni plus végétal, et qui pourtant est parfaitement matériel -- les musaraignes sont peut-être angéliques et surnaturelles pour le nodule de manganèse, mais elles n'en sont pas moins matérielles et évolutives. Un jour, ça s'est passé. Un jour, il se passera quelque chose d'autre qu'un homme-animal -- ça se passe déjà peut-être. C'est peut-être même en train de se passer.

Si ce n'est pas la modification des cellules germinales qui produit l'autre chose, c'est la modification de quoi? Il doit bien y avoir une modification quelque part, un élément nouveau. Que représente la modification de la fougère par rapport au minéral ou celle de l'animal par rapport au végétal? Nous sommes obnubilés par les formes -- la forme --, mais qu'est-ce qui a changé d'un règne à l'autre ... sinon le mouvement? Il y a eu passage de l'inertie du caillou à la croissance accélérée du végétal, puis à l'explosion dynamique de l'animal: des changements de mouvement. Ici, les physiciens vont ouvrir l'oeil et nous parler d'ondes électromagnétiques ou du tourbillon des électrons autour du noyau. Einstein nous a appris la relativité: les paramètres d'un événement physique sont étroitement liés à la vitesse du système de référence. Pour dire les choses simplement, une vitesse est une question de distance, une distance est une question de six pattes de fourmi, de deux ailes de mouette ou de deux pattes d'homme, ou même de turboréacteur -- mais tout cela, c'est l'être animal qui se propage plus ou moins vite avec des mécanismes plus ou moins ingénieux pour combler ce qui est "loin" de lui ou "en dehors" de lui. Mais il se pourrait bien que le prochain "mécanisme" ou le prochain "organe" de la prochaine espèce soit tel que le mouvement soit encore davantage accéléré, si l'on peut dire, au point qu'il n'y ait plus d'"en dehors" ni de "loin", et que la "distance" du flagellé ou du turboréacteur soit aussi périmée que l'inertie du caillou pour l'être vivant. Quel est ce mécanisme ou cet "organe" qui nous dotera d'un mouvement si rapide qu'il rejoindra instantanément le confin des galaxies comme s'il n'y avait pas de distance, comme si tout se déroulait au-dedans de nous, et pourtant dans un corps de matière terrestre, cellulaire? Y a-t-il, dans le corps, un fonctionnement qui nous permettrait d'être simultanément entre certaines parois cellulaires qui font de nous un homme plutôt qu'une souris, et d'être en même temps à New York, Bornéo ou au diable-que-veux-tu? Si ce mouvement "surnaturel" nous était physiologiquement alloué -- géographiquement alloué, pourrions-nous dire --, il s'agirait-là évidemment d'une autre espèce et d'un autre règne. Le "naturel" de l'homme est peut-être bien le surnaturel du poisson, mais il n'y a pas de doute que le naturel change d'une espèce à l'autre et que "le surnaturel est un naturel pas encore atteint", ainsi que le disait Sri Aurobindo [Thoughts & Aphorisms, XVII.88].

Reste à savoir où, dans le corps, se situerait ce curieux fonctionnement nouveau qui n'annulerait pas nos précieuses cellules germinales mais donnerait à l'ensemble de nos cellules corporelles un nouveau mode d'être, peut-être une toute nouvelle géographie vue par d'autres prunelles non-binoculaires. Et que devient le turboréacteur dans ce cas-là, et toute la diable de mécanique, téléphone et fusée spatiale compris? C'est évidemment un autre espace et un autre temps -- un autre "système de référence", un autre déterminisme -- et peut-être est-ce aussi sidérant que de passer de la tranquille inertie du minéral au grouillement des vertébrés. Et que devient la mort dans ce cas-là? Et que devient la Matière dans ce nouveau "système" -- qu'est-ce que la Matière, ses électrons, ses cellules, ses galaxies, vus par un organe non-binoculaire et par autre chose qu'un microscope ou un télescope qui n'ont jamais été qu'un élargissement d'une même vision rétinienne périmée?

La biologie et la physique définissent les lois d'un certain milieu ou d'un certain bocal humain qui tente de se regarder lui-même ou de regarder à travers les parois de son bocal, mais quand on passe dans un autre milieu, comme l'amphibien, un jour, au grand air de la Vie, les vieilles lois tombent et une autre "vie" ou "sur-vie" imprévisible apparaît.

Reste à trouver le "chaînon". S'il n'est pas dans les pirouettes nirvâniques et extatiques ni dans les circonvolutions mentales ni dans les rêves et les sommeils de cette espèce douloureuse qui fut peut-être conçue pour un vrai paradis sur la terre, dans un vrai corps sans mort et sans parois emprisonnantes, où est-il? D'une espèce à une autre, d'un règne à l'autre, nous sommes passés d'une prison moins spacieuse à une autre pas très spacieuse -- se pourrait-il que le prochain règne fût celui de l'homme spacieux et sans prison?

Avec Mère, au lieu de nous enfuir dans les hauteurs mystiques et poétiques, nous descendons dans l'aventure de la conscience des cellules, à la recherche du prochain milieu et du mécanisme cellulaire, de l'élément nouveau qui ouvrira les portes de notre prison et nous projettera sur une terre nouvelle comme un jour un premier amphibien a débarqué sur les plages ensoleillées d'un nouveau monde.

 

57.107 -- Un monde nouveau est NE. Ce n'est pas l'ancien qui se transforme, c'est un monde NOUVEAU qui est né. Et nous sommes en plein dans cette période de transition où les deux s'enchevêtrent, où l'autre persiste encore, tout-puissant et dominant entièrement la conscience ordinaire, mais où le nouveau se faufile, encore très modeste, inaperçu -- inaperçu au point qu'extérieurement il ne dérange pas grand-chose ... pour le moment, et que, même, dans la conscience de la plupart, il est tout à fait imperceptible. Et pourtant il travaille, il croît.

 

56.103 -- Chaque fois qu'un élément nouveau est introduit dans les combinaisons possibles, cela fait ce que l'on pourrait appeler un "déchirement des limites" ... Il est évident que la perception scientifique moderne est beaucoup plus proche de quelque chose qui corresponde à la réalité nouvelle que les perceptions de l'âge de pierre, par exemple, cela ne fait pas l'ombre d'un doute. Mais cela même va se trouver tout d'un coup complètement dépassé, surpassé, et probablement bouleversé, par l'intrusion de quelque chose qui n'était pas dans l'univers que l'on a étudié. C'est ce changement, cette transformation brusque de l'élément universel, qui va amener très certainement une sorte de chaos dans les perceptions, d'où surgira une connaissance nouvelle.

Cet "élément nouveau", c'est le mental des cellules, qui est en train de bouleverser notre terre humaine comme un jour notre mental pensant a bouleversé la terre des singes.

2. L'autre état

Une première expérience, c'est toujours très bizarre. C'est même un peu fou. Il a dû, tout de même, y avoir un moment, un jour, où pour la première fois sur cette planète, un vieux dernier reptile est devenu un jeune premier oiseau. Et qu'est-ce que ça fait, tout d'un coup, quand on décolle et qu'il n'y a jamais-jamais eu d'oiseau avant dans aucun ciel un peu logique et raisonnable? Ce n'est pas naturel du tout, et plus d'un vieux dinosaure a dû hausser quelques épines dorsales: "Ce n'est pas possible, c'est une hallucination." D'hallucinations en hallucinations, nous avons fait des petits hommes en complet-veston -- et maintenant, la suite?

Un matin de janvier 1962, nous avons vu Mère arriver un peu pâle et toujours moqueuse d'elle-même, comme si l'ironie était la seule façon supportable d'aborder la nouvelle espèce sans tout à fait perdre les pédales de l'ancienne. Mère a quatre-vingt-quatre ans. Puis elle nous a dit de son petit ton tranquille et amusé:

 

62.91 -- C'est une chose curieuse, ce sont des attaques bizarres qui ne me paraissent pas du tout dépendre de la santé. C'est une sorte de décentralisation. N'est-ce pas, pour former un corps, toutes les cellules sont concentrées avec une sorte de force centripète qui les rassemble; alors c'est juste le contraire! C'est comme s'il y avait une sorte de force centrifuge qui fait qu'elles se répandent. Et quand ça devient un peu trop, je sors de mon corps, et le résultat extérieur, apparent, je m'évanouis -- je ne m'"évanouis" pas parce que je suis pleinement consciente. Alors ça produit évidemment une sorte de désorganisation ... bizarre.

La nouvelle espèce, c'est évidemment, d'abord, la désorganisation de l'ancienne.

 

... La dernière fois, il se trouve que quelqu'un était là et que je ne suis pas tombée, alors je ne me suis pas fait mal, mais cette fois-ci, j'étais toute seule dans ma salle de bains et ... évidemment je continuais un phénomène de conscience où j'étais en train de me répandre sur le monde -- répandre PHYSIQUEMENT, c'est ça qui est curieux! c'est la sensation DES CELLULES. J'avais un mouvement de diffusion qui se faisait de plus en plus intense et rapide, et puis tout d'un coup, je me suis trouvée par terre.

L'expérience se développe selon une certaine courbe. Nous nous contenterons de donner la courbe avant de dire comment Mère est arrivée là, par quels processus et transitions. Le fait est que Mère est sortie d'un certain état humain pour entrer dans un autre état ou un autre milieu, comme l'amphibien. La description du nouveau milieu nous permettra de mieux comprendre l'ancien et ce qui fait la barrière de séparation entre les deux états. Cette barrière, c'est tout notre problème, mais il est évident qu'elle se situe au niveau cellulaire puisque c'est là, le point de sortie, ou plutôt les innombrables points de sortie.

 

62.155 -- Par exemple, je marche un peu pour réhabituer le corps (je marche accompagnée par quelqu'un), et je me suis aperçue d'une condition assez particulière ... quelque chose que je pourrais décrire comme: ce qui me donne l'illusion du corps! Je le confie à la personne avec laquelle je marche (c'est-à-dire que ce n'est pas ma responsabilité: c'est cette personne qui s'occupe que ça ne tombe pas, que ça ne se cogne pas! tu comprends) et la conscience est une sorte de conscience qui n'a pas de limites, qui est comme des vagues, mais pas des vagues individuelles: c'est un MOUVEMENT de vagues; un mouvement de vagues matérielles, corporelles pourrait-on dire, vaste comme la terre, mais pas ... pas rond ni plat ni ... quelque chose qui est très infini de sensation, mais qui est en mouvement ondulatoire. Et ce mouvement ondulatoire est le mouvement de vie.

Décidément, nous voici en pleine physique de la Matière! De fait, toutes les théories physiques qui tentent de décrire la structure de notre univers et la composition de la matière s'accordent sur un point: le mouvement ondulatoire est le constituant et le fondement dynamique de la réalité physique. Qu'il s'agisse des champs électromagnétique ou gravitationnel ou d'interaction atomique, au coeur de l'atome comme aux confins de l'univers, tout se meut ou se propage selon un mouvement ondulatoire: "Le mouvement ondulatoire est le mouvement de la vie", dit Mère d'une façon saisissante. Et elle continue:

 

... Et alors la conscience (du corps, je suppose), il y a une conscience qui flotte là-dedans dans une sorte de paix éternelle, mais ce n'est pas une étendue, le mot est faux: c'est un mouvement qui n'a pas de limites et qui a un rythme très harmonieux et très tranquille, très vaste, et très calme. Et c'est ce mouvement qui est la vie. Je marche autour de ma chambre et c'est ça qui marche. Et c'est très silencieux, comme un mouvement de vagues qui n'a ni commencement ni fin, qui a une condensation comme ça (geste de haut en bas) et une condensation comme ça (geste latéral), et puis un mouvement d'expansion (geste, comme la pulsation d'un océan). C'est-à-dire une sorte de rassemblement, de concentration, puis d'expansion, de diffusion.

Comment ne pas se rappeler du champ électromagnétique avec ses deux composantes perpendiculaires: le champ électrique et le champ magnétique, qui se propagent selon une onde sinusoïdale infinie? Ce mouvement de rassemblement, puis d'expansion, c'est exactement la description de la propagation dans l'espace d'un train d'ondes sinusoïdales. Et nous touchons tout de suite à un prodigieux mystère: comment un corps peut-il être matériellement, cellulairement, cette onde qui compose et emmène les mondes dans son mouvement infini et gouverne l'existence des atomes et des galaxies? Comment peut-on être une onde électromagnétique infinie et ubiquitaire tout en restant dans les limites étroites d'un corps humain? ... qui s'évanouit tout de même un petit peu au début par manque d'habitude. C'est-à-dire un corps à la dimension de l'univers.

L'expérience continue encore pendant onze ans, avec des précisions graduelles et une lente "adaptation", mais un vocabulaire qui nous a longtemps fait errer, car, tantôt Mère employait un mot, tantôt un autre, nous faisant croire à des phénomènes différents et surtout à des mondes différents alors qu'il s'agissait toujours de la même courbe dans un même monde matériel -- mais allez donc décrire la Matière avec des yeux d'oiseau à un têtard incorrigible qui mesure les parois de son bocal! Cela ne lui semble plus du tout de la matière vraie ni solide, c'est même un peu surnaturel; et quels "mots" emploierait Mère pour décrire ce qui est encore sans mots -- les ondes "électromagnétiques", c'est après. En attendant, c'est "quelque chose qui se passe".

Mais le premier cri en sortant de l'expérience complète qui devait avoir lieu trois mois plus tard, en avril 1962, nous laisse songeur:

 

62.134 -- La mort est une illusion, la maladie est une illusion, l'ignorance est une illusion! quelque chose qui n'a pas de réalité, pas d'existence ... Seulement l'Amour et l'Amour et l'Amour -- immense, formidable, prodigieux, emportant tout. Et la chose est FAITE.

Le passage à l'autre espèce est fait. Si un premier oiseau a volé parmi les reptiles, d'autres voleront, inéluctablement. Mais le point capital est que la mort et la maladie disparaissent matériellement dans cet autre état, puisque c'est une expérience du corps et des cellules et non l'expérience mystique des sommets nirvâniques. Ce n'est pas "l'illusion du monde" comme l'ont prêché les mystiques, c'est l'illusion de notre perception physique du monde et du mensonge qui en découle: la maladie et la mort. Si la perception cellulaire change, la maladie et la mort changent, s'évanouissent ... en autre chose que Mère allait peu à peu découvrir.

L'expérience continue:

 

62.121 -- Je me trouve constamment devant ce problème, qui est un problème tout à fait concret, absolument matériel quand on a affaire à ces cellules et qu'il faut qu'elles restent des cellules, qu'elles ne se vaporisent pas dans une réalité qui n'est plus physique, et en même temps qu'elles aient cette souplesse, ce manque de fixité qui fait qu'elles peuvent s'élargir indéfiniment. Ce corps, c'est très difficile -- très difficile sans qu'il perde (comment dire?) son centre de coagulation, qu'il ne se dissolve pas dans la masse environnante.

 

61.252 -- Ce corps, ce n'est plus du tout comme c'est d'habitude: ce n'est plus guère qu'une concentration, une espèce d'agglomération de quelque chose; ce n'est pas un corps dans une peau -- pas du tout. C'est une sorte d'agglomération, de concentration de vibrations. Et même ce qu'on a l'habitude d'appeler une a maladie", même ces désordres de fonctionnement n'ont pas, pour ce corps, le même sens qu'ils ont, par exemple, pour les docteurs ou pour les gens ordinaires -- ce n'est pas comme cela, il ne sent pas ça comme cela. Il sent ça comme ... comme une sorte de difficulté d'ajustement à un besoin vibratoire nouveau.

 

62.185 -- La seule sensation qui reste dans le vieux style, c'est la douleur physique. Et cela me fait l'impression d'être les points symboliques de ce qui reste de l'ancienne conscience. C'est la douleur. C'est seulement la douleur que je sens comme je sentais avant. Par exemple, la nourriture, le goût, l'odeur, la vision, l'ouïe -- tout cela, complètement changé. Ça appartient à un autre rythme. C'est-à-dire tout le fonctionnement des organes -- est-ce les organes qui sont changés? ou est-ce que c'est le fonctionnement? Je ne sais pas. Mais ça obéit à une autre loi. La seule chose qui reste matériellement concrète dans ce monde -- ce monde d'illusion --, c'est la douleur. Ça me paraît être l'essence même du Mensonge. Même, il m'est interdit d'employer ma connaissance, mon pouvoir et ma force pour annuler de cette façon-là la douleur comme je le faisais avant -- je le faisais avant très bien. Non, cela m'a été totalement interdit. Mais j'ai vu que c'était quelque chose d'autre qui est en vue, quelque chose que l'on est en train de faire ... Ça, c'est encore, on ne peut pas dire le miracle parce que ce n'est pas un miracle, mais c'est l'émerveillement, l'inconnu. Quand ça viendra? Comment ça viendra? Je ne sais pas.

En effet, il ne s'agissait plus d'annuler la douleur ou de suspendre la mort par des "pouvoirs" supérieurs, yoguiques ou autres, mais de transformer la douleur et la mort par le pouvoir naturel des cellules mêmes. C'est tout le "yoga des cellules". La prochaine espèce n'est pas celle qui sera douée d'organes nouveaux abracadabrants ni de pouvoirs mirifiques, mais celle dont le fonctionnement cellulaire et la perception cellulaire changeront complètement et naturellement la condition des corps mortels dont nous sommes provisoirement affublés.

 

62.315 -- Maintenant, je fais une distinction constante entre ... (comment dire?) la vie en ligne droite et en angle droit, et la vie ondulatoire. Il y a une vie où tout est coupant, dur, angulaire, et puis on se cogne partout, et il y a une vie ondulatoire, très douce, très charmante -- très charmante --, mais pas, pas trop solide. C'est curieux, c'est tout à fait un autre genre de vie. Même les bonnes volontés sont agressives, même les affections, les tendresses, les attachements -- tout ça, c'est agressif comme tout. C'est comme des coups de bâton. Mais "ça" ... c'est une sorte de cadence, un mouvement ondulatoire qui est d'une ampleur, d'une puissance! c'est formidable, n'est-ce pas. Et ça ne dérange rien. Ça ne déplace rien, ça ne heurte rien. Et ça emporte l'univers dans son mouvement ondulatoire, si souple!

Serait-ce le fameux "Champ unifié" d'Einstein?

 

68.32 -- Au point de vue pratique, s'il y a quelque chose qui se dérange quelque part pour une raison quelconque (une douleur, quelque chose qui se dérange), avec "ça", presque instantanément le désordre disparaît, et si je reste patiemment dans cet état, le SOUVENIR disparaît. Et alors c'est comme cela que les désordres, qui étaient devenus des habitudes, petit à petit disparaissent.

 

68.1610 -- C'est curieux, la conscience est devenue de plus en plus intense et répandue, et le corps, c'est comme quelque chose qui flotte dans cette conscience, mais pas actif. Je ne peux pas expliquer. C'est comme un océan de lumière qui continue à faire son travail, et puis, là-dedans, flotte quelque chose ... C'est bleu outre-mer foncé, tu connais cette couleur? ... Voilà.

 

68.32 -- Mais le corps ne pourra se laisser aller comme cela que quand il sera prêt. Et c'est cela, la préparation. Le mouvement, c'est, oui, de se fondre totalement, et le résultat est l'abolition de l'ego, c'est-à-dire un état qui est inconnu, n'est-ce pas, on peut dire "pas réalisé physiquement", parce que tous ceux qui cherchaient le Nirvâna cherchaient cela en abandonnant leur corps, tandis que notre travail, c'est que ce soit le corps, la substance matérielle qui puisse se fondre. C'est cela qu'on va essayer. Comment garder la forme sans qu'il y ait d'ego, c'est cela le problème? C'est comme cela que le travail se fait petit à petit, petit à petit. C'est pour cela que ça prend du temps: chaque élément est repris, transformé. La merveille (pour la conscience ordinaire, c'est un miracle), c'est de garder la forme en perdant tout à fait l'ego. Pour le vital et le mental, c'est facile à comprendre, mais ICI, ce corps, que ce ne soit pas dissous par ce mouvement de fusion? ... Eh bien, c'est justement cela, l'expérience. C'est justement la courbe si intéressante de ce qui se produit en ce moment. Il y a des moments où on a l'impression que tout-tout se dissout, se désorganise, et j'ai bien vu, au commencement la conscience physique n'était pas suffisamment éclairée et elle avait l'impression que: "Oh! ce doit être cela qui annonce la mort", et puis petit à petit, est venue la connaissance que ce n'était pas du tout cela, que c'était seulement la préparation intérieure pour être apte. Et au contraire, alors, la vision très claire de cette plasticité si particulière, cette souplesse si extraordinaire que si elle était réalisée, c'est évidemment l'abolition de la nécessité de la mort. N'est-ce pas, chaque fois que la règle ou la domination des lois ordinaires est, sur un point ou un autre, remplacé par l'autre autorité [celle de l'autre état], cela fait un état de transition qui a toutes les apparences d'un désordre formidable et d'un danger très grand. Et alors le corps, tant qu'il ne sait pas, tant qu'il est dans son état d'ignorance, est pris de panique, croit à une grande maladie, mais à l'origine ce n'est pas cela: c'est le retrait de la loi de la nature ordinaire et le remplacement par l'autre; alors il y a un moment où ce n'est ni ça ni ça et ce moment-là est critique.

 

69.164 -- C'est étrangement fragile en même temps [le corps], c'est cela qui est curieux. On a l'impression que c'est sorti de toutes les lois ordinaires et ... c'est en suspens, comme cela. Quelque chose qui est en train de chercher à s'établir. Et extrêmement sensible à tout ce qui vient -- les deux en même temps: extrêmement sensible à ce qui vient des autres, et en même temps comme avec une puissance extraordinaire pour entrer en eux et y travailler. C'est comme si tout un genre de limites était ... supprimé.

 

62.275 -- C'est une espèce d'état très impersonnel où toute cette habitude de réaction aux choses extérieures, environnantes, a complètement disparu. Mais ce n'est remplacé par rien. C'est ... une ondulation. C'est tout. Alors quand est-ce que ça se changera en autre chose? Je ne sais pas. Et on ne peut pas, on ne peut pas essayer! On ne peut pas faire un effort, on ne peut pas chercher parce que, immédiatement, intervient cette activité intellectuelle qui n'a rien à voir avec "ça". Et c'est pour cela que j'en conclus que c'est quelque chose qu'il faut devenir, être, vivre -- mais comment? et de quelle façon? Je n'en sais rien.

Comment le poisson peut-il chercher à être autre chose que le poisson? -- Il fera encore des efforts de poisson avec son idée de poisson.

 

62.66 -- Pour la vision ordinaire, extérieurement, superficiellement, on pourrait dire qu'il y a eu une grande détérioration; mais le corps ne sent pas cela du tout! ce qu'il sent, c'est que tel mouvement, ou tel effort, tel geste, telle action appartient au monde -- à ce monde de l'Ignorance -- et que ce n'est pas fait de la vraie manière, ce n'est pas le vrai mouvement. Et il a la sensation ou la perception que cet état dont je parlais, doux, sans angles, onctueux, doit se développer d'une certaine manière et produire des effets corporels qui permettront l'action véritable. Il y a une manière à trouver. Et ce n'est pas "trouver" comme ça, avec sa tête: une manière qui est en train de se FABRIQUER quelque part. C'est au point que quand je change d'état, tout d'un coup j'ai l'impression que mon corps se trouve entouré de râpes et de morceaux de bois, et il est très confortablement installé sur des coussins de plumes!

Puis, dans cet espace éclaté, le sens du temps change aussi. Et dans un rire, un matin, Mère nous a dit:

 

62.147 -- Il y a un moment où l'on se dira: "Tu te souviens en telle année, on croyait que l'on faisait quelque chose! ... Figure-toi, je me suis trouvée tout d'un coup comme cela, projetée en avant: "Tu te souviens, là-bas (et c'est toujours à gauche -- tiens, pourquoi?), tu te souviens là-bas, oh! on croyait que l'on faisait quelque chose, on croyait que l'on savait quelque chose! ..." C'est amusant. Oui, dans la conscience ordinaire, c'est comme un axe, et tout tourne autour de l'axe. Un axe qui est fixé quelque part, et tout tourne autour de l'axe -- ça, c'est la conscience individuelle ordinaire. Et si ça bouge, on se sent perdu. C'est comme un grand axe (il est plus ou moins grand, il peut être tout petit), c'est planté tout droit dans le temps, et tout tourne autour. Ça s'étend plus ou moins loin, c'est plus ou moins haut, c'est plus ou moins fort, mais ça tourne autour d'un axe. Et maintenant, pour moi, il n'y a plus d'axe. J'étais en train de regarder -- il n'y en a plus, parti, envolé! Ça peut aller là, ça peut aller là, ça peut aller là (geste aux différents points cardinaux), ça peut aller en arrière, ça peut aller en avant, ça peut aller n'importe où -- il n'y a plus d'axe, ça ne tourne plus autour de l'axe. C'est intéressant. Plus d'axe!

Mais soudain, "l'ondulation" se concrétise et révèle ce qu'elle est bien: le constituant et le fondement de toute la réalité physique:

 

63.108 -- Il doit y avoir quelque chose de nouveau dans la conscience des agrégats cellulaires ... quelque chose, une nouvelle expérience qui doit être en train de se faire. Résultat: la nuit dernière, j'ai eu une série d'expériences fantastiques -- cellulaires -- que je ne peux même pas expliquer, et qui doivent être le commencement d'une nouvelle révélation ... Quand l'expérience a commencé, il y avait quelque chose qui regardait (tu sais, il y a tout le temps quelque chose qui regarde d'une façon un peu ironique, toujours amusée), qui a dit: "Bon! si cela arrivait à quelqu'un d'autre, on se croirait bien malade, ou à moitié fou!" Alors j'étais très tranquille et j'ai dit: "Bien, il faut laisser faire; je vais regarder, je vais voir -- je vais bien voir ..." Indescriptible! Indescriptible (il faudra que l'expérience se répète plusieurs fois pour que je puisse comprendre), fantastique! Cela a commencé à huit heures et demie et ça a duré jusqu'à deux heures et demie du matin, c'est-à-dire que pas une seconde je n'ai perdu la conscience et que j'étais là, à observer les choses les plus fantastiques. Je ne sais pas où ça va aller ... C'est indescriptible. N'est-ce pas, on devient une forêt, une rivière, une montagne, une maison -- et c'est la sensation DU CORPS, c'est la sensation tout à fait concrète du corps. Et beaucoup d'autres choses. Indescriptible.

(Question:) Une sorte d'ubiquité des cellules?

Oui. Une unité -- le sens de l'unité ... Il est évident que si cela devient une chose naturelle, spontanée et constante, la mort ne peut plus exister, même dans ce corps ... Il y a là quelque chose que je sens sans pouvoir l'exprimer ou le comprendre mentalement encore. Il doit y avoir une différence, même dans le comportement des cellules, quand on laisse son corps. Quelque chose d'autre doit se passer.

Si la conscience cellulaire n'est plus prise et enfermée dans le filet d'un corps, que se passe-t-il lorsque ce point de matière, qui est en parfaite continuité avec la totalité du corps terrestre, s'éparpille?

 

63.67 -- C'est une chose curieuse ... la vue est tout à fait différente de la vue physique: on voit en même temps à des milliers de kilomètres et tout près.

72.268 -- (Question:) Mais qu'est-ce que tu vois?

J'ai envie de dire: rien! Rien, je ne "vois" rien. Il n'y a plus "quelque chose qui voit", mais je SUIS une quantité innombrable de choses. Je VIS une quantité innombrable de choses. Et alors ... (ajoutait-elle en riant) c'est tant-tant-tant qu'il n'y a plus rien!

62.147 -- Tu ne sens pas, toi, comme quelque chose qui serait une super-électricité pure? ... Quand on touche ça, on voit que c'est partout, mais on ne s'en aperçoit pas.

Le "plasma" peut-être, dont les physiciens ne comprennent pas très bien les étranges propriétés?

Tel est l'"autre état", en abrégé. Maintenant il faut comprendre ses conséquences physiologiques et fonctionnelles -- "l'autre manière" -- et le mécanisme du passage: ce qui fait la barrière, comment on traverse. Mais on comprend tout de suite que l'on ne peut plus parler ici de philosophie ni de religion -- éclatées. Pendant des siècles, on nous a parlé de "spiritualistes" et de "matérialistes", mais de quelle matière s'agit-il, et de quel esprit?

Qu'est l'"esprit" du poisson pour l'amphibien? -- C'est une autre manière de respirer. La respiration pulmonaire, c'est la religion et la philosophie.

Que les philosophies et les religions soient éclatées est très rassurant: on ne s'embrouille plus.

Mais la science aussi!

Que vaut la physique ou même l'astrophysique du poisson pour une espèce d'un milieu complètement différent?

Toutes nos "lois" dans un petit bocal étaient simplement la mesure de notre impuissance; c'était un certain regard, fût-il électronique, à travers les parois de notre bocal. Et quand le bocal a sauté ? Quand il n'y a plus de "à travers"?

Darwin parlait bien de "confesser un meurtre."

Et pourtant, Mère appelait aussi cet autre état, "l'état divin" ou "l'amour", ou quelquefois encore "l'état tout-puissant", et ",ca" et ... Et encore "le supramental".

3. Le prochain règne

Après tout, pourrait-on se demander, quel est l'avantage de devenir une forêt ou une rivière si, dans cette vie quotidienne, nous continuons de trébucher et de tâtonner à la recherche de l'action juste, de la pensée exacte, la perception exacte, l'intuition vraie. Notre vie humaine est assiégée par l'erreur. Notre distinction parmi toutes les espèces n'est pas tant de disséquer les molécules, d'inventer des radars et de sonder l'espace, que de nous tromper. L'animal ne se trompe pas, il sait instantanément. Tout l'arsenal de notre science est en fait un gigantesque artifice pour tenter de combler l'absence d'une petite connaissance directe, simple, et de nous pourvoir d'un millier de bras et d'antennes et de mécanismes pour remplacer l'action immédiate. Nous sommes totalement impuissants au milieu d'une Machine qui est censée être puissante pour nous. Si la Machine fait défaut, nous sommes des sous-animaux.

 

63.2011 -- Quelque chose qui n'est même pas aussi harmonieux que les arbres ou qu'une fleur, quelque chose qui n'est même pas aussi tranquille que la pierre, même pas aussi fort que l'animal -- quelque chose qui est vraiment une déchéance. Cela, c'est vraiment l'infériorité humaine.

 

61.169 -- D'une façon répétée, Sri Aurobindo dit: "Sois simple ... sois simple", et quand il disait ces mots, c'était comme si une voie de lumière s'ouvrait, très simple: "Oh! mais il n'y a qu'à mettre un pas devant l'autre!" C'est curieux, c'était comme si toutes les complications venaient de là (Mère touche ses tempes), c'était très compliqué et très difficile à ajuster, et puis, quand il disait: "Sois simple", c'était comme une lumière qui venait des yeux, comme cela, comme si tout d'un coup on débouchait dans un jardin de lumière. Et quand je l'entends, ou que je le vois, c'est comme un ruissellement de lumière dorée, comme un jardin qui sent bon -- tout-tout-tout est ouvert. "Sois simple." Et je sais ce qu'il veut dire: ne pas laisser entrer cette pensée qui réglemente, organise, ordonne, juge -- il ne veut pas de cela. Ce qu'il appelle simple, c'est une spontanéité joyeuse: dans l'action, dans l'expression, dans le mouvement, dans la vie. N'est-ce pas, retrouver dans l'évolution cette espèce de condition qu'il appelait divine, et qui était une condition spontanée et heureuse.

Le nouveau fonctionnement

Avec les animaux, nous partageons quelque chose de très simple: la cellule. Même si nos acides aminés tissent des protéines d'homme plutôt que des protéines de souris, le fonctionnement est pareil. Ce qui diffère, c'est cette excroissance mentale, qui n'est peut-être finalement qu'une excroissance provisoire pour nous permettre de retrouver consciemment et individuellement le pouvoir qui est subconsciemment et collectivement au coeur de la cellule animale. Nous avons pris le moyen pour la fin, un peu comme le crabe qui prendrait ses pinces pour l'organe suprême de connaissance. Mais s'il y a une évolution et s'il y a un secret de l'évolution, si ces millions d'espèces, depuis le virus, qui furent jetées sur la face de cette bonne terre ont un sens -- et il faut bien admettre qu'il y a un sens progressif dans la connaissance du milieu ou des milieux successifs et du pouvoir sur le milieu, et peut-être dans la joie du milieu dont notre espèce manque particulièrement --, nous devons bien supposer que ce sens et ce pouvoir et cette connaissance et cette joie surtout, s'ils ne tombent pas du ciel, doivent se trouver cachés au coeur même du constituant primordial de la Matière: l'atome et la cellule. Seul ce qui est "involué" peut évoluer, dit Sri Aurobindo: la graine ou l'atome contient déjà son fruit. Et tout notre circuit évolutif, avec diverses pinces, antennes, cils vibratiles ou protubérances crâniennes en cours de route, n'a d'autre sens que de retrouver ce qui est là et qui fut, momentanément, recouvert par l'organe principal dont nous nous servions pour explorer l'extérieur du milieu. Le pouvoir de l'atome, nous l'explorons, indirectement, à travers nos pinces et cyclotrons, mais le pouvoir de la cellule et la connaissance de la cellule, nous ne les connaissons pas, parce que ça ne peut pas se manipuler de l'extérieur: il faut que ça se vive. Notre corps, c'est la chose que nous vivons le moins: la tête a pris toute la place, avec quelques passions plus ou moins heureuses.

Et pourtant, diable, s'il y a une évolution, c'est dans la Matière, notre matière, qu'elle doit se situer.

 

60.65 -- On a l'impression, parfois, qu'il y a un secret extraordinaire à découvrir et que c'est là presque sous les doigts, qu'on va attraper "la chose", savoir ... Quelquefois, une seconde, on voit le Secret; il y a une ouverture, et puis ça se referme. Et à nouveau, les choses se dévoilent, une seconde, et on sait un peu plus. Hier, le Secret était là, tout clair, tout grand ouvert. Eh bien, j'ai vu ce secret j'ai vu que c'est dans la Matière terrestre, sur la terre, que le Suprême devient parfait ...

Le "Suprême" ... quoi? Est "suprême" ce qui est la vie parfaite, la connaissance parfaite, le pouvoir parfait, la joie parfaite -- l'évolution parfaite.

 

... J'ai vu ce Secret -- qui devient de plus en plus perceptible à mesure que le supramental [l'autre état] se précise -- et je l'ai vu dans la vie extérieure de tous les jours, dans la vie physique que précisément toutes les spiritualités rejettent: une sorte de précision, d'exactitude jusque dans l'atome.

Cette vie imprécise, tâtonnante, indirecte, et douloureuse parce qu'elle ne sait jamais et n'a jamais le pouvoir de ce qu'elle voit, se pourrait-il qu'elle découvre son exactitude puissante, sa connaissance qui peut, sa vision opérante, au sein d'un corps terrestre, unitaire qui connaît son propre millionième d'atome et son propre millionième de seconde exacte, à New York comme à Hong Kong, comme dans le coin de sa propre chambre, comme dans les milliers d'êtres qui vivent, volent, marchent et rampent ou tourbillonnent dans un manteau d'électrons, parce que, ce corps, il est ses propres atomes et ses propres cellules n'importe où dans l'univers terrestre et à n'importe quelle seconde.

Telle est la "nouvelle manière" qui était en train de se fabriquer dans le corps de Mère, et, peut-être, à travers un corps, dans le corps de la terre tout entière. Nous en décrirons seulement quelques étapes suggestives.

 

67.23 -- Le corps est devenu transparent, pour ainsi dire, et presque inexistant, je ne sais pas comment dire ... ça ne fait pas obstacle aux vibrations: toutes les vibrations passent à travers. Et le corps lui-même a à peine la sensation de ses limites. C'est assez nouveau. Je vois que cela s'est produit assez progressivement, mais c'est assez nouveau, alors c'est difficile à exprimer. C'est le corps lui-même qui ne se sent plus limité: il se sent répandu dans tout ce qu'il fait, dans tout ce qui l'entoure, toutes les choses, les gens, les mouvements, les sensations, tout ça ... c'est répandu comme ça. C'est devenu très amusant. C'est vraiment nouveau. Il faut être un peu attentif et soigneux pour ne pas se cogner, pour tenir les choses: les gestes sont un peu flottants. C'est très intéressant. Et ce doit être une période de transition jusqu'au moment où la conscience véritable s'installera, alors elle aura un fonctionnement tout à fait différent de celui qu'elle avait auparavant, mais d'une précision que l'on peut prévoir comme incalculable, et d'un ordre très différent. Par exemple, pour beaucoup de choses, la vision est plus claire avec les yeux fermés qu'avec les yeux ouverts. Mais maintenant je vois, c'est dur de tenir le coup. C'est dur. Il y a eu des moments ... des angoisses, n'est-ce pas, ça se traduirait dans une conscience ordinaire par des douleurs physiques difficiles à supporter. Mais le résultat, c'est cela, c'est que, vraiment, le corps lui-même a changé de conscience: il n'y a plus rien là-dedans, c'est tout comme ça, comme quelque chose à travers quoi tout passe.

 

71.56 -- Quand le corps sort de "ça" [l'autre état], il a l'impression qu'il va se dissoudre la minute suivante, que c'est la seule chose qui le tienne ensemble. Pendant longtemps, on a l'impression que si l'ego disparaît, l'être disparaît, la forme disparaît, mais ce n'est pas vrai! Le difficile est que les lois ordinaires de la vie ne sont plus vraies. Alors là, il y a toute la vieille habitude, et il y a la nouvelle chose à apprendre. C'est comme si les cellules, l'organisation qui fait une forme que nous appelons humaine, qui tient tout cela ensemble, comme si cela devait apprendre que cela peut persister sans le sens de l'individualité séparée, et depuis des milliers d'années cela a l'habitude de n'exister séparé qu'à cause de l'ego -- sans ego ça continue ... par une autre loi que le corps ne connaît pas encore mais ... qui pour lui est incompréhensible. Ce n'est pas une volonté, je ne sais pas, c'est ... quelque chose: une manière d'être.

 

67.211 -- Maintenant que les cellules deviennent conscientes, elles se demandent beaucoup à quoi ça sert, tout cela: "Comment ça doit être vraiment, quel est notre fonction, notre utilité, notre base? Quelle est la manière divine d'être? Quelle différence y aura-t-il? ..." Et il y a une très subtile perception d'une manière d'être qui serait lumineuse, harmonieuse. Cette manière d'être, elle est encore très indéfinissable, mais dans cette recherche, il y a une constante perception (qui se traduit par une vision) d'une lumière multicolore, de toutes les couleurs -- de toutes les couleurs non pas par couches, mais comme si c'était une association par points de toutes les couleurs: un pointillement. Maintenant je vois cela constamment, associé à tout, et ça semble être ce que l'on pourrait appeler une "perception de la vraie Matière" ...

Il y a la vieille matière habituelle, vue à travers les parois de notre bocal, et puis l'autre ... sans-parois, sans yeux spéciaux de poisson ou d'homme: telle qu'elle est vue par elle-même, pourrait-on dire. Et "vu" implique encore un organe extérieur: telle qu'elle se vit elle-même ou telle qu'elle est -- la vraie Matière. Une perception qui serait très intéressante pour les physiciens.

 

... Toutes les couleurs possibles sont associées sans être mélangées, et associées par points lumineux. Tout est constitué de cela. Et ça paraît être le vrai mode d'être -- je ne suis pas encore tout à fait sûre, mais en tout cas c'est un mode d'être beaucoup plus conscient. Et je le vois tout le temps: les yeux ouverts, les yeux fermés, tout le temps. Et on a une curieuse impression, à la fois de subtilité, de pénétrabilité si l'on peut dire, de souplesse de forme et d'une diminution considérable de la rigidité des formes. Et le corps lui-même, la première fois qu'il a senti cela dans une partie ou l'autre, il a eu l'impression ... il est un peu perdu comme cela, l'impression de quelque chose qui échappe: Mais si l'on se tient bien tranquille, ça se remplace simplement par une sorte de plasticité, de fluidité qui semble être un mode nouveau des cellules. Ce serait probablement ce qui, matériellement, doit remplacer l'ego physique. Mais, n'est-ce pas, le premier contact est toujours très ... surprenant. C'est le moment du passage d'une manière à l'autre qui est un peu difficile. Ça se fait très progressivement, et pourtant il y a un moment, il y a quelques secondes qui sont ... le moins que l'on puisse dire, c'est "inattendues". Toutes les habitudes sont comme cela, défaites. Et pour tous les fonctionnements c'est comme cela: pour la circulation du sang, pour la digestion, pour la respiration -- toutes les fonctions. Et au moment du passage, ce n'est pas que l'une remplace brusquement l'autre, mais c'est un état de fluidité entre les deux, qui est difficile. Et je vois que pendant des années, le corps et toute la conscience corporelle se reprécipitaient dans l'ancienne manière comme salut, pour échapper; et maintenant on a obtenu qu'il ne le fasse plus, qu'il accepte au contraire: "Eh bien, si c'est la dissolution, c'est la dissolution." On a l'impression que toute la stabilité habituelle disparaît ... La grande aventure.

Il ne faut pas avoir froid aux yeux.

 

66.221 -- Il y a toutes sortes de petits désordres qui viennent, mais qui sont visiblement, pour la conscience, des désordres de transformation; il y a quelque chose qui sait pertinemment que le désordre est venu pour faire le passage du fonctionnement automatique ordinaire au fonctionnement conscient sous la direction directe et l'influence directe du Suprême ["ça", l'autre état]. Et quand ce point-là est arrivé à un certain degré de transformation, on passe à un autre point, puis à un autre, puis à un autre ... Alors rien n'est fait jusqu'à ce que ... tout soit prêt. Et tout est une question de changer l'habitude. Toute l'habitude automatique des millénaires doit être changée en une action consciente et directement guidée.

 

67.224 -- La difficulté, c'est toujours la transition: si le souvenir de l'autre méthode (la méthode ordinaire, la méthode universelle de tous les êtres humains) vient, tout d'un coup c'est comme si -- c'est tout à fait étrange --, comme si le corps ne pouvait plus rien faire, absolument comme s'il allait s'évanouir. Alors immédiatement il réagit et l'autre mouvement reprend le dessus.

 

61.26 -- C'est une drôle de chose, ça me prenait tout d'un coup: je ne savais plus monter les escaliers! je ne savais plus comment on faisait pour monter! Ça m'a pris aussi une fois au milieu du déjeuner: je ne savais plus comment il fallait manger! Naturellement, pour le monde extérieur, c'est ce qui s'appelle "retomber en enfance". Mais ce qui est nécessaire, c'est de tout abandonner, tout: tout pouvoir, toute compréhension, toute intelligence, toute connaissance, tout-tout, devenir parfaitement non-existant. Ça, c'est important.

Evidemment, tant que l'on garde le pouvoir de la vieille espèce et la connaissance de la vieille espèce, on ne peut pas devenir l'autre -- c'est le mur instantané, la vieille paroi du bocal.

 

69.2112 -- Ce pauvre corps ne peut rien dire parce qu'il ne sait pas. Tout ce qu'il croyait avoir appris pendant quatre-vingt-dix ans, on lui a démontré d'une façon tout à fait claire que cela n'avait aucune valeur! et que tout est à apprendre. Alors il est comme cela, de bonne volonté, mais absolument ignorant.

 

70.184 -- Il y a des moments où le corps ne peut même pas se tenir debout, et pour une raison qui n'est pas ... Il n'obéit plus aux mêmes lois que les lois qui nous font tenir debout, alors ...

 

67.309 -- C'est le transfert. Ce matin, toutes les actions, tous les gestes, tous les mouvements, l'attitude du corps, l'attitude des cellules, la conscience absolument matérielle, pour tout-tout: la vieille méthode était partie. Il n'y avait plus que "ça", quelque chose, comment dire? ... égal. Il n'y avait plus de heurts ni de grincements ni de difficultés, et tout comme cela, dans un même rythme, et quelque chose qui est si égal et qui donne l'impression d'être si doux, n'est-ce pas, avec une puissance FORMIDABLE, dans la moindre chose. Ce transfert a été constant, sans mélange, pendant à peu près quatre heures. Toutes les choses: toilette, nourriture, tout cela, maintenant ce n'est plus de la même manière, je ne sais pas comment expliquer ... Plus de souvenir, plus d'habitudes. Les choses ne se font pas parce qu'on a appris à les faire comme cela: spontanément, c'est fait par la conscience. C'est remplacer le souvenir, la mémoire, l'action par ... la nouvelle méthode de conscience qui sait la chose JUSTE au moment de la faire: "Ça, c'est à faire." Ce n'est pas: "Ah! il faut aller là-bas", non: à chaque minute on est où l'on doit être, et puis quand on arrive à l'endroit où l'on doit aller: "Ah! c'est là."

L'oiseau qui quitte les neiges arctiques pour les lagunes de Ceylan ne "cherche" pas où il doit aller: à chaque seconde, il est là où il faut parce que ... parce que la carte du monde se déroule en lui, ou lui se déroule dans la géographie directe. On dit "l'instinct", mais c'est notre sottise mentale: l'instinct du monde c'est qu'il est le monde, totalement, sans parois. Et Mère d'ajouter:

 

... Et on comprend bien pourquoi les saints, les sages, ceux qui voulaient se sentir tout le temps dans cette atmosphère divine, pourquoi ils avaient supprimé toutes les choses matérielles: parce qu'ils n'étaient pas transformés, et alors ils retombaient dans l'autre manière d'être. Mais transformer cette matière, c'est incomparablement supérieur! cela donne une stabilité, une conscience et une REALITE extraordinaires: les choses deviennent la vraie vision, la vraie conscience, ça devient si concret, si réel [oui, la vraie Matière]. Rien-rien d'autre ne peut donner cette plénitude. Echapper, s'enfuir, rêver, méditer, entrer dans les consciences supérieures, c'est très bien, mais ça a l'air pauvre à côté, si pauvre, si pauvre!

 

68.45 -- Toute la base solide qui fait la personne corporelle, hop! partie, enlevée. Par exemple, j'ai eu une abolition totale de la mémoire, alors ... Maintenant, j'ai l'habitude, alors toutes les cellules restent comme cela, immobiles, silencieuses et exclusivement tournées vers la Conscience, puis attendent. N'est-ce pas, tout ce que l'on fait, tout ce que l'on sait, tout est basé sur une sorte de mémoire semi-consciente qui est là -- ça: parti. Et alors plus rien. Et c'est remplacé par une sorte de présence lumineuse et ... les choses sont là on ne sait comment. Et elles sont là sans effort. Et il n'y a que JUSTE ce qui est nécessaire au moment voulu. Il n'y a pas tout ce bagage que l'on traîne derrière soi tout le temps: il y a JUSTE la chose dont on a besoin.

 

61.186 -- Et au moment où la solution doit venir, elle vient: elle vient en faits, en actes, en mouvements.

 

69.52 -- Il n'y a plus tout ce fatras accumulé de soi-disant connaissance. C'est spontané, c'est naturel, ce n'est pas sophistiqué du tout, c'est très-très simple et presque enfantin dans sa simplicité.

 

70.58 -- Tu comprends, toutes les impossibilités, tous les "ça ne peut pas être", "ça ne peut pas se faire ...", tout cela est balayé.

 

69.263 -- C'est la conscience qui travaille constamment [celle de l'autre état], et non pas comme une suite de ce qui était avant, mais comme un effet de ce qu'elle perçoit À CHAQUE INSTANT. Dans le mouvement mental ordinaire, il y a la conséquence de ce que l'on a fait avant -- ce n'est pas cela: c'est la conscience qui voit CONSTAMMENT ce qui est à faire, c'est la conscience qui, à chaque seconde, suit -- elle suit son propre mouvement. Ça permet tout! C'est justement cela qui permet les miracles, les renversements ... ça permet tout!

Est-ce que la mort, les maladies, les "impossibilités" physiques, les "lois", tout, ne serait pas la cristallisation d'une certaine mémoire ... fausse, celle de la fausse matière? celle d'un certain bocal. Une habitude qui tourne en rond.

 

69.2211 -- Ce qui empêche, c'est une vibration "concentrique", une espèce de vibration concentrique, c'est-à-dire qu'au lieu d'être dans une éternité infinie, les choses sont regardées par rapport à soi. C'est cela qui empêche. C'est l'imbécillité égocentrique.

 

62.121 et 64 -- C'est un fonctionnement extrêmement délicat, probablement parce qu'il n'est pas accoutumé: un tout petit mouvement, une toute petite vibration mentale dérange tout ... C'est-à-dire la vieille façon de se conduire avec son corps (on "veut" ceci et on "veut" cela et on veut ...), de la minute où ça montre son nez, tout s'arrête. Simplement un mouvement ordinaire, le mouvement du fonctionnement ordinaire, quand, par une sorte d'habitude, on glisse là-dedans, tout s'arrête. C'est tout petit, ce ne sont pas des choses qui se voient facilement, c'est ténu-ténu-ténu. Alors il faut attendre que cette mécanique veuille bien s'arrêter. Et quand on a rattrapé "ça", quand on peut rester là-dedans quelques secondes, c'est merveilleux, et puis encore, ça s'enraye, encore tout à recommencer.

 

62.2711 -- Ça commence à obéir à une autre loi. Par exemple, savoir juste à la minute ce qu'il faut faire, ce qu'il faut dire, ce qui va arriver -- s'il y a la moindre attention ou concentration pour le savoir, cela ne se produit pas. Si on est comme cela, simplement dans cette sorte d'immobilité intérieure, alors pour tous les petits détails de la vie, juste à la minute nécessaire, on sait: ce qu'il faut dire vient; ce qu'il faut répondre est là; la personne qui entre, elle entre. C'est une sorte de chose automatique qu'on fait. Dans le monde mental, on pense la chose avant de la faire; là, ce n'est pas comme cela.

 

70.184 -- Par exemple, si l'on ne veut pas que je dise quelque chose, au lieu de passer par la pensée: "Il ne faut pas dire" -- je ne peux plus parler! Et toutes sortes de choses comme cela. Le fonctionnement est direct.

 

66.67 -- On en revient toujours à cela: être, c'est la seule chose qui ait du pouvoir.

 

La vision tactile

On conçoit que la vie puisse être spontanée, "automatique", harmonieuse comme l'est celle des animaux -- ce serait déjà un changement si formidable dans notre espèce pourvue d'horloges, de docteurs, de téléphones, que nous avons de la peine à l'imaginer. On conçoit qu'à chaque seconde, l'on sache le geste exact, la parole exacte et tout ce qui est à savoir dans le monde, comme l'oiseau qui "sait" la lagune là-bas, à sept mille kilomètres. Mais quel sera notre moyen d'action, à part de se laisser bercer dans le grand rythme? ... Notre distinction parmi les autres espèces est de pouvoir changer le monde, ce que l'animal ne peut pas, probablement parce qu'il est parfaitement harmonieux et heureux dans sa routine. Notre malheur est quelquefois notre pouvoir. Et il est probable que notre malheureux détour évolutif par le bocal mental d'où nous nous sommes coupés de tout, séparés de tout et où nous avons du tout inventer pour rapprocher ce que nous avons éloigné de nous, tout mécaniser pour remplacer le simple organe manquant, avait pour but non seulement de nous rendre individuellement conscients mais, par notre malheur même, de nous obliger à vaincre les "lois" (nous ne les avons pas vaincues: nous les avons seulement déjouées parce que nous ne connaissons pas leur ressort intime, la "clef directe" comme disait Mère), et de nous permettre finalement de toucher le ressort vrai, le levier qui changera la ronde biologique -- ce que l'animal ne peut pas -- et la mort. Le pouvoir même qui a fait les galaxies et les cellules doit bien avoir le pouvoir de changer ces mêmes cellules et d'en faire un organisme un peu plus complet et un peu moins dissolvant.

Le nouvel "organe" d'action, il est très simple, comme il fallait bien s'y attendre. Ce ne sont ni des mandibules ni des circonvolutions cérébrales: c'est d'être. Un "être" qui n'a rien à voir avec la métaphysique mais tout avec la physiologie et la conscience cellulaire. Ici aussi, nous nous contenterons de relever quelques étapes de la formation de cet organe:

 

64.1010 et 66.263 -- Par exemple, je ramasse un papier: je vois clair comme je voyais avant; alors vient la vieille habitude (ou l'idée ou le souvenir) qu'il faut que je prenne une loupe pour voir ... je ne vois plus! Puis J'OUBLIE qu'il s'agit de voir ou de ne pas voir,. alors je peux faire mon travail très bien -- je ne m'aperçois pas que je vois ou que je ne vois pas! ... Et pour tout, c'est comme cela.

Une fois de plus, nous sommes saisi par cette espèce de mémoire ou de souvenir qui fait qu'on est aveugle ou malade ou mourant, et puis cette mémoire s'en va et ce n'est plus! Ça n'existe plus: on voit très bien, on n'a plus de cancer et on ne meurt pas du tout. La prochaine espèce, c'est celle qui perdra le souvenir de la mort. Et Mère ajoute:

 

... C'est l'apparente incohérence. Cela doit dépendre d'une autre loi que, pour le moment, je ne connais pas et qui gouverne le physique.

 

66.93 et 3011 -- La perception de la réalité intérieure des gens est infiniment plus précise qu'avant. Je vois une photographie, par exemple, il n'est plus question de voir "à travers" quelque chose: je vois presque uniquement ce qu'EST cette personne. Le "à travers" diminue au point que, parfois, cela n'existe pas du tout: je vois tout d'un coup la photo qui devient vivante, avec les trois dimensions, et la tête de la personne qui sort! C'est vraiment curieux, c'est comme si l'on voulait m'apprendre à voir d'une autre façon.

C'est-à-dire qu'il n'y a pas besoin d'yeux du tout ni de rétine pour voir, ni de "à travers" quoi que ce soit, comme si toute l'évolution avait fabriqué des organes successifs et des visions successives pour voir à travers un certain milieu, et puis le bocal se brise et on arrive au "milieu" de tout et au seul organe.

 

65.26 -- C'est assez étrange, cette vision. C'est toujours comme s'il y avait un voile entre moi et les choses [ce "voile", nous en reparlerons: c'est probablement la barrière cellulaire qui nous sépare de l'autre état], et puis tout d'un coup, sans raison apparente, une chose devient claire, précise, nette -- la minute d'après, c'est fini. Quelquefois, c'est un mot qui brille dans une lettre, quelquefois c'est un objet. Et c'est une autre qualité de vision: c'est comme si la lumière qui éclaire était dedans au lieu d'être dessus -- ce n'est pas une lumière de réflexion, ce n'est pas lumineux comme une bougie, par exemple, mais au lieu d'être une lumière projetée, ça a sa propre lumière, qui ne rayonne pas. Cela devient de plus en plus fréquent, mais avec un illogisme parfait. C'est-à-dire que je n'en comprends pas la logique. Et d'une précision de vision extraordinaire! avec la pleine compréhension de la chose vue en même temps qu'on la voit. Par exemple, ce matin dans le cabinet de toilette sans lumière, j'ai vu ce phénomène: une bouteille dans l'armoire, qui est devenue si claire, si ... d'une vie intérieure! Ah! je me suis dit tiens! -- la minute d'après c'était passé. C'est évidemment la préparation à une vision par la lumière intérieure au lieu d'une lumière projetée. Et c'est très ... oh! c'est chaud, c'est vivant, c'est intense, et c'est d'une précision! Tout se voit en même temps: non seulement la couleur et la forme mais le caractère de la vibration dans un liquide -- c'était admirable!

Et qu'est-ce que cette "lumière intérieure" dans la matière, dans un liquide? -- La vraie matière? ... telle qu'elle est, sans organe déformant, sans "à travers".

 

70.31 et 72.81 -- La connaissance est remplacée d'une étrange façon par une chose qui n'a rien à voir avec la pensée et de moins en moins avec la vision, quelque chose de supérieur qui est un genre de perception nouveau: on sait. C'est très au-dessus de la pensée, c'est au-dessus de la vision, c'est une sorte de perception: il n'y a plus de différenciation des organes. Et c'est une perception, oui, qui est totale: qui est à la fois vision, ouïe, connaissance. Quelque chose qui est un nouveau genre de perception. Alors là, on sait. Ça remplace le savoir. Une perception tellement plus vraie mais tellement nouvelle que je ne sais pas comment l'exprimer.

 

62.610 -- Quand je regarde les gens, je ne les vois pas comme ils se voient: je les vois avec la vibration de toutes les forces qui sont en eux et qui passent à travers eux. Et c'est cela qui fait que ma vue physique est en train, non pas de disparaître mais de changer de caractère, parce que les précisions physiques de la vue physique normale sont mensongères pour moi! Mais cela ne m'empêche pas de voir physiquement. Si j'essaye d'enfiler une aiguille en regardant, par exemple, c'est littéralement impossible, mais s'il est nécessaire que j'enfile une aiguille, elle s'enfile d'elle-même! Je n'y suis pour rien: je tiens l'aiguille, je tiens le fil, c'est tout. Je pense que si cet état se perfectionne, on doit pouvoir tout faire par l'AUTRE MOYEN, le moyen qui ne dépend pas des sens extérieurs, et alors là, évidemment, ce sera le commencement d'une expression supramentale. Parce que c'est une sorte de connaissance innée qui FAIT les choses.

Peut-être la connaissance innée qui "fait" tout le monde et chaque espèce: une connaissance innée au coeur de chaque cellule et chaque atome? L'atome d'hélium sait parfaitement ses deux électrons. Et nous demandions à Mère:

 

(Question:) Mais est-ce qu'une "voyante" ne verrait pas comme cela?

Non-non! ce n'est pas toutes les visions que j'ai eues. Ce n'est pas une "vision"! Je ne peux même pas dire que ce soit une image: c'est une connaissance. Je ne peux même pas dire que ce soit une "connaissance": c est quelque chose qui EST TOUT à la fois, qui contient sa vérité.

 

63.318 -- Le sens du "concret" disparaît de plus en plus, c'est comme quelque chose qui est loin-loin dans un passé irréel; et cette sorte de "concret" sec et sans vie [c'est-à-dire notre perception humaine de la Matière] est remplacée par quelque chose de très simple, très complet dans le sens que tous les sens fonctionnent en même temps, et très INTIME avec tout. Avant, chaque chose était séparée, divisée, sans connexion avec l'autre, et c'était très superficiel, comme une pointe d'aiguille. Cela ne fait plus du tout cela. Et cela donne surtout l'impression d'une intimité, c'est-à-dire qu'il n'y a pas de distance, il n'y a pas de différence, il n'y a pas "quelque chose qui voit" et "quelque chose qui est vu", et pourtant il y a là-dedans ce qui correspond à la vision, à l'audition, à la sensation, à toutes les perceptions, au goût, à l'odorat ... Ce qui empêche que le fonctionnement soit parfait, ce sont toutes les vieilles habitudes. Si l'on pouvait se laisser aller sans vouloir "bien voir", "bien entendre", on aurait l'autre perception, qui est beaucoup plus VRAIE ... Et toujours cette impression de quelque chose qui n'a pas de heurts, pas de chocs, pas de complications, comme si l'on ne pouvait plus se cogner, on ne pouvait plus ... C'est tout à fait intéressant.

 

72.121 -- Quand ça vient, ce n'est pas comme des pensées, ce n'est pas cela: c'est comme si j'étais BAIGNEE DEDANS, et alors ... Je ne sais pas, ce n'est pas quelque chose que je "vois" -- qui est étranger à moi et que je vois --, c'est ... je SUIS tout d'un coup ça. Et alors il n'y a plus de moi-toi, plus de ... Et ces expériences-là, je ne trouve pas de mots pour les dire. N'est-ce pas, j'ai perdu la capacité de la mémoire, mais je sens que c'est exprès, que ma vision des choses serait beaucoup moins spontanée et sincère si je me souvenais. C'est toujours comme une nouvelle révélation, et pas de la même manière. C'est cela: on DEVIENT la chose -- on la devient. On ne la "voit" pas, ce n'est pas quelque chose que l'on voit ou que l'on comprend ou que l'on sait, c'est ... quelque chose que l'on est.

 

66.145 -- Ce qui arrive ici [dans notre vision rétinienne de la Matière, que nous pourrions appeler la "fausse matière"], ce que nous décrivons, c'est si brutal, sans finesse, grossier, comme une statue mal taillée; c'est rude, c'est grossier, c'est exagéré; et c'est déformé par ce sens de la séparation de l'ego. Mais LA, je ne sais pas comment expliquer cela, là tout est UN, c'est une seule chose qui prend toutes sortes de formes, mais pas avec un centre qui sent et un autre centre qui voit et un autre centre qui comprend; ce n'est pas cela: c'est tout UNE substance d'une souplesse inexprimable et qui s'adapte à tous les mouvements de tout ce qui se passe, sans séparation. Et alors, ça vous laisse dans un état qui dure pendant des heures et où je suis dans ce monde [le nôtre] et pourtant je n'y suis pas. Parce que ... je ne sens pas comme le monde sent. C'est une très étrange chose.

Mais c'est exactement la vision du continuum physique!

 

68.86 -- Je vois maintenant ... Ce serait comme une unité, une unité qui est d'innombrables -- des milliards, n'est-ce pas --, d'innombrables points brillants. Une SEULE conscience faite d'innombrables points brillants conscients d'eux-mêmes. Et ce n'est pas le total de tout cela! Ce n'est pas un total: c'est une unité. Mais c'est une unité innombrable. Et du fait même de dire des mots, cela devient idiot!

 

64.268 -- Tout devient une conscience VIVANTE, chaque chose émane sa propre conscience et existe à cause de ça. Par exemple, savoir exactement, une seconde ou une minute avant dans la conscience: la pendule va sonner, quelqu'un va entrer, quelqu'un va bouger ... Et ce sont des choses qui ne sont pas mentales, qui appartiennent au mécanisme, et pourtant ce sont tous des phénomènes de conscience: ce sont les choses qui VIVENT, qui vous FONT SAVOIR où elles sont, où elles se trouvent. Tout un monde de petits microscopiques phénomènes qui sont une autre manière de vivre, et qui paraît être le produit de la conscience sans ce que nous appelons la "connaissance". Par exemple, de temps en temps, j'entends les gens parler d'une chose, d'une autre et dire: "Ce sera comme cela et comme cela", immédiatement il y a une sorte de vision tactile (comment expliquer cela? ...) Cela ressemble au toucher et à la vision, et ce n'est ni le toucher ni la vision, ce sont les deux ensemble: c est la chose TELLE QU'ELLE EST, c est ÇA. C est une conscience où l'élément mental est absent. Et c'est si clair! d'une précision, oh! infinitésimale, c'est comme un contact immédiat avec la chose telle qu'elle est. C'est une autre manière de vivre.

 

63.411 -- Tout devient comme si c'était vu pour la première fois et sous un angle tout à fait différent -- tout-tout: les caractères des gens, les circonstances, même le mouvement de la terre et des astres, tout est devenu tout à fait nouveau et ... inattendu, en ce sens que toute la vision humaine mentale: complètement partie! Alors les choses sont beaucoup mieux!

(Question:) Mais est-ce que c'est une vision d'un "autre monde"?

Cette nouvelle vision des choses ... ce n'est pas sortir de la Matière pour voir le monde d'une autre façon (cela a été fait depuis longtemps, n'est-ce pas, par tous les sages et les voyants, ce n'est rien de nouveau et ce n'est pas merveilleux), ce n'est pas cela: c est la MATIERE qui se regarde elle-même d'une façon toute nouvelle, et c'est cela qui est amusant! -- Elle revoit toute l'affaire tout à fait différente.

Le grand corps

L'aspect visuel du nouvel organe, même son aspect tactile et la connaissance directe qu'il apporte, nous pouvons les comprendre, mais nous ne pouvons pas nous empêcher de penser que c'est une certaine dame, un peu excentrique, dans son fauteuil, qui touche ou voit "à distance" par une espèce de télé-vision bizarre, et tactile par-dessus le marché. Mais c'est parce que nous n'avons pas compris la réalité du phénomène. Il n'y a pas de "distance", la certaine dame est tout à fait excentrique! L'onde électromagnétique n'est pas plus située dans un fauteuil (ou pas moins) que les atomes de nos molécules ne sont séparés des petits atomes voisins, sauf par une illusion d'optique provisoire et binoculaire -- c'est la grande illusion séparatrice dans laquelle nous vivons. On peut seulement dire qu'il y a un certain centre préférentiel ou pratique plutôt qui ramène dans un certain fauteuil situé à Pondichéry une innombrable expérience ou une innombrable existence. Le centre n'est pas dissous puisqu'il continue à vaquer à ses occupations et à rire et à nous raconter son histoire dans un corps parfaitement physiologique, mais ce même centre peut être provisoirement n'importe où selon les besoins de l'action -- y être réellement: pas en pensée ni en vision ni en quelque "télé" que ce soit, mais physiologiquement et atomiquement (et de bien d'autres façons). Alors on s'explique le mode d'action de l'être supramental ou de notre prochaine espèce. L'être supramental est d'abord un être agissant, suprêmement et directement agissant, contagieux pourrait-on dire. Ce n'est pas du tout une sorte de super-théâtre qu'il s'offre dans son fauteuil (et il faut bien dire que le théâtre, dans les conditions actuelles, n'est pas drôle, il est même douloureux), c'est une super-action immédiate et transformatrice: ce que l'on fait dans son propre corps, on le fait dans le corps de tout le monde comme chez soi, puisqu'on est ce corps-ci, et ce corps-là et d'innombrables corps (et pas seulement des corps).

Le mieux est de suivre la courbe du phénomène dans le corps de Mère, avec tous ses tâtonnements. N'est-ce pas, les explications viennent après; sur le moment, c'est bizarre.

Ce premier cri:

 

63.107 -- Pour que tout cela change, il faudrait un pouvoir direct! Il faudrait un pouvoir qui se fasse sentir directement, c'est-à-dire de cellule à cellule: vibrations de même qualité.

La réponse allait vite venir brutalement: une hémorragie cérébrale ... dans le corps de quelqu'un d'"autre".

 

63.64 -- J'ai la conscience de mon corps, mais ce n'est pas la conscience de ça (Mère touche son corps): c'est la conscience DU corps -- ce peut être le corps de n'importe qui! J'ai la conscience de ces vibrations de désordre, qui viennent le plus souvent sous forme de suggestions de désordre: par exemple, une suggestion d'hémorragie. La conscience corporelle refuse. La bataille commence à se livrer (tout cela, tout en bas, dans les cellules et la conscience matérielle), entre ce que nous pouvons appeler "la volonté d'hémorragie" et la réaction des cellules du corps. Et alors, c'est tout à fait comme une vraie bataille, un vrai combat. Mais tout d'un coup, le corps se sent pris d'une très forte détermination et il proclame un ordre, et puis voilà que l'effet commence à se produire et, petit à petit, tout rentre dans l'ordre. Tout cela se passe dans la conscience matérielle. Physiquement, ce corps a toutes les sensations, mais pas l'hémorragie, tu comprends; mais il a les sensations, c'est-à-dire tous les effets sensoriels. Bon. Une fois que la bataille est passée, je regarde tout cela, je vois mon corps (qui a été suffisamment secoué, note) et je me dis: "Qu'est-ce que ça peut bien être que tout cela? ..." Quelques jours après, je reçois une lettre de quelqu'un, et dans la lettre: toute l'histoire, de l'attaque, de l'hémorragie, et tout d'un coup de l'être pris par une volonté formidable et qui entend les mots -- les mots qui ont été prononcés ICI. Et l'effet: sauvé, guéri. Je me souvenais de mon événement (! ) Et alors j'ai commencé à comprendre que mon corps, c'est partout! N'est-ce pas, ce n'est pas une question de juste ces cellules-là: ce sont des cellules, et ma foi dans beaucoup, des centaines et peut-être des milliers de gens ... C'est LE corps! Et cela, c'est si difficile à faire comprendre aux gens. C'est LE corps -- celui-ci n'est pas plus mon corps que les autres corps. Et alors, il est tout le temps pris de choses comme cela, tout le temps, tout le temps, qui tombent dessus, d'un côté, de l'autre, de tous les côtés.

 

71.242 -- C'est décentré, tout à fait décentré ...

 

68.207 -- Par exemple, il arrive je ne sais combien de fois par jour: tout d'un coup, la conscience d'un désordre, d'une douleur ou d'une souffrance quelque part -- quelque part dans une partie, mais pas une partie enfermée là-dedans (Mère désigne son propre corps), mais comme dans un corps immense, un endroit. Et après un moment, j'apprends que telle personne ou telle autre a eu tel mal ou tel mal ... qui a été senti comme faisant partie de ce corps immense!

 

70.281 -- C'était une nuit assez particulière ... Le corps, la conscience du corps, était la conscience d'un corps qui meurt, et en même temps avec une connaissance parfaite qu'il ne mourait pas! Mais c'était la conscience d'un corps qui meurt, avec toutes les angoisses, toutes les souffrances, toutes les choses, mais il y avait la conscience que ce n'était pas ça (le corps de Mère) qui mourait. Et ça a duré longtemps, ça a duré toute la nuit. Et après, j'ai appris que X est mort de très bonne heure le matin. Alors j'ai compris ...

Mais c'est comme cela aussi que Mère allait peu à peu toucher au mécanisme de la mort et à la clef. Car s'il s'agit de transformer la Matière, la mort est certainement la première chose à transformer. Cette clef-là est la clef de tout le reste. C'est peut-être bien la clef du bocal.

L'expérience continue:

 

61.187 -- C'est une inondation qui me vient du dehors! Et un mélange! de tous les côtés, de tous les gens, et pas seulement d'ici: de loin-loin sur la terre, et quelquefois de loin dans le temps -- loin dans le temps, dans le passé, des choses du passé qui viennent pour être rangées, mises à leur place. Et alors c'est un travail constant et ... C'est tout le temps comme si l'on attrapait une nouvelle maladie et qu'il faille la guérir.

 

68.2610 -- Il y a d'innombrables expériences, par douzaines tous les jours, montrant que c'est l'identification ou l'unification avec les autres corps qui fait qu'on sent la misère de celui-ci, la misère de celui-là ... C'est un FAIT. Et non pas comme étant d'un autre corps mais comme le sien propre. C'est-à-dire que maintenant, il est difficile de faire une distinction. Alors ce n'est pas la plainte de sa propre misère, c'est TOUT qui est sa misère!

 

63.289 -- Cette souffrance, cette misère générale est une chose qui devient presque insupportable, comme une sorte d'angoisse aiguë -- qui est certainement une nécessité pour en sortir. Pour en sortir, c'est-à-dire pour guérir, pour changer -- pas pour s'enfuir. Je n'aime pas les fuites. C'était ma grande objection aux bouddhistes: tout ce que l'on vous conseille de faire, c'est simplement pour vous donner la possibilité de vous enfuir -- ce n'est pas joli. Mais changer, oui.

Changer le fonctionnement mortel de cette matière.

Et le phénomène d'identification ou d'unification ne se limite pas à des êtres vivants humains, il englobe les circonstances aussi et les événements "mécaniques" de la vie -- en fait, il englobe tout.

 

66.179 -- Il y a une nouvelle activité. Je suis en train ... je m'attrape en train de faire quelque chose, pour être exacte; je suis en train de parler à des gens que la plupart du temps je ne connais pas, puis de décrire une scène: ils peuvent faire telle et telle chose, et ça finira par telle et telle chose. Ce sont comme des scènes de livre ou des scènes de cinéma. Puis, dans la journée ou le lendemain, quelqu'un me dit: j'ai reçu un message de vous et vous m'avez dit qu'il fallait écrire à telle personne et lui dire telle chose! Et je ne le fais pas mentalement, pas du tout: je VIS -- je vis une scène ou je raconte une scène, et c'est reçu par quelqu'un d'autre (et je ne pense pas du tout à cette personne!). Et ça se passe ici, en France, en Amérique, partout. Ça devient amusant ... Quelqu'un m'écrit: "Vous m'avez dit ça", et c'est l'une de mes "scènes"! Une des scènes que j'ai vécue -- pas vécue: à la fois vécue et fabriquée. Je ne sais pas comment expliquer cela. C'est comme un travail de modelage. Et il y a des histoires de pays, il y a des histoires de gouvernements; et là, je ne sais pas le résultat -- peut-être que dans quelque temps on verra. Et dans ce genre d'activité, j'ai toutes sortes de connaissances que je n'ai pas! même quelquefois des connaissances médicales ou des connaissances techniques que je n'ai pas du tout! et que j'ai, n'est-ce pas, puisque je dis: "C'est comme cela et comme cela qu'il faut faire." C'est assez amusant.

 

64.151 -- Et tout cela se passe EN PLEIN JOUR, pas quand je dors. Cette histoire-là [une des innombrables histoires] m'est arrivée, je venais juste de prendre mon bain! C'est tout d'un coup quelque chose qui vient, qui me prend, et alors c'est une sorte de vie dans laquelle je vis, jusqu'à ce que quelque chose soit fait -- une action --, et quand cette action est faite, tout s'en va, sans laisser de trace.

 

71.177 et 217 -- Cette histoire de l'Amérique et de la Chine, par exemple [visite secrète de M. Kissinger en Chine], et toutes sortes de choses comme cela, sont venues de cette façon ... C'est curieux. Une sorte d'universalisation. Comment expliquer? ... C'est comme si j'étais DEVENUE les circonstances, les gens, les paroles, les ... Le corps est de plus en plus conscient, mais pas à la manière mentale du tout, comme ... comme des choses vécues. Je ne sais pas comment expliquer.

 

66.1911 -- Ce ne sont pas des paroles, ce ne sont pas des pensées, et c'est quelque chose de tout à fait concret qui vient comme sur un écran. Et c'est un écran qui est À L'INTERIEUR de ma conscience: ce n'est pas en dehors, c'est à l'intérieur. Et les choses viennent comme cela. Si j'étais dans une conscience superficielle, je me dirais: "Pourquoi est-ce que je pense à cela?" Mais je n'y "pense" pas et ce n'est pas une pensée, c'est ... une vie qui s'organise (Mère fait un geste de modelage). C'est très intéressant. Et depuis la plus petite chose jusqu'à la plus grande: les cyclones, les tremblements de terre, les révolutions, tout cela, et puis de toutes petites choses, toutes petites, une toute petite circonstance de la vie, comme une offrande d'argent, un cadeau que l'on m'a envoyé, de toutes petites choses apparemment sans aucune importance: tout se présente avec la même valeur! Il n'y a pas de "grand", de "petit", d'"important", de "pas important". Et c'est tout le temps comme cela. C'est curieux. C'est presque ... un souvenir d'avance.

 

71.1711 et 70.58 -- C'est comme si la conscience n'était pas dans la même position vis-à-vis des choses, alors elles apparaissent tout à fait différentes. La conscience humaine ordinaire, même si elle a les idées les plus larges, est toujours au centre, et les choses existent par rapport à un centre: dans la conscience humaine, on est dans un point et toutes les choses existent dans leur relation avec ce point de conscience. Et maintenant, le point n'existe plus! alors les choses existent en elles-mêmes. N'est-ce pas, ma conscience est DANS les choses, elle n'est pas quelque chose qui "reçoit". J'ai presque l'impression de me mouvoir au-dedans de vous, comme si c'était du dedans que je faisais. Je n'ai plus l'impression des limites de mon corps ... Je ne sais pas comment dire? Oui, c'est presque comme si c'était devenu fluide. Et ce n'est pas comme une personne qui se serait agrandie pour prendre les autres au-dedans d'elle, ce n'est pas cela: c'est une force, une conscience qui est REPANDUE sur les choses. Je n'ai pas la sensation d'une limite: j'ai l'impression d'une chose qui est répandue, même physiquement.

 

La contagion supramentale

Dès lors, la clef de l'action supramentale apparaît. Et peut-être devrait-on parler d'une contagion plutôt que d'une action: vraiment un pouvoir "de cellule à cellule".

 

63.207 -- J'ai une sorte de certitude [disait Mère lorsqu'elle en était encore au tout début du travail infinitésimal sur les cellules, en train de chercher le passage à travers la barrière cellulaire], une certitude que lorsque ce travail microscopique sera terminé, le résultat sera presque foudroyant. Parce que toute action du pouvoir à travers le mental se dilue, s'atténue, s'adapte, se transforme, et qu'est-ce qui arrive en bas? Tandis que quand ce sera à travers cette matière, évidemment ce sera formidable.

 

63.107 -- C'est seulement quand un petit travail comme cela, de transformation que l'on pourrait appeler "locale" [cellulaire], sera achevé et qu'il y aura la pleine conscience dans la pleine maîtrise de la manière de se servir de la force sans que rien n'intervienne, qu'alors ... c'est comme l'expérience de chimie que l'on a appris à bien faire: on peut la refaire à volonté, chaque fois que c'est nécessaire.

 

61.112 et 254 -- (Question:) Tout ce travail que tu fais sur ton corps, comment peut-il agir sur la substance corporelle en dehors de toi?

Toujours de la même manière, parce que la vibration se répand. C'est une question de contagion. Les vibrations spirituelles sont contagieuses, c'est tout à fait évident. Les vibrations mentales sont contagieuses. Les vibrations vitales aussi sont contagieuses (pas sous leurs plus jolis effets, mais enfin c'est évident: la colère d'un homme, par exemple, se répand très facilement). Eh bien, la qualité de vibration des cellules doit être contagieuse. Par exemple, chaque fois que j'ai pu dominer quelque chose, je veux dire trouver la vraie solution pour ce qu'on appelle une "maladie" ou un mauvais fonctionnement -- la vraie solution, c'est-à-dire la vibration qui défait le mal ou qui remet d'aplomb --, j'ai toujours pu très facilement guérir les gens qui avaient la même chose, par l'émission de cette vibration. C'est comme cela, c'est parce que toute la substance est UNE. Tout est un, n'est-ce pas, c'est cela que nous oublions tout le temps! Nous avons toujours le sentiment de la séparation -- ça, c'est le mensonge total-total! parce que nous nous basons sur ce que nos yeux voient -- ça, c'est vraiment le mensonge. Tu sais, c'est comme une image qu'on a plaquée sur quelque chose. Mais ce n'est pas vrai. Même dans la matière la plus matérielle, même une pierre, même dans une pierre, dès qu'on change de conscience, toute cette séparation, toute cette division disparaît tout à fait. Ce sont ... (comment dire?) des modes de concentration ou des modes vibratoires DANS LA MEME CHOSE.

 

64.73 -- X. était dans un état d'émotion aigu, et à un moment donné, nos regards se sont croisés; alors est entré en moi, de lui, une émotion tellement violente que j'ai failli me mettre à sangloter, figure-toi! Et c'est toujours là, dans le bas du ventre, que cette identification avec le monde se produit ... Immédiatement, j'ai arrêté les vibrations de X (cela m'a pris quelques minutes) et tout est rentré dans l'ordre. Et j'ai compris que cette contagion était conservée comme moyen d'action -- ce n'est pas agréable pour le corps! ... Quand je remets de l'ordre là (geste au ventre), ça remet de l'ordre là-bas aussi.

 

63.1112 -- Quand l'expérience vient [de l'autre état], elle est assez répandue: "ça" coule dans le sang, ça vibre dans les nerfs, ça vit dans les cellules, et puis partout; et ce ne sont même pas seulement les cellules de ce corps-ci: j'ai l'impression que beaucoup de sangs, beaucoup de cellules, beaucoup de nerfs participent. C'est-à-dire que la conscience centrale des individus ne le sait pas toujours, l'individu ne le sait pas (il a une impression extraordinaire, mais il ne sait pas ce que c'est), tandis que les cellules le savent, mais elles ne peuvent pas le dire. N'est-ce pas, il y a des DEGRES de conscience, et ici (le corps de Mère), cela paraît être comme un centre de conscience plus conscient, c'est tout, mais autrement ...

Et l'expérience devient de plus en plus précise, universelle:

 

68.186 -- C'est curieux, je suis un mouvement et puis ... je pars [dans "l'ondulation"]. Et ça vient à n'importe quel moment. Je mange: au milieu de la nourriture, il y a quelque chose qui vient comme cela, je suis le mouvement, et je reste la cuillère en l'air, et après je vois tous les gens qui attendent!

(Question:) Depuis plusieurs mois, j'ai remarqué cela: on a l'impression d'un éloignement.

Non! je suis DEDANS, beaucoup plus dedans qu'avant. Pas "dedans" ici (Mère désigne son corps): dedans en toutes choses. Quand je m'en vais comme cela, c'est toujours comme si ... comme si je modelais des vibrations. Et j'apprends après qu'il est arrivé quelque chose à quelqu'un: il y a quelque chose qui s'est tordu, alors on travaille, on le remet droit, on remet la lumière, la bonne vibration.

 

64.269 -- Et je parle ici des cellules du corps, mais c'est la même chose pour les événements extérieurs, jusqu'aux événements mondiaux. C'est même remarquable au point de vue des tremblements de terre, des éruptions de volcan, etc. Il semblerait que la terre tout entière soit comme le corps.

 

60.237 -- De plus en plus, c'est le yoga général -- toute la terre. Et c'est comme cela jour et nuit et quand je marche et quand je parle et quand je mange: comme si on prenait de la pâte et puis qu'on la lève.

Finalement, l'expérience est devenue parfaitement intelligible, et un matin, Mère s'est exclamée:

 

61.2312 -- C'était la perception du pouvoir, de ce pouvoir qui vient de l'amour suprême [l'autre état], formidable! et qui m'a fait comprendre une chose: que l'état dans lequel on me mettait, c'était pour obtenir ce pouvoir qui provient d'une identité avec toutes les choses matérielles ... Alors j'ai vu ce pouvoir au point de vue méthodique, pour organiser (pas une chose accidentelle ou spasmodique comme dans les cas médiumniques), mais une ORGANISATION DE LA MATIERE. Et alors on commençait à comprendre: mais avec "ça", on a le pouvoir de mettre chaque chose à sa place! ... pourvu qu'on soit assez universel. C'est formidable! ça a le pouvoir de tout changer, et tout changer de quelle façon! Simplement on EST "ça", une, UNE vibration de "ça". C'est-à-dire qu'on EST ça, par conséquent on FAIT ça. Mais c'est la clef!

 

58.262 -- Une clef directe qui n'a pas besoin d'une science compliquée pour s'exprimer.

On pourrait dire que tout notre règne mental, ou même animal dans son ensemble, est le règne indirect, le règne du mécanisme, depuis la musaraigne qui ronge une liane avec ses dents jusqu'au physicien qui broie l'atome dans un cyclotron. D'innombrables mécanismes de plus en plus compliqués, depuis les cils vibratiles, l'aile, la nageoire, jusqu'au turboréacteur et au télex. Un gigantesque artifice. Un peu comme si l'évolution, c'est-à-dire un certain pouvoir (et on ne peut pas parler de pouvoir sans conscience, fût-ce la conscience du noyau d'hydrogène de happer son unique électron), un certain pouvoir s'était revêtu de mécanismes ou d'organes de plus en plus adaptés et ingénieux, pour parvenir finalement à ce point évolutif, à ce tournant des ères, où le mécanisme prend conscience de son moteur et après s'être innombrablement divisé en d'innombrables corps, retrouve l'unité totale de sa substance, galactique ou intra-cellulaire, et peut agir directement sur sa substance, ses noyaux, ses cellules, comme sur la matière universelle. Après le règne minéral, végétal et animal, un prochain règne: direct. Une réorganisation de la Matière par le pouvoir même de la Matière et par la conscience même contenue dans l'atome et dans chaque cellule. Mais il fallait arriver jusque là, à ce niveau atomique et cellulaire, au lieu de fuser dans les étendues nirvâniques ou célestes; il fallait percer la barrière qui nous sépare du prochain "milieu", total, de notre prochaine espèce, globale, comme un jour le minéral a percé la barrière de son inertie. Ce qui était au début de l'évolution se retrouve à la fin: le pouvoir retrouve son pouvoir et l'inconscience sa conscience enfouie.

"Le salut est physique", disait Mère.

 

68.1112 -- Le corps est quelque chose de très-très simple et très enfantin, et il a cette expérience d'une façon tellement impérative, n'est-ce pas, il n'a pas besoin de "chercher": c'est LA. Et alors il se demande pourquoi les hommes n'ont pas su cela depuis le commencement? Il se demande: "Pourquoi, pourquoi ont-ils cherché toutes sortes de choses -- les religions, les dieux, les ... toutes sortes de choses." Et c'est si simple! si simple! c'est pour lui si évident.

 

64.3010 -- Toutes les constructions mentales que les hommes ont essayé de vivre et de réaliser sur la terre viennent à moi de tous les côtés: toutes les grandes Ecoles, les grandes Idées, les grandes Réalisations, les grandes ... et puis les religions, c'est encore plus bas; tout ça, oh! comme ce sont des enfantillages! Et une espèce de certitude au fond de la Matière, que la solution est LA. Oh! que de bruit, comme vous avez essayé en vain! -- Descendez dedans, assez profond, et restez assez tranquilles, alors "ça" sera. Et vous ne pouvez pas comprendre, il faut seulement que ça SOIT.

 

61.182 -- (Question:) Mais pourquoi faut-il descendre? Est-ce qu'on ne peut pas agir d'en haut sur la matière?

Agir d'en haut, j'ai agi d'en haut pendant plus de trente ans! mais ça ne change rien! Ça ne transforme pas. Transformer, c'est transformer. La transformation, il faut descendre dans le corps, et ça, c'est terrible ... Autrement ce ne sera jamais transformé, ça restera tel quel. On peut, n'est-ce pas, on peut même faire figure de surhomme! mais ça reste en l'air, ce n'est pas la vraie chose, ce n'est pas l'étape prochaine de l'évolution terrestre.

 

62.245 -- Ces positions, la position spirituelle et la position matérialiste si l'on peut dire, qui se croient exclusives (exclusives et uniques, ce qui les fait nier la valeur de l'autre au point de vue de la vérité), sont insuffisantes, et pas seulement parce qu'elles n'admettent pas l'autre, mais parce que, admettre les deux et unir les deux ne SUFFIT PAS à résoudre le problème. C'est quelque chose d'autre -- une troisième position qui n'est pas la conséquence de ces deux mais qui est quelque chose à découvrir, qui probablement ouvrira la porte de la connaissance totale. Et c'est ce "quelque chose" à la recherche de quoi nous sommes. Et peut-être pas seulement la recherche, peut-être la FABRICATION de ça.

Une nouvelle position physiologique dans la Matière. Non plus une position philosophique avec ses prétendus matérialismes et ses spiritualismes qui sont seulement l'envers et l'endroit d'une même vision fausse de la Matière, mais une position du corps, dans le corps, qui changera toutes les lois du vieux "système de référence".

Un nouveau mode de vie dans la Matière qui réorganisera la Matière par son propre pouvoir, et finalement qui changera la mort -- car la mort n'était que l'envers de cette "vie-là", comme l'autre côté du bocal aquatique n'était pas la fin du poisson mais le début d'une autre forme de vie dans la Matière.

Et alors, loin dans l'avenir, nous commençons à entrevoir le mode d'action de l'être supramental: comment il manipulera la matière.

 

58.192 et 32 -- Quand un changement doit être effectué, il se fait non pas par un moyen artificiel et extérieur, mais par une opération intérieure, PAR UNE OPERATION DE LA CONSCIENCE qui donne forme ou apparence à la substance. La vie crée ses propres formes ... L'absurdité ici, ce sont tous les moyens artificiels dont il faut user: n'importe quel imbécile a plus de pouvoir s'il a plus de moyens pour acquérir les artifices nécessaires. Tandis que dans le monde supramental, plus on est conscient et en rapport avec la vérité des choses, plus la volonté a de l'autorité sur la substance. L'autorité est une autorité vraie. Si vous voulez un vêtement, il faut avoir le pouvoir de le faire, un pouvoir réel. Si vous n'avez pas ce pouvoir, eh bien, vous restez nu. Aucun artifice n'est là pour suppléer au manque de pouvoir. Ici, pas une fois sur un million l'autorité n'est une expression de quelque chose de vrai. Tout est formidablement stupide.

Oh, combien!

La conscience supramentale donne forme à la matière; elle modèle la matière par l'émission de la vibration correspondante, comme aujourd'hui nous modelons des pensées par le verbe.

Et maintenant, comment arrive-t-on là? Quel est le procédé?


extraits du livre

Le Mental des Cellules

Editions Robert Laffont, Paris, 1981

198 pages, ISBN 2-221-00678-X


Extracts may be reproduced only unaltered and must be accompanied by the following address: Institut de Recherches Evolutives 142, boulevard du Montparnasse F-75014 Paris, France


Du même auteur:

Aux Éditions Robert Laffont

Aux Éditions du Seuil

Aux Éditions Buchet/Chastel

à l'Institut de Recherches Évolutives
142 boulevard du Montparnasse, F-75014 Paris


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